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CRM en direct, campagnes virales assurées par les gamers… Les consoles dernière génération, connectées en permanence, permettent à cette industrie dynamique d’utiliser de nouveaux outils marketing pour promouvoir ses «blockbusters».

Ce sont les deux superproductions de l'année, deux nouvelles franchises, deux marques que sortent Ubisoft et Activision Blizzard, eux-mêmes des «majors» parmi les éditeurs des jeux vidéos. Le français Ubisoft a investi 140 millions d'euros, dont la moitié pour son lancement le 27 mai, dans Watch Dogs, jeu d'action qui met en scène l'hyperconnectivité de notre société. L'américain Activision Blizzard parade, lui, avec un budget de 500 millions de dollars (392 millions d'euros) pour Destiny, un jeu de rôles dans un univers de science-fiction lancé le 9 septembre. Le budget le plus important jamais investi dans le secteur.

La première industrie d'«entertainment» au monde, qui pesait 66,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2013 (2,2 milliards pour la France), joue la surenchère côté marketing. D'après Kantar Media, Ubisoft aura dépensé 5,44 millions d'euros bruts entre mars et septembre 2014 dans le seul marché français pour lancer sa nouvelle franchise, et Activision plus de 7 millions d'euros bruts depuis juin pour Destiny.

Vitrine de cette industrie, le salon Paris Games Week a ouvert ses portes mercredi 29 octobre. Justement, plusieurs éditeurs ont choisi d'y dévoiler en avant-première leurs «blockbusters», ces jeux vidéos à gros budget annoncés pour cet automne ou début 2015: Far Cry 4 et Assassin's Creed Unity (Ubisoft), Call of duty (Activision), Super Smatch Bros (Nintendo), Disorder 1886 (Sony)…

Le salon parisien s'est imposé dans l'agenda de leur plan médias: «Quelques images des prochains gros jeux sont dévoilés à l'E3 en juin, quelques séquences au grand public au salon Gamescom à Francfort en août, puis ils sont dévoilés dans leur intégralité au Paris Games Week», résume Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels et de loisirs (Sell).

Potentiel viral

En quelques années, le jeu vidéo est passé du statut d'activité pour adolescents boutonneux à première industrie d'entertainment du monde, devant le cinéma, portée aussi par le succès des jeux pour mobiles. Ces derniers sont d'autant plus addictifs pour le mobinaute lambda qu'ils sont souvent proposés en «free-to-play», soit en accès gratuit avec des niveaux complémentaires payants. Le carton de jeux délicieusement régressifs, comme Angry Birds et Candy Crush, relayés par des publicités TV, a porté ce segment.

Le secteur a également été dopé par l'arrivée, l'an dernier, d'une nouvelle générationde consoles de jeux connectées (dites de 8e génération). Un million de celles-ci ont été vendues en France depuis le 1er janvier 2014, d'après le Sell. Des consoles avec en tête les PS4 et PS Vita de Sony, la Xbox One de Microsoft, la Wii U de Nintendo et la 3DS portative de Nintendo. Toutes sont connectées à internet. A la clé pour le «gamer», un univers plus riche et réaliste, l'accès à des plateformes de vente de jeux en ligne, en streaming, en téléchargement, etc. Avec ces nouvelles consoles, le jeu vidéo est donc entré dans une nouvelle ère, celle du tout-connecté. Depuis sa console, le gamer peut surfer sur internet, partager ses parties sur Twitter, Facebook, You Tube ou encore Twitch, la plateforme à la mode qui diffuse des jeux en streaming, rachetée par Amazon en septembre pour 970 millions de dollars. Sur son site, certaines parties sont suivies et commentées en direct par des dizaines de milliers de personnes.

Du pain-béni pour les éditeurs, qui capitalisent sur les réseaux sociaux et les plateformes digitales pour lancer leurs blockbusters. «Electronics Arts a désormais un budget marketing plus important sur les médias sociaux et le digital qu'en publicité TV. Contrairement à Activision, qui mise encore beaucoup sur la publicité “mass-market”», explique Leslie Griffe de Malval, analyste au cabinet Fourpoints IM.

Tous les éditeurs ont développé leurs fils Twitter et pages Facebook par licences de jeux. Cela leur permet de toucher directement leur communauté de fans. Ils ont aussi des plateformes digitales, prenant parfois la forme d'un jeu à part entière, qui sont désormais un axe central dans leur plan médias.

Pour le lancement de Far Cry 4, prévu le 18 novembre, l'agence Grey Paris a planché trois ans sur un jeu en ligne adapté, avec la société de production Stink Paris et sa filiale Stink Digital. Au menu, un nouveau rite de passage révélé chaque semaine depuis le 22 octobre, 168 séquences très cinématographiques, une exposition de street art à l'Espace Fondation EDF avec des fresques de l'artiste C215, présentes par ailleurs dans Far Cry 4. «C'est une expérience interactive avec des séquences cachées qui se déclenchent quand vous cliquez dessus: on compte sur ce type de contenus pour que les gamers partagent leurs expériences sur les réseaux sociaux», explique Thierry Astier, directeur de la création de Grey Paris. L'agence compte sur ce potentiel viral pour faire connaître le jeu, et sur les 2 millions de fans de sa page Facebook officielle, plus que sur une campagne classique, composée de quelques teasers de 20 secondes et d'un «trailer» (bande-annonce).

La console, pont entre jeu et jouet

Pour les éditeurs, les consoles connectées sont aussi un formidable outil de mesure en temps réel des comportements de leurs clients. Déjà, en «postant» les trailers des jeux vidéos sur les réseaux sociaux après qu'ils aient été dévoilés au salon E3 – souvent un an avant la sortie du jeu –, les éditeurs peuvent mesurer les réactions des fans et orienter le développement du jeu. Sur les nouvelles consoles connectées, «les éditeurs savent en temps réel si tout le monde s'est arrêté à tel niveau, et du coup peuvent modifier le jeu», détaille Leslie Griffe de Malval.

Ubisoft est allé plus loin en développant une véritable carte de fidélité: sa plateforme Uplay, qui propose aux gamers des avantages (accès à des bonus de jeux, des contenus spécifiques…) en contrepartie de leurs données personnelles. «Ubisoft sait ainsi si le joueur est fan d'Assassin's Creed, ce qu'il achète. Des informations précieuses sur le client qu'il n'avait pas avant», poursuit Leslie Griffe de Malval.

Ces consoles de 8e génération ont aussi donné naissance à un nouveau segment: le «jouet-vidéo», figurine créant un véritable pont entre les jouets physiques et les jeux vidéos. Le concept: une fois posée dans un espace adapté sur le gamepad (petite manette de jeu) de sa Wii U, par exemple, grâce à la technologie NFC, la figurine est aussitôt intégrée dans le jeu vidéo en cours. «Un peu comme les Pokemon, ce sont de véritables personnages que le joueur peut nourrir, entraîner, faire progresser, déplacer sur les jeux de ses copains», explique Philippe Lavoué, le directeur général adjoint de Nintendo France. Une manière de capter une nouvelle clientèle, les enfants.

C'est Activision qui a créé ce nouveau segment du jeu-vidéo fin 2011, avec Skylanders. Mais il s'étoffe, avec des acteurs issus de l'audiovisuel ou du jouet classique: Disney a lancé en 2013 Disney Infinity, où les figurines d'emblématiques personnages de la maison et de Pixar prennent vie à l'écran. D'ailleurs, d'ici Noël doivent être lancées une vingtaine de figurines, dont Spiderman et La Fée Clochette. Lego, de son côté, proposera aux Etats-Unis sa gamme Fusion, qui permet d'importer ses propres créations dans des mondes virtuels. Nintendo cède aussi à la mode en dévoilant au Paris Games Week ses figurines Amiibo. Compatibles avec le nouveau jeu Super Smash Bros for Wii U, elles le seront ensuite avec les différents jeux Nintendo. «Le joueur veut retrouver ses personnages au-delà des jeux vidéos, donc certains éditeurs poussent ces personnages dans plusieurs univers: figurines, cinéma, livres, bandes dessinées… On retrouve le modèle hollywoodien du blockbuster décliné sur plusieurs supports», résume Leslie Griffe de Malval. Une diversification des marques de jeux vidéos largement inspirée du cinéma et de l'audiovisuel. Ubisoft en a fait un axe de développement en lançant son propre studio de production en 2011, Ubisoft Motion Pictures, qui sortira son premier long métrage, Assassin's Creed, en 2015. Les concurrents suivent: Activision a accordé à Universal une licence pour le film World of Warcraft, prévu en 2016. Sortiront aussi Angry Birds (Rovio), Shadow of the Colossus (Sony), Tetris.…

Nouveau terrain de jeu

«Microsoft et Sony travaillent sur la réalisation de séries exclusives, voire de films exclusifs déclinés de leurs jeux, qui seraient diffusés sur leurs chaînes de jeux Xbox Live et Playstation Network», ajoute Guillaume de Fondaumière, président du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). Steven Spielberg travaille ainsi sur une série télévisée déclinée de Halo, prévue pour la Xbox Live.

Mais le prochain nouveau canal de distribution pour les jeux vidéos pourrait bien être le casque Oculus Rift, attendu pour 2015, qui promet de rendre l'expérience de jeu plus immersive. Le casque permet d'explorer cet univers en levant les yeux et en tournant la tête. Pour la première fois, la société Oculus GR dispose d'un stand à Paris Games Week, où sont présentés, en démonstration, les jeux Alien Isolation de Sega, War thunder (Gaijin Online) et Project cars (Bandai). Le géant Samsung lancera en 2015 son propre casque, le Gear VR, conçu avec Oculus. Sony et Microsoft préparent aussi les leurs. Un nouveau terrain de jeu pour les géants du secteur.

 

 

Focus

66,7 milliards d'euros. Chiffre d'affaires de l'industrie du jeu vidéo dans le monde (2013).

2,2 milliards d'euros. Chiffre d'affaires en France (2013), dont près de 1 milliard pour les consoles et accessoires.
7 grands studios produisent des «AAA vidéos» (les blockbusters du secteur).
250 entreprises environ travaillent en France dans le secteur du jeu vidéo.
1 million. Nombre de foyers français ayant acquis entre janvier et septembre 2014 une console portable ou de salon connectée, dite de 8e génération.

Sources: SNJV et Sell.

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