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Les algorithmes permettent de brasser des datas complexes, de proposer aux internautes des recommandations personnalisées, et même d’anticiper leurs comportements. Efficacité ou cauchemar?

Le 17 septembre, Heiko Maas, ministre allemand de la Justice et de la Protection des consommateurs, demandait dans une interview au Financial Times que Google révèle les détails de l'algorithme qu'il utilise pour classer ses résultats de recherche, expliquant que

«lorsqu'un moteur de recherche a un tel impact sur le développement économique, c'est une question que nous devons aborder». La firme de Mountain View va-t-elle s'y plier? L'algorithme «Page Rank» est un de ses secrets les mieux gardés. Une «recette magique» qui lui a permis d'acquérir un quasi monopole dans la recherche en ligne en Europe. Monopole qui, précisément, lui est reproché. Google pourrait aisément le détourner pour favoriser ses propres services en ligne. Les pouvoirs publics veulent donc reprendre la main.

L'algorithme est une suite d'opérations et d'instructions permettant de résoudre un problème. Dans le cas de Google, c'est la formule mathématique créée pour faire la pluie et le beau temps sur la Toile. Mais, surprise: cet algorithme n'est nullement protégé par le droit des brevets. «Un algorithme en tant qu'ensemble d'étapes est une idée abstraite. Il n'est pas brevetable en tant que tel. En revanche, sa traduction en langage informatique lui fait prendre forme et est, elle, soumise au droit d'auteur, comme tout programme informatique», explique Delphine Brunet-Stoclet, avocate associée au cabinet SBKG, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle. C'est bien pour cela que Google n'a nullement envie de publier le sien.

Google n'est pas le seul à bénéficier de ses algorithmes. L'algorithme est plus que jamais au cœur de la stratégie des entreprises. A la fois mot-valise, sujet à fantasmes, argument marketing pour les GAFA et les start-up car porteur d'une caution scientifique. Chacun vante les mérites de son «nouvel algorithme», plus pertinent et fiable que les autres. Une recette mathématique qui suscite pourtant bien des peurs, à hauteur de la puissance d'entreprises telles que Facebook, Amazon, Neflix, Criteo ou encore Kelkoo.

De fait, les algorithmes offrent une efficacité et une rapidité redoutables pour brasser des datas complexes et en tirer une analyse pertinente. Un atout certain dans le domaine de l'achat média, où l'on ne jure plus que par l'achat programmatique. Associé au fait d'utiliser ces technologies pour réaliser de l'achat média digital, l'algorithme permet d'automatiser les processus des transactions (sélection des emplacements publicitaires, ajustement des prix, etc.). C'est ainsi grâce à un algorithme développé par MGF Labs, start-up qu'il a acquise en juin 2013, qu'Havas Media vient de lancer sa solution Affiperf Meta DSP, qui permet à ses clients de travailler avec plusieurs DSP («Demand Side Platforms») à partir d'un point de contact unique.

La course à l'algorithme prédictif

L'algorithme s'est aussi imposé comme outil incontournable pour cibler au mieux le consommateur, par une recommandation personnalisée. Un moyen aussi d'optimiser le désormais traditionnel ciblage publicitaire par cookies. La clé du succès, notamment, de Criteo. La solution du spécialiste du «retargeting publicitaire» permet d'afficher chez l'internaute une publicité en relation avec les pages qu'il a visitées. Sur un site d'actualité, il verra s'afficher une annonce avec le dernier vêtement qu'il a vu, par exemple, sur un site d'e-commerce.

La dernière mode est au «modèle prédictif». En combinant l'analyse de données avec les statistiques prédictives, les marques espèrent prévoir les comportements des internautes et agir par anticipation, au lieu de se contenter de réagir à ceux-ci. Pour cela, toutes ne jurent que par une discipline encore naissante, le «machine learning» ou apprentissage automatique, une branche de l'intelligence artificielle. Il s'agit de doter les ordinateurs de la capacité à améliorer leurs performances sans intervention humaine. L'algorithme progresse par lui-même.

Certains ajoutent à ce modèle prédictif une couche de web sémantique, tel Weborama, dont les linguistes, à partir de textes collectés sur des sites et forums, travaillent sur un lexique de 6 000 termes pertinents en publicité, répartis en groupes thématiques de mots. Les cookies publicitaires que place Weborama sur des millions de navigateurs permettent ensuite de pister les internautes à travers le web et de collecter les mots publiés sur les sites qu'ils visitent. «Certains types d'algorithmes aideront à segmenter la clientèle et les prospects. On va pouvoir analyser, constituer un segment de profils, une audience. On pourra ensuite aller chercher cette audience sur les ad-exchanges dans l'univers programmatique», précise Alain Lévy, PDG de Weborama.

En prenant en compte les données du passé, le but est d'extrapoler un comportement. C'est ainsi qu'Amazon compte à l'avenir pouvoir «deviner» à l'avance le contenu de vos commandes futures. Spectaculaire? Oui, si l'on en croit la course à l'algorithme prédictif auquel se livrent les marques et start-up. La société française de connaissance clients Dictanova a ainsi fait beaucoup parler d'elle en devinant dix minutes avant son annonce le podium de Miss France 2013, rien qu'en analysant l'évolution de la popularité des candidates sur Twitter au cours de l'émission.

Autant dire que des algorithmes prédisant l'avenir font figure de Graal pour les annonceurs. La formule serait bien utile pour comprendre quel service ou produit fonctionnera le mieux. Et proposer une offre qui fera mouche. Un outil supplémentaire pour les marques à côté des études de consommateurs ou des panels représentatifs. Mais avec une plus grande pertinence des résultats grâce à la portée de la data. C'est ainsi qu'est né l'algorithme créatif. Le scénario de la série à succès House of Cards, produite par Netflix, a été réalisée en combinant les résultats de nombreuses autres séries afin de coller au mieux aux attentes des consommateurs.

«Gouvernement algorithmique»

Cette technologie efficace s'insère dans le domaine de la publicité. Little Big Data, une jeune start-up dans laquelle le fonds de Fred & Farid vient d'investir en participant au premier tour de table d'une levée de 400 000 euros, se propose d'«aider les annonceurs à optimiser le brief pour les créatifs», décrit son président-fondateur, Guillaume de Roquemaurel, un ancien de McKinsey qui a passé deux ans chez Google. «A partir de la mesure de performance des campagnes précédentes auprès de cibles données, nous aidons les créatifs à mieux bâtir le scénario publicitaire. Que mettre en avant? Le produit? Le prix? Faut-il utiliser l'humour, la légèreté ou un ton formel?» En ajoutant une pincée d'analyse sémantique, l'ordinateur pourrait même bientôt sortir l'accroche la plus efficace. Même si cela reste éminemment plus complexe.

Tout cela va-t-il trop loin? L'algorithme est-il vraiment le meileur ami des marques? «Un algorithme ne remplacera jamais un directeur de création», lançait Yannick Bolloré, PDG D'Havas, lors de l'Advertising Week, le 1er octobre dernier, outre-Atlantique. Ce n'est d'ailleurs pas l'ambition de Little Big Data. «Nous sommes davantage une aide à la création. Notre outil soutient les créatifs pour s'adapter à différents profils de cibles», explique son fondateur. Que les créatifs se rassurent, la robotisation du travail n'est pas encore à l'ordre du jour en publicité.

Les principales craintes viendraient plutôt du grand public. Que se passe-t-il dans cette boîte noire? Accessible à une communauté restreinte d'experts à la croisée des mathématiques et de l'informatique, l'algorithme devient un enjeu de communication incontournable. Moyen de différenciation sur le marché et de valorisation des compétences, sa généralisation souligne la prédominance de la machine sur le comportement humain. A tel point que les chercheurs en philosophie Antoinette Rouvroy et Thomas Berns parlaient de «gouvernement algorithmique» dans un article paru en 2010 dans la revue Multitudes. «Ignorant tout des motivations psychologiques des sujets, [...] [il] transfigure les sujets moraux en simples coordonnées dans des tables statistiques de calcul». Et réduit les êtres humains à leur comportement, sans notion de devoir ou de volonté.

La crainte des pouvoirs publics

Sur cette question, il y a les partisans de la transparence et les autres. «L'algorithme n'a pas vocation à être une boîte noire qui fait peur à tout le monde», estime Thibault D'Orso, fondateur de Spideo avec Gabriel Mandelbaum et Paul de Monchy, le service de vidéo à la demande choisi par Canal Play et Bouygues Telecom. Son algorithme de recommandation de films agit en transparence, assure-t-il: «Pour chaque film recommandé, nous expliquons les raisons pour lesquelles il a été choisi. Spideo est née face à la décroissance du marché de la location de DVD. En passant à la vidéo à la demande, on perdait la notion de conseil. Le but est de recréer, grâce à l'algorithme, un ami cinéphile qui vous recommande des films.» L'algorithme prend donc une dimension humaine. Faire preuve de pédagogie, se questionner sur de bonnes pratiques ou encore mettre l'algorithme au plan de la RSE des entreprises, autant de moyens de calmer les fantasmes et les craintes face à ce phénomène sensible.

Une chose est sûre, marques et agences investissent pour disposer de ce nouveau savoir-faire. La stratégie la plus classique est de racheter des start-up pour mettre la main sur leurs technologies, expertises, salariés. C'est pourquoi Fred & Farid a investi dans Little Big Data et Havas dans MGF Labs. Créée par des mathématiciens de renom, dont Pierre-Louis Lions, professeur au Collège de France et lauréat de la médaille Fields (1994), la start-up, qui a développé des compétences autour de la stratégie d'exploitation des données et la recherche mathématique, a apporté dans son escarcelle les résultats de ses recherches, dont l'algorithme à l'origine de la nouvelle solution d'Affiperf, mais aussi ses salariés (une trentaine aujourd'hui), des mathématiciens et «data scientists».

Les pouvoirs publics, eux, veulent imposer leurs vues. Déjà fin 2010, Bruxelles lançait une vaste enquête sur Google pour abus de position dominante, afin de savoir s'il mettait en avant ses propres résultats (Google Maps ou Google Shopping) au détriment de ceux de ses concurrents. Tout comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), gardien français des données personnelles, s'est intéressée de près aux pratiques de voyagistes en ligne, qui modifiaient leurs prix lorsqu'ils détectaient une même requête répétée par un internaute, repéré par l'adresse IP de son ordinateur. Clairement, la demande du ministre allemand, Heiko Maas, traduit la crainte des pouvoirs publics face à l'essor des algorithmes.

 

 

 

L'algorithme de l'omelette

Un livre de cuisine, c'est un catalogue d'algorithmes! Chaque recette est une procédure à suivre, avec des étapes à réaliser sur des «données» que sont les ingrédients. «Cassez les œufs» est un premier calcul à effectuer avec les données. «Ajoutez le sel, le poivre, les lardons et faites chauffer» sont autant d'étapes à réaliser. Un algorithme est donc abstrait. Il existe dans l'absolu et doit se traduire sur du papier pour pouvoir être exécuté. Il en est de même avec un algorithme mathématique. On doit l'écrire dans un langage informatique, pour qu'un cuisinier – l'ordinateur – puisse le réaliser. Peu importe la langue, italien, français, anglais ou chinois, la «recette», en tant qu'étapes à suivre, est la même. Et selon que l'on change un petit quelque chose, l'omelette sera plus ou moins bonne.

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