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Les places de marché, sur lesquelles se positionnent les plates-formes d'achat et de vente programmatique, gagnent l'ensemble de l'écosystème publicitaire digital, au-delà du seul RTB.

Ne dites plus RTB (Real Time Bidding), parlez plutôt d'achat programmatique. En quelques mois, le marché publicitaire a connu un changement de vocabulaire qui décrit davantage une révolution des pratiques qu'un simple effet de mode. Le RTB – l'attribution aux enchères – s'intègre dans cette révolution programmatique, laquelle se détermine par un processus d'achat automatisé d'espaces publicitaires digitaux touchant en temps réel une cible plus ou moins définie sur des plates-formes réunissant vendeurs et acheteurs, les fameux ad-exchanges.

Différents modes de vente sont concernés, ceux passant par des enchères ouvertes à tous les acheteurs ou réservés à quelques-uns comme ceux réalisées avec des conditions tarifaires ayant été définies en amont par les deux parties. Le marché du RTB représente «encore 90% des transactions» dans le programmatique, souligne Fabien Magalon, directeur général de La Place Media. Il pèse 117 millions d'euros en 2013 et devrait atteindre 400 millions en 2018, selon une étude Precepta (groupe Xerfi), parue en septembre.

Et en dehors des enchères? «Les grands éditeurs testent les autres formes et cela fonctionne bien techniquement, mais ne se fait encore que sur de petits volumes», constate Alexis Marcombe, directeur général délégué du digital chez Figaro Médias depuis l'été dernier et ex-président d'Audience Square. Selon un expert, «on est encore dans la communication, avec une régie qui envoie un communiqué dès ses premières campagnes de programmatique direct».

Dossier : Ad-exchange, la révolution programmatique

Il n'en reste pas moins que toutes les prévisions indiquent une explosion de l'achat automatisé. Selon l'IDC, les dépenses publicitaires dans le digital en France devraient passer de 757 millions d'euros en 2013, dont 13% pour le programmatique, à 1 205 millions en 2017, dont 36% dans le programmatique. «Le marché a un an d'avance par rapport aux prédictions, relève Erwan Le Page, nommé à la direction générale d'Audience Square début octobre. On prévoyait 20% de programmatique dans le display pour 2015 et on y est déjà.» Cette croissance a été portée notamment par les deux places créées par les régies médias, La Place Media et Audience Square. Ainsi, la seconde «a doublé son chiffre d'affaires au 1er semestre 2014», selon son directeur. La structure commercialise tous les formats de valeur et le positionnement des inventaires ne se limite plus au bas de page (un tiers des emplacements vendus concerne le haut de page et l'habillage n'est pas exclu du RTB). Audience Square commercialise même le premier contact avec l'internaute dans l'offre «first impact», qui place la campagne d'un annonceur passant par l'ad-exchange avant celles diffusées par l'éditeur, pour un prix forcément plus élevé.

Fabien Magalon, responsable de La Place Media, souligne les efforts menés également dans «l'amélioration des dispositifs, de plus en plus enrichis de datas et de mesure de validation, notamment en termes de visibilité».

Deals privés en pleine expansion

Longtemps réservé au display, le programmatique s'étend depuis l'an dernier au mobile, à la vidéo et aux «deals», via les accords-cadres passés entre régies et annonceurs ou agence médias. Si le display représentait 95% des dépenses dans le programmatique en 2013, il devrait encore peser 86% cette année (sur un total de 113 millions d'euros, selon IDC), et ne représenter que 41% de l'ensemble en 2017.

Sa progression sera donc inférieure à celle du mobile, des deals et de la vidéo, lesquels devraient capter respectivement 30%, 21% et 8% des 321 millions d'euros de recettes du programmatique prévues dans trois ans, selon IDC. Il s'agit également d'une évolution assez naturelle car elle s'adapte aux nouveaux usages du public, friand de smartphones et de vidéo sur internet. Et «le RTB a du mal à se généraliser à tous les formats, les deals préférentiels prenant le pas avec les grosses agences qui ne veulent pas être mise en concurrence impression par impression», explique Loïc Soubeyrand, directeur général de Teads.

Les éditeurs ont la tentation de «reprendre de plus en plus la main sur leur inventaire, avec des offres de programmatique direct privé permettant de vendre les campagnes en transparence avec des garanties», se réjouit Alix Pandréa, directeur général adjoint de Lagardère Publicité. Depuis un mois, ses commerciaux proposent de nouvelles offres aux trading desks, aux agences médias et aux indépendants.

Même chose chez Prisma Pub, qui se veut maintenant apporteur de solution pour les annonceurs et «lance une offre de deals privés où sont coordonnées les demandes d'accès aux espaces premiums», annonce Philipp Schmidt, directeur exécutif de la régie, rebaptisée Prisma Media Solution. Il compte sur une dizaine de clients d'ici la fin de l'année, qui «pourront jouer ainsi la carte de la sécurité en termes de visibilité» et suivre ainsi «Amnet, le trading desk de Dentsu Aegis Network, premier à avoir signé».

«Ces deals de programmatique vont croître fortement, complète Rolf Heinz, PDG de Prisma. Ce n'est pas seulement de l'inventaire de deuxième classe, mais des emplacements de choix voire de la publicité sur mesure.» Comme pour ses magazines imprimés, le groupe travaille parfois parfois directement avec l'annonceur: «C'est le client, le roi», rappelle le patron. «La priorité est donnée à celui qui rémunère le mieux», estime Alix Pandréa, qui exclut toutefois du programmatique les formats exclusifs comme l'habillage.

Au delà de l'inventaire invendu, le programmatique peut servir à mieux valoriser ce qui est le plus demandé par le marché. Mais comment arbitrer entre ce qui relève des ad-exchanges partenaires, comme Audience Square, de ce qui peut être traité en direct. «Si les annonceurs veulent du contact, de la productivité, ils sont orientés vers la place de marché, explique Philipp Schmidt. Mais s'ils veulent plus d'engagement, on leur trouve les espaces nécessaires.»

Les clients se montrent, eux, surtout intéressés par une approche qui place le consommateur au cœur de la stratégie. «C'est le brief que les annonceurs commencent à nous envoyer, confirme Olivier Mazeron, coprésident de Group M Interaction. Car, quand on arrive à mettre le consommateur dans une case, on peut lui parler en fonction de sa qualité et avec le bon message.»

Mais partir d'une logique de masse pour en arriver là nécessite de franchir différentes étapes. «Jusqu'ici, nous étions dans le médiaplanning, qui permet une communication “one-to-many” et représente encore 90% des achats, précise Laurence Milhau, directrice programmatique de Group M. Avec les deals privés, on passe à l'audience planning qui concerne une communication “one-to-few”. La dernière étape se concentrera sur le people planning et autorisera une communication “one-to-one”.» Avec, au centre de cette évolution, un recours de plus en plus fréquent aux datas délivrées par des DMP (Data Management Plateforms).

Des données interopérables

Les données doivent en effet permettre d'optimiser les investissements publicitaires d'annonceurs toujours plus friands de ROI (retour sur investissement). Sauf qu'aujourd'hui, presque toutes les parties revendiquent une spécificité, et il est difficile de s'y retrouver. Les éditeurs ont naturellement leur DMP, constituée de données sur leurs audiences, abonnés… «très poussées dans le socio-démographique, les univers traités voire les intentions d'achat», souligne Sylvain Deffay, directeur d'Infectious Media France.

Certains annonceurs ont leur propre DMP qui est leur propriété et est «très efficace pour la transformation en vente via le retargeting, mais ne permet de toucher que les internautes déjà en contact avec la marque», poursuit-il. Enfin, certaines agences médias, des trading desks ainsi que des prestataires disposent aussi d'une DMP, plus utile pour connaître la spécificité des formats. «Mais avoir une DMP n'est utile que si elle est suffisamment puissante et bénéficie d'une réactualisation régulière», estime Olivier Mazeron. Group M préfère d'ailleurs se limiter à la recommandation en fonction de la problématique des clients. «Il n'est pas nécessaire d'en avoir une trop complète», précise Sylvain Deffay. Car le plus important est d'arriver à développer l'interopérabilité entre les différentes données. On constate ainsi «une forte accélération des modèles “look-alike”, c'est-à-dire regarder quels internautes achètent un produit et trouver des profils jumeaux», note Franck Lewkowicz, directeur général de Quantcast.

Cette évolution vers un ciblage de plus en plus précis, via l'interconnexion des datas, n'est pas sans risque. «A chaque critère introduit, on réduit un peu plus le volume du panel, constate un expert de la DMP. Et lorsqu'on extrapole à un échantillon plus large, on accroît le risque d'augmentation de la marge d'erreur.» Enfin, «de nombreuses campagnes continuent de diffuser le même message, quel que soit le contact», déplore un vendeur, pour qui «le parent pauvre reste la création».

Cela n'empêche pas certains de penser à une extension du programmatique à tous les médias. Marianne Siproudhis, présidente d'Amaury Media, travaille depuis un an avec d'autres acteurs médias à la mise en place d'un outil de réservation, un «ad-exchange de la presse», dont le nom de code est Constantinople. «Il permettrait l'achat automatique du tout venant sans intervention humaine», explique un responsable de régie.

«Le programmatique va prendre une ampleur sur toute forme d'écran digital: télévision connectée, évidemment, affichage, cinéma…», complète Anne de Kerckhove, directrice EMEA de Videology. Chez Havas Media, «on travaille déjà sur l'achat automatisé dans les médias traditionnels», annonce Sébastien Robin, directeur programmatique. Et de citer le système DYN Auction, qui permet les enchères à la hollandaise (le prix est progressivement abaissé jusqu'à trouver un acheteur) en télévision, où les régies répondent à un brief pour une campagne. On peut aussi citer le système Radio Ad Coustik, pour acheter sur les radios digitales, les webs radios et les opérateurs, comme Spotify ou Deezer.

 

 

FOCUS. La loi Sapin en ligne de mire

L'intervention de la Secrétaire d'Etat en charge du numérique, Axelle Lemaire, à l'Udecam le 5 septembre, prévoyant de rattacher le «sujet Sapin et internet» à une consultation en vue de son futur projet de loi numérique a été saluée par le Syndicat des régies internet (SRI). L'idée est de clarifier par un cadre réglementaire actualisant la loi Sapin (1993) le marché des ad-exchanges, où certaines agences médias se retrouvent à la fois en position d'acheteur et de vendeur d'espace. Le SRI invite à prendre en compte «la fragilité économique du secteur, la grande capacité d'innovation et de création d'emplois du digital sans isoler le marché français». Ou, comme le dit Daniel Saada, président de France Télévisions Publicité, «il faut trouver une solution qui permettent de ne pas bloquer le business. C'est l'intérêt de l'ensemble des parties que le programmatique se développe.»

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