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A l'heure où le marché publicitaire ne jure plus que par big data, croisement de données et algorithme, le plus vieux média du monde, média de masse par excellence, prendra-t-il la vague?

Présents au cœur des villes, les acteurs de la communication extérieure sont aux premières loges pour bénéficier de données. Mais de quelles informations disposent-ils vraiment et comment les utilisent-ils aujourd'hui ? Chez Affimétrie, on adopte une position à la Monsieur Jourdain: «Nous, du big data, on en fait depuis longtemps! s'exclame Francis Moureaux, directeur général. Depuis le départ, notre méthodologie consiste à utiliser des bases différentes, énormes, au moyen notamment de fusions Les déplacements des individus sont en effet croisés avec la géolocalisation des emplacements publicitaires, permettant de calculer les fameuses ODV (occasions de voir): 55 000 enquêtes dite «mobilité» ont été réalisées en cinq ans, avec en moyenne 3,5 déplacements par jour calculés sur un échantillon de 2 millions d'individus, soit 7 millions de déplacements, sur plus de 7 millions de tronçons de cartographie et plus de 300 000 faces.

 

Dossier:  Affichage & Data

 

Ces données sont des moyennes et portent sur des trajets habituels, ne tenant pas compte par exemple de la météo, de la saisonnalité et encore moins des comportements de consommation. A noter cependant qu'Affimétrie prépare le lancement d'une nouvelle mesure d'audience au dernier trimestre 2014 dont toutes les composantes (population, mobilité, axes de visibilité) seront mises à jour, dans un nouvel outil de médiaplanning qui offrira de nouvelles fonctionnalités, pour l'heure confidentielles. Pas de quoi rivaliser avec le ciblage comportemental en vigueur dans le numérique, mais la société de mesure d'audience avance. Elle planche également sur les univers non couverts comme l'indoor, en travaillant sur la connexion des performances des centres commerciaux (malls) aux individus Affimétrie, en collaboration avec le Centre d'études des supports de publicité (CESP) et Clear Channel France (CCF).


Chez Média Transports, la régie des gares et du métro, les datas sont présentes en grande quantité. «Sur le domaine SNCF, c'est 11 millions de personnes par jour. C'est avant tout de l'audience, qu'il faut travailler avec prudence», estime Valérie Decamp, vice-présidente de Média Transports. Les deux concédants – SNCF et RATP –, clients de la filiale de Publicis, mettent à disposition leurs bases de données, basées sur l'anonymat.

 

Du mobilier numérique piloté en temps réel

 

«Un panel portant sur 200 000 utilisateurs du métro permet par exemple d'analyser les créneaux horaires, détaille Valérie Decamp. On souhaiterait agréger ces données avec celles d'Affimétrie, ce qui permettrait de préciser le profil sur une station et de disposer d'informations comportementales.» Voire de les croiser avec des données extérieures comme la météo, l'indice de pollution... notamment pour la commercialisation des panneaux digitaux. «Un fabricant de barre glacée communiquerait ainsi sur des écrans précis, en ciblant les mères avec enfants le mercredi quand la température dépasse les 25°C», illustre Valérie Decamp. Le mobilier numérique peut déjà être piloté pratiquement en temps réel pour décliner des campagnes en fonction du contexte. Sauf qu'il s'inscrit au mieux dans le réactif, pas dans le prédictif.

 

Entretien: Jean-Charles Decaux: «L'intérêt de l'entreprise a toujours primé»

 

La régie spécialisée dans les transports en commun travaille également à la constitution de datas, notamment à travers des expérimentations menées avec Orange. Avec la RATP, cela se traduit par un service wi-fi qui est proposé aux voyageurs dans les bus reliant le quartier Opéra à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Avec la SNCF, il s'agit d'un service de téléchargement de films dans les salles d'attente de quelques gares. En contrepartie, les utilisateurs, qui laissent un certain nombre de données en profitant de ces offres, sont exposés à la publicité. «Il ne faut pas être intrusif, insiste Gérard Unger, le PDG. Mais le public accepte cela si on lui propose un service.»

 

Le marché applaudit des deux mains ce type d'initiatives, à l'instar de Benoît Régent, directeur général de We Believe (Dentsu Aegis Network France) : «Le socio-démo n'est plus suffisamment prédictif. Pas autant que les données conso», estime-t-il. Et de citer une initiative de Posterscope UK et de l'opérateur de téléphonie EE (Orange-T-Mobile), qui corrèle en temps réel les recherches effectuées par les passants sur leurs smartphones avec la proximité de dispositifs de communication extérieure et de magasins.

 

Un risque de dérives

 

Néanmoins, il existe déjà des dérives. La société Renew London, spécialisée dans les poubelles publiques, en a fait l'amère expérience. Elle a lancé en test, en août 2013, un mobilier d'un nouveau genre, capable de scanner les mobiles des passants. Mais aussi d'envoyer de la publicité ciblée aux passants en collectant leur adresse MAC (identifiant unique de chaque appareil), leur temps passé à proximité d'une borne, leur fréquence de passage, leurs centres d'intérêt... Extrêmement intrusif. Les smartphones de près d'un demi-million de passants outrés ont été scannés et la société a dû présenter des excuses publiques.

 

Benoît Régent pointe d'autres risques : «Aujourd'hui, on veut collecter le maximum de données, tout monitorer, pour être certain d'avoir fait les bons choix. Il ne faudrait pas que l' "adtech" tue l'aspect défricheur de la communication extérieure. D'autant que les logiques d' "adserving" [qui permet l'affichage immédiat d'une campagne sur les réseaux] restent largement à créer. Le temps réel, on y arrivera d'ici à cinq ans».

 

Pour autant, «jamais en agence média la connaissance client n'a été aussi bonne qu'aujourd'hui, tout comme le taux de conversion», explique Benoît Régent. «A l'avenir, le GRP ne sera plus suffisant : avec ces nouveaux "metrics", on paiera peut-être le contact plus cher, mais on n'achètera que ceux qui sont utiles. Ce qui peut attirer des annonceurs qui ne seraient pas venus vers l'affichage, considérant que le média était trop cher. Le futur du média, c'est de fabriquer des réseaux sur mesure. Tout en continuant à l'utiliser pour sa couverture et sa puissance...»

 

Revenir aux fondamentaux


Car il importe de ne pas dénaturer l'affichage. Beaucoup craignent que le big data ne sape les fondations de la communication extérieure, média de masse par excellence. Chez Exterion Media (ex-CBS Outdoor) par exemple, «on a d'autres priorités que le big data, lâche Frédéric Herbreteau, directeur général commerce et marketing. La mise en conformité aux règlements locaux de publicité (RLP) nous paraît, par exemple, plus cruciale.» Le groupe a même fait le choix de revenir aux fondamentaux : par exemple, en se réorganisant et en faisant renaître la marque Giraudy. Le département Giraudy by Exterion représente désormais les dispositifs 12 mètres carrés, particulièrement prisés par le marché local, auprès duquel la marque Giraudy est restée extrêmement forte.

 

Pour Albert Asséraf, directeur général stratégie, études et marketing de JC Decaux, «nous sommes à l'aube d'une révolution pour tous les secteurs, y compris la communication extérieure. Mais c'est encore une phase de transition, pour définir les apports et les usages possibles.» Le leader mondial de l'activité préfère se montrer très prudent. Ce qui n'empêchait pas lors d'une présentation le 14 octobre dernier son président, Jean-Charles Decaux, d'envisager le passage du digital out-of-home (DOOH) au connected out-of-home (COOH). Son groupe est sollicité par des entreprises disposant d'informations sur les déplacements de leurs clients, en particulier les télécommunications, pour exploiter – moyennant rétribution – leurs données. «Nous analysons tout cela pour voir lesquelles peuvent enrichir Affimétrie, explique Albert Asséraf. Et savoir avec quelle société travailler pour le traitement des données.»

 

Quand le panneau regarde le public

 

Pour l'instant, les données utilisées par la communcation extérieure relèvent donc pour l'essentiel d'informations historiques qui ont permis jusqu'ici de construire les réseaux, les offres, en fonction des cibles et des zones de consommation. «L'affichage parle de big data comme tous les médias traditionnels, mais la connaissance individualisée de l'audience ne fonctionne pas encore», soutient Jean Minost. La situation pourrait évoluer avec le mobile. «On connaîtra peut-être via leur smartphone ce que consomment les personnes qui empruntent l'avenue de la Grande-Armée, imagine le directeur de Convergence. Sauf que pour l'instant, les informations vont du panneau vers le mobile, pas dans l'autre sens.»

 

Néanmoins, à entendre le spécialiste du média, le mouvement est inéluctable. D'ailleurs, certaines PME commencent à prendre le virage. Smart Media, qui exploite les écrans du centre commercial Grand littoral à Marseille, a mis en place un procédé qui permet de suivre le regard du public sur un panneau. Un outil semblable au fameux «Majority Report» qui avait suscité la colère des anti-pub quand Métrobus s'y était essayé dans le métro parisien par le passé. Avec ce dispositif, «le média indique quelle publicité a été regardée et comment, poursuit Jean Minost. Ensuite, le mieux serait de savoir qui l'a vue en croisant les données.» Avec le big data, l'imagination est au pouvoir. Mais, avant de devenir une réalité, «l'autre façon d'avancer consiste déjà à donner le maximum d'études concernant l'efficacité sur les ventes, ce qu'a très bien fait la TV depuis longtemps. Or, à l'instar de Clear Channel, la communication extérieure semble s'y convertir.» Un pas après l'autre...

 

 

FOCUS. Le tracking du consommateur version Cast

La filiale française de Clear Channel a lancé en 2013 la méthode Cast (Consumer Audience Smart Tracking) qui entend, selon sa directrice du marketing, de la relation client et de la communication Caroline Mériaux, «passer du médiaplanning à l'audience planning». Il s'agit, en partenariat avec Kantar Worldpanel et Experian, de qualifier en amont les parcours consommateurs, et de mesurer l'efficacité des campagnes sur les achats réels avec Kantar Worldpanel, ou l'impact avec Iligo. Cast croise 1700 critères sociocomportementaux sur 27 millions de Français.

 

«La méthode nous permet de tirer des enseignements par secteur et d'optimiser les plans médias, à un moment où les annonceurs recherchent plus que jamais le ROI», explique Caroline Mériaux. Pour Jean Minost, directeur de Convergence, filiale de Poster Conseil en charge de la communication extérieure de l'agence média OMG, «elle constitue une première approche intéressante» car Cast classe le panneau en fonction de son environnement. De son côté, Insert a mis en place «une nouvelle plateforme technologique dotée d'une capacité de ciblage géolocalisation multicritères et intégrant plus de 400 000 points d'intérêt retail», explique la directrice des partenariats et des opérations spéciales, Doriane Depailler. Cette plateforme permet la sélection sur mesure de nos faces pour la conception de réseaux ultra-ciblés».

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