Lanceurs d’alerte, journalistes et activistes utilisent le documentaire pour dénoncer des vérités qui dérangent et pousser à l’action. Après la vague coup de poing, voici venu le temps des solutions et des initiatives exemplaires.

« Nous avons deux pouvoirs : celui de voter et de consommer. » Cette phrase ne vient pas d’un homme politique, mais d’un réalisateur engagé, Jean-Paul Jaud. Son prochain film, Libres !, actuellement en campagne de crowdfunding, devrait sortir en salle en 2015. Il retrace le parcours initiatique d’enfants de France, du Japon et du Danemark autour des énergies renouvelables. Destinés à alerter l’opinion sur l’alimentation, la santé, les pesticides et l’environnement, les films de Jean-Paul Jaud [Tous cobayes (2012), Severn, la voix de nos enfants (2010) ou Nos enfants nous accuseront (2008)] s’inscrivent dans cette mouvance de documentaires qui ont contribué à réveiller les citoyens-consommateurs.

Dénoncer les dérives d’un système caméra au poing : ce mode d’expression a été impulsé et démocratisé il y a quelques années par le réalisateur Michael Moore qui dénonçait dans Bowling for Columbine la culture de la peur et l’industrie meurtrière de l’armement aux Etats-Unis, ou la crise financière des années 2007 à 2009 dans Capitalism : A Love Story. En France, Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation multiprimée, a su démontrer l’impact d’un documentaire avec, en 2008, Le monde selon Monsanto. Cette critique des pratiques hégémoniques de la multinationale et de la toxicité de ses produits a été traduite en plus de quinze langues et diffusée dans une vingtaine de pays. Indéniablement, le film a forgé l’image de l’opinion publique sur les OGM, nuit à l’image de l’entreprise et influencé les politiques en France mais aussi outre-Rhin, où il a été couronné du Umwelt-Medienpreis, le prix des médias allemands.

Depuis, le genre documentaire, diffusé sur grand écran puis en DVD, est devenu un outil de communication privilégié des mouvements de défense de l’environnement. Et ils sont nombreux, ces « artivistes » de l’image : Davis Guggenheim, réalisateur d’Une vérité qui dérange sur le combat d’Al Gore, oscar du meilleur film documentaire en 2007 ; Leonardo DiCaprio, acteur et producteur de La 11e heure (2008), un documentaire écologique choc ; Yann Arthus-Bertrand et Home, en 2009, financé par PPR, Nicolas Hulot et Jean-Albert Lièvre avec Le syndrome du Titanic la même année, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud avec Océans en 2010…

Côté télévision, certains reportages ont fait date. Comme l’enquête choc d’Envoyé spécial, en 2004, qui révélait l’existence de travailleurs clandestins fabriquant, dans des conditions d’hygiène exécrables, des raviolis vapeur pour des restaurants chinois. Les petits traiteurs asiatiques affirment que cette année-là en France, leur chiffre d’affaires a chuté de 20 à 30 % et que certains établissements ont dû fermer leurs portes. En novembre 2013, un autre numéro d’Envoyé spécial revenait sur les élevages industriels de saumon et de panga et l’utilisation massive de produits chimiques pour endiguer les parasites et les maladies se multipliant dans les bassins, du fait de la surpopulation.
« Cette émission a passionné 4,44 millions de téléspectateurs, soit 16,5 % du public présent devant son poste de télévision ce soir-là, de 20 h 50 à 22 h 20. Le meilleur score du programme depuis un an, tant en en audience qu’en part d’audience », a commenté Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies et de Graines de changement, sur le site de consommation responsable qu’elle a créé, Mescoursespourlaplanete.com. Mais après ? « Le documentaire n’a pas proposé beaucoup de pistes, regrette-t-elle. Il aurait pu suggérer aux parents de demander aux cantines de cesser de servir du panga aux enfants ou rappeler qu’il existe des origines moins suspectes que la Baltique pour le poisson sauvage, l’Alaska par exemple. Voire signaler l’existence d’élevages bio pour un certain nombre d’espèces, le bar, le saumon, la dorade ou les crevettes. »

Et de fait, l’heure n’est plus aux documentaires alarmistes, mais aux films orientés solutions. Une nouvelle approche dans la lignée du journalisme d’impact défendu par Christian de Boisredon, fondateur de Sparknews, une agence d’informations alimentant les journaux en bonnes nouvelles, avec l’idée que c’est ce qui est positif qui suscite l’action et donne envie d’agir. Il s’agit désormais de célébrer le pouvoir citoyen, l’intelligence des territoires, les initiatives qui font bouger le monde, à l’image de la politique éditoriale inititiée chez Canal + par Christine Cauquelin, aujourd’hui directrice des chaînes thématiques Découverte, à l’origine d’une série de documentaires-actions.
« On en a assez d’être dans un discours d’écologie punitive, on a besoin d’une écologie constructive », explique Christophe Rioux, économiste, écrivain théoricien de l’artketing et cofondateur du mouvement slow made, qui prône le produire autrement. Et de citer l’exemple du documentaire de Coline Serreau Solutions locales pour désordre global, sorti en 2010, et dont il partage la démarche.

Ce discours positif est aussi celui du documentaire Demain, prévu pour 2015. Coréalisé par l’actrice réalisatrice Mélanie Laurent et Cyril Dion, à l’origine de la revue Kaizen et cofondateur des Colibris, il consiste en un tour du monde des solutions mises bout à bout, pour montrer qu’elles forment déjà un modèle de société cohérent. « A force de chercher comment faire bouger la société, une évidence s’impose, explique Cyril Dion. Si nous voulons donner envie au plus grand nombre de construire un monde meilleur, il faut lui donner un visage. Montrer à quoi il pourrait ressembler et créer l’envie d’y habiter. Annoncer les catastrophes, empiler les désastres écologiques et économiques ne suffit pas à déclencher un sursaut. Nous avons besoin d’imaginer le futur, de le rêver, pour le mettre en œuvre. Et rien n’est plus puissant que le cinéma pour y parvenir. »
Un projet qui a trouvé un fort écho : Cyril Dion et Mélanie Laurent ont réussi à récolter plus de 400 000 euros sur Kiss Kiss Bank Bank pour qu’il puisse voir le jour. Soit, à fin novembre 2014, la plus grosse collecte de crowdfunding en France.

« Le documentaire, c’est un acte citoyen. Quel que soit notre milieu social, personne ne peut nous enlever notre droit de regard, notre sensibilité au delà de la parole », commente Lucia Wainberg, réalisatrice de Mujica, le pouvoir est dans le cœur, un portrait intime du président urugayen José Mujica, porte-étendard du « gouverner autrement », actuellement projeté au cinéma Saint-André-des-Arts, à Paris. Lucia a financé et a distribué seule son long métrage. Elle incarne « l’empowerment » – la capacité à prendre en main son destin – qu’elle raconte à travers ce portrait. Pour elle, le documentaire doit être une inspiration, une motivation à faire le pas, à l’image de cette personne qui a pris l’initiative de faire 5 000 copies du film et voyage partout dans le monde pour diffuser son message. Et Lucia de conclure : « Faire un documentaire, c’est une inspiration positive, un désir de transmettre, un besoin d’être au monde. C’est le seul endroit où l’on peut exercer une grande liberté, un autre rapport au réel, loin de la standardisation de l’information. »

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