Dossier Publicité extérieure
Interview. JC Decaux célèbre cette année son cinquantenaire. D'une TPE exploitant une quarantaine d'Abribus à un groupe international commercialisant 340 millions de contacts sur plus d'un million de faces publicitaires, l'opérateur français affiche une croissance constante depuis 1964, au point d'avoir encore amélioré son chiffre d'affaires en 2013, à 2,676 milliards d'euros. Retour avec le président du directoire, Jean-Charles Decaux, sur une aventure singulière dans l'univers des médias français.

Stratégies : Que retenez- vous des cinq décennies de l'histoire du groupe ?

Jean-Charles Decaux : Que la vision de notre fondateur, qui est restée intacte, s'est enrichie d'une dimension technologique et d'une dimension géographique. Depuis 50 ans, la fourniture d'un produit ou d'un service financé par la publicité reste la pierre angulaire du groupe, de sa création en France à son implantation dans 63 pays dans le monde. JCDecaux a élargi ses activités au transport et au grand format mais il a également pris une vraie dimension technologique avec le digital. A Chicago, dans le pays qui a le plus grand marché publicitaire au monde, notre modèle fonctionne désormais avec l'implantation de 34 dispositifs digitaux grand-format allant jusqu'à 111m2, qui proposent pour moitié des messages des annonceurs et pour moitié des messages à caractère public. Ce qui fait notre force, c'est d'avoir su enrichir le concept original sans renier nos valeurs que sont l'excellence opérationnelle, la performance et la satisfaction de nos clients, qu'ils soient annonceurs ou collectivités locales.

JCDecaux est passé du statut d'entreprise régionale à celui de leader mondial de la communication extérieure, d'un marché d'origine qui tourne maintenant au ralenti à des contrées affichant une forte croissance. Est-il resté un groupe français ?

J-C.D: Chaque personne, chaque entreprise doit avoir une identité, une personnalité, une âme. Notre identité est française, notre personnalité est internationale car JCDecaux s'est très tôt tourné hors de ses frontières, en étant présent dans 9 pays dès 1990. Quant à notre âme, elle représente certainement ce qui fait notre différence. Quel que soit le pays, quelle que soit la nationalité de nos collaborateurs, ils adhèrent à une culture d'entreprise qui repose sur nos valeurs. La France, c'est nos racines, c'est aussi et encore le premier marché du groupe, où nous réalisons 23% de notre chiffre d'affaires et où résident 31% de nos effectifs. Le centre de décisions, le bureau d'études, la R&D sont en France. C'est en conservant notre âme dans une mondialisation accélérée que nous nous sommes hissés au premier rang.

Jusqu'où pouvez-vous pousser le modèle de développement par acquisition?
J-C.D: Nos acquisitions nous ont permis de construire une base plus forte. Par exemple en Chine, nous sommes passés de deux contrats en 2005 [les aéroports de Shangaï-Ndlr] à une activité représentant maintenant 20% de notre chiffre d'affaires. En Europe, le développement s'est fait essentiellement par croissance organique et à travers des alliances. De même au Moyen-Orient ou dans le reste de l'Asie. Quant à notre présence dans 11 pays en Amérique latine, elle s'est bâti à la fois par le gain de contrats et le rachat l'an dernier de 85% d'Eumex.

 

Dossier: Communication extérieure, la data à l'affiche?

Vous négociez le rachat de l'entreprise espagnole Cemusa, titulaire du contrat sur New-York. Mais, en cas de changement d'actionnaire majoritaire chez l'opérateur, la ville aura à se prononcer sur la poursuite ou non du contrat. Est-ce une condition essentielle pour vous?

Cemusa est un opérateur qui est implanté en Europe du Sud et en au Brésil, où son acquisition nous permettrait de compléter notre réseau dans les cinq plus grandes villes de ce pays. Mais le contrat avec New-York, qui viendrait compléter notre présence déjà établie dans d'autres grandes villes américaines, est forcément structurant. C'est donc une condition essentielle qui se reflète dans les termes du contrat.

Comment expliquez-vous que JCDecaux semble avoir réussi sa transmission d'une génération à l'autre, comparé à d'autres groupes ?

J-C.D: Tout d'abord, un fondateur a forcément une vision autre que celle d'un dirigeant non actionnaire. Un président-fondateur fixe le tempo. Ensuite, une succession ne se décrète pas, elle se prépare. Enfin, quand on est autant partie prenante dans l'actionnariat que nous le sommes, la situation est forcément particulière. Notre père a été visionnaire pour l'entreprise, y compris dans sa gouvernance. Il a anticipé la préparation de la transmission dès 2000 avec la création d'un comité de surveillance et d'un directoire, comme nous l'incitions à le faire, mon frère Jean-François et moi. Il a accepté assez jeune -63 ans- de passer le témoin. Mais il nous avait préparés à cette situation, en nous mettant très tôt à l'épreuve de la réalité. Jean-François, Jean-Sébastien et moi n'avons hérité d'aucun pays et avons démarré des activités de zéro. Il avait bien imaginé que ses fils prendraient le relais, à la seule condition que chacun fasse ses preuves. Car c'est l'intérêt de l'entreprise qui a toujours primé.

 

Pensez-vous que l'image de JCDecaux, groupe qui s'est mis à communiquer avec la nouvelle génération de dirigeants et son entrée en Bourse, a changé ?

J-C.D: L'image a forcément évolué. Ce qu'a porté Jean-Claude Decaux correspondait à une vision et à un tempérament qui étaient les siens. Un nouveau management s'accompagne d'une nouvelle vision. Nous ne devons pas faire différemment mais poursuivre une histoire avec de nouveaux codes qui sont ceux de notre génération. Chaque entreprise a son ADN qui est interprété par chacun selon sa personnalité. Le principal est d'être en accord avec notre vision. Nous pratiquons une communication plus proactive que par le passé, sans être pour autant dans l'excès. Car nous n'avons pas besoin d'être trop présent, le nom de Decaux est suffisamment connu par son exposition à travers nos mobiliers.

 

Vous aviez annoncé il y a quelques années que la famille qui détient 70% du capital n'est pas forcément obligée de rester actionnaire majoritaire si cela empêchait son développement. Cette position reste-elle valable ?

J-C.D: La famille restera l'actionnaire de référence mais ne sera jamais un obstacle au développement de l'entreprise. Nous ne sommes pas obsédés par la détention de 70% du capital mais nous serons toujours attentifs à la croissance de JCDecaux. La dilution peut être une réalité si elle a un fondement stratégique fort. Mais ce n'est pas d'actualité. Nous avons réussi à faire la course en tête et à réaliser jusqu'ici des acquisitions avec un bilan faiblement endetté. Compte tenu de son cash-flow, JCDecaux pourrait même être davantage endetté mais l'endettement n'est pas une stratégie en soi, il doit être un moyen au service d'une stratégie. Nous sommes prêts à nous endetter pour des opérations stratégiques et à être davantage dilué dans le capital, à la condition que la famille reste l'opérateur.

Votre modèle basé sur le financement de service aux collectivités par la publicité paraissait porteur il y a quelques années. Offre-t-il les mêmes perspectives, avec l'évolution du marché publicitaire?

J-C.D: La publicité ne peut pas être la solution pour tous les financements et les collectivités locales l'ont compris. JCDecaux se félicite d'avoir pu installer en France plus d'abribus et de vélos en libre-service par habitant financés par la publicité que partout dans le monde. Or, une limite a été atteinte depuis la crise de 2008 et il faut être très vigilant aux équilibres financiers. Néanmoins, notre modèle économique a contribué, ces dernières années, au financement d'abribus pour des lignes de tramway, de BHNS et de bus dans de nombreuses agglomérations. C'est ce que nous continuons à faire avec, par exemple, le développement du wifi avec Aéroport de Paris. Ce service permet de passer du digital out of home (DOOH) au connected out of home (COOH) et de répondre ainsi aux attentes de nouveaux annonceurs.

Quel pourrait être l'impact pour JCDecaux de la mise en conformité avec la loi Grenelle II et le nouveau règlement local de la publicité de Paris ?

J-C.D: Nous travaillons à la mise en conformité de notre patrimoine. Cela devrait toucher environ 3000 faces sur le territoire national. J'appelle tous les opérateurs à se mettre en conformité au 15 juillet 2015. C'est la volonté de l'Union de la Publicité extérieure. Nous ne pourrons pas laisser certains acteurs faire fi de la loi. Il est important que les enseignes et pré-enseignes se mettent également en conformité avec les textes.


Lors de votre présentation au marché mi-octobre, vous faisiez des projections sur l'avenir de la communication extérieure en 2050. Mais quel projet faîtes-vous pour JCDecaux à cette date?

J-C.D: En 2050, JCDecaux sera l'entreprise qui orchestrera, gérera le plus d'écrans connectés et partagés dans le monde. Avec ce que cela implique comme transformations. Aujourd'hui, JCDecaux dispose de 45 000 écrans digitaux dans le monde sur un total de 1 million d'objets. Ce n'est que le début d'une profonde mutation dans des univers fréquentés par des audiences connectées et ciblées. Nous irons là où nous sommes légitimes et le champ des possibles est particulièrement large avec des audiences toujours en croissance.

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