Clé virtuelle, détection des émotions du conducteur, voiture autonome… Valeo consacre désormais plus d’un milliard d’euros à la R & D. Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation du groupe, revient sur les nouveautés à venir.

En 20 ans, qu’est-ce qui a le plus changé dans l’automobile ?

Guillaume Devauchelle. La réponse est très différente d’une zone géographique à l’autre. Dans un pays mature comme la France, la mission principale d’un véhicule n’est plus de vous transporter d’un point A à un point B. Cela est considéré comme acquis. On ne parle plus de fiabilité ou de voiture qui démarre bien tous les matins. La maintenance est moins présente. La population se concentre par ailleurs en ville donc l’usage devient plus urbain. Le véhicule multi-usage évolue. Il se segmente, se spécialise sur des missions bien particulières : les longs trajets d’un côté, les courtes distances de l’autre.

 

Est-ce toujours un objet statutaire, évocateur de puissance ?
G.D.
La voiture reste statutaire. Certaines fonctions sont purement d’estime, comme les jantes en aluminium. Pour un ingénieur, c’est moins beau et plus cher à fabriquer qu’une jante en tôle, mais cela fait rêver. Et leur diamètre augmente, car dans l’imaginaire du consommateur, plus elles sont grandes, plus le véhicule est rapide. Pour le reste, il y a une grande différence entre les déclarations et les actes. Les consommateurs achètent tout d’abord du confort. Dans leurs attentes, la lutte contre la pollution vient en dernier. Et en avant-dernier, la sécurité. Les accidents, « c’est pour les autres » et la pollution, « ce n’est pas eux »…

 

La voiture va-t-elle davantage changer dans les dix ans qui viennent qu’au cours du siècle écoulé ?
G.D.
Oui, et le changement le plus notable vient de la voiture connectée. Avant, vous aviez une tranche de vie d’un côté, une autre tranche de vie de l’autre et entre les deux une expérience de mobilité, un trajet. Aujourd’hui, les consommateurs veulent une continuité. La voiture n’est plus considérée comme une rupture. Ce mélange des genres se retrouve dans d’autres domaines. Auparavant, vous étiez au travail ou à la maison. Désormais, vous pouvez travailler avec un ordinateur portable de chez vous. Nous sommes dans la même situation que les fabricants de téléphones il y a quinze ans. Le portable ne servait alors qu’à la voix. Aujourd’hui, cet outil permet d’envoyer des textos, de filmer, d’enregistrer… L’usage principal a changé.

 

A quoi servira la voiture ?
G.D.
A se soigner, par exemple. En Asie, la population respire très mal. Pourquoi ne pas purifier l’air de l’habitacle, enlever les pollens et les particules, envoyer des ions des montagnes ? Vous pourriez aussi avoir à disposition une ambiance relaxante, des sièges massants, mais aussi des couleurs, de la musique… Et pourquoi pas un cours de chant ou une séance de relaxation si vous ne conduisez pas ? En suivant le parallèle avec l’industrie de la téléphonie, les fabricants de portables n’imaginaient pas il y a 15 ans que vous pourriez acheter avec un mobile. De nouvelles fonctions vont apparaître, comme l’apparition de cabines autonettoyantes pour l’autopartage. Et cela apparaîtra aussi banal que la présence d’un autofocus sur un appareil photo.

 

Le smartphone est-il le meilleur allié de la voiture du futur ?
G.D.
Le mobile, c’est votre identifiant, votre vie. Vous avez vos contacts, votre musique, votre manière d’être, votre état de santé. Appliqué à la voiture, il va permettre de modeler les habitacles au goût et à la taille de chacun. Demain, la voiture caméléon s’adaptera à vous et se transformera en fonction de vos envies et de vos besoins. Vous pourrez ainsi suivre la tendance sans avoir besoin de changer l’intégralité du moteur.

C’est le mobile qui va vous permettre de lancer l’application In Blue en 2016. Quels sont les apports de cette clé virtuelle ?
G.D.
In Blue permet de verrouiller, de déverrouiller et de démarrer une voiture à partir d’un téléphone portable. Grâce à elle, vous communiquez une utilisation limitée ou partielle de votre véhicule. Je peux ainsi vous donner accès à ma voiture pour 15 jours uniquement dans Paris. La clé virtuelle ouvre aussi la porte à de nouveaux usages. Par exemple, il est possible de déléguer la clé à un livreur pour ouvrir votre coffre une seule fois, à une heure précise. Votre voiture est garée, géolocalisée. Le livreur prend votre position GPS. Il dépose votre commande. Une mère de famille peut prêter sa voiture à son enfant qui vient d’avoir le permis en limitant les km/heure. Dans les pays froids, elle permettra de commander à distance le dégivrage d’un pare-brise 5 minutes avant de démarrer le véhicule. C’est une application intuitive, très simple, qui sera également très utile pour l’autopartage.

 

Où en est la voiture autonome ? Peut-on imaginer, comme le présente Google, un conducteur totalement déchargé qui n’a plus qu’à consommer de l’internet à bord ?

G.D. Le tout-automatique ne sera possible qu’avec une autre révolution de la société, des heures ou des zones urbaines prévues à cet usage. Mais cela concerne les transports en commun. Pour le véhicule individuel, nous ne croyons pas au totalement déchargé. Il n’y a pas de théorie pour y arriver, pas de solution technique. Un bon exemple : traverser la place de l’étoile sans danger est impossible. L’homme sait prendre un risque, mais une machine, non. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a des accidents, car une fois sur 1 000 ou 10 000, cela ne fonctionne pas… Pour nous, le futur, c’est la conduite intuitive. Un mélange de conduite active et autonome. Le conducteur est déchargé mais par séquences, dans un embouteillage ou en ville, à basse vitesse.

 

Une sorte de conduite accompagnée ?

G.D. Le véhicule doit comprendre ce que le conducteur est en train de faire pour reprendre la main si nécessaire. Nous travaillons sur des méthodes de détection des piétons ou de l’humeur du conducteur qui vont se généraliser. Exemple : une caméra extérieure repère un passant. S’il s’apprête à traverser, il présente un danger. Si le conducteur le regarde, le véhicule ne fera rien. S’il ne le regarde pas et qu’il est éveillé, la voiture va envoyer un signal lumineux ou sonore pour attirer son attention. Si malgré cela, le conducteur ne réagit pas, le véhicule va actionner un système d’arrêt d’urgence. Avec une caméra, il est également possible de détecter ses battements de cœur sur ses tempes, le clignement de ses paupières, un état d’énervement ou d’excitation… L’objectif est de savoir s’il est en mesure de prendre la bonne décision au regard de la route. La réaction du véhicule dépendra de son état de conscience. Ce sont des interactions fines et variées entre la voiture et son pilote qui vont rendre la conduite intuitive possible.


Les consommateurs vont-ils l’accepter ?

G.D. Contrairement aux idées reçues, ils aiment porter des bracelets qui enregistrent les pulsations cardiaques et manger avec une fourchette qui compte les calories… Mais il est vrai qu’une voiture qui freine ou conduit à votre place, cela peut être au début inconfortable, voire traumatisant. En ce sens, Google fait un très beau travail de communication. Même si ce qu’il présente n’est pas applicable directement, car il habitue les gens à l’idée de la voiture autonome, il crée l’envie, le besoin. Enfin, les écrans de contrôle reproduisant la route rassurent le conducteur. Demain, nous verrons l’apparition de la réalité augmentée. La route apparaîtra mise en scène comme dans un jeu vidéo.

 

Il faut, il est vrai, une sacrée confiance dans la technologie…

G.D. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a dix fois moins d’erreurs qu’avec les hommes. Mais il est vrai que celles venant de la technologie sont moins acceptées. Nous devons habituer les gens par étapes. Nous avons commencé il y a 15 ans avec des manœuvres de parking semi-automatiques qui ne nécessitaient pas de toucher le volant. Elles équipent aujourd’hui 5 millions de véhicules. Et 100 % des consommateurs qui ont choisi l’option la reprennent…. Aujourd’hui, nous proposons un parking totalement automatique avec conducteur ou non dans la voiture. C’est le portable qui sert de télécommande. Vous laissez la voiture à l’entrée d’un parking et elle se gare toute seule.

 

Quelle est l’étape suivante ?

G.D. A l’avenir, vous prendrez un billet d’avion. Le système, qui sait que vous venez en voiture, réservera à l’aéroport une place de parking. Vous laisserez à l’entrée votre voiture qui se garera toute seule. A votre retour, votre voiture programmée se placera toute seule à l’entrée de l’aéroport et vous récupérera à la descente de l’avion. Nous travaillons avec des gestionnaires d’infrastructures sur ce projet. Cela viendra assez rapidement, avant 2020.


Les enjeux de communication sont-ils importants ?

G.D. Oui. Pour que ces nouveautés se vendent, nous devons chercher l’effet waouh. Si je vous dis que j’ai besoin en permanence de scruter votre visage, vous n’allez pas apprécier. C’est Big Brother. Si je vous dis que la voiture va vraiment vous obéir au doigt et à l’œil, c’est magique.


Et cela va arriver avec la commande par le regard…

G.D. Valeo a mis au point la commande oculaire. Les fonctionnalités présentes sur le tableau de bord s’activent grâce au regard. Le conducteur peut ainsi changer de station de radio en regardant le bouton de commande. Nous l’imaginons combiné à « l’affichage tête haute ». Les commandes s’affichent en surbrillance sur le pare-brise. Le conducteur peut actionner une commande sans quitter les yeux de la route. C’est important pour la sécurité.


N’est-ce pas les écrans tactiles qui s’imposent aujourd’hui dans les voitures ?

G.D. Oui, parce qu’ils sont dominants dans d’autres domaines, notamment sur les mobiles, et que le consommateur prend des habitudes. Cependant, pour la voiture, ils constituent une mauvaise solution. Soit l’écran est proche du conducteur et il faut que ses yeux accommodent, soit il est loin et il faut qu’il l’atteigne. Nous misons donc sur la commande par les yeux ou par mouvement dans l’air. à ce titre, nous observons avec beaucoup d’intérêt les jeux sur console Wii. Dans l’ensemble, nous comptons sur les entreprises grand public pour initier et déployer de nouveaux usages. Il y a en effet moins de risques à les tester dans un salon que sur une route. La voiture intègre des fonctions déjà digérées ailleurs. Elle n’est certainement pas pionnière dans l’interface homme-machine.


Quels sont vos autres grands axes d’innovation ?

G.D. Nous travaillons sur tout ce qui limite la consommation d’énergie, mais pas sur une voiture 100 % électrique qui n’est pas synonyme de propre. Surtout si son énergie provient d’une centrale à charbon et qu’elle présente le même niveau d’énergie stockée que lorsqu’un véhicule vous avertit de vous rendre la pompe. Nous misons donc sur un véhicule hybride utilisant l’énergie électrique et thermique. En centre-ville, si c’est pollué, je pourrai rouler en électrique et changer pour un trajet suburbain. Pour du tout-électrique, il faudrait un progrès gigantesque des batteries, un prix Nobel. Or ces innovations sont actuellement limitées, incrémentales. Il n’y a pas de rupture technologique forte.


Vos innovations tiennent-elles compte des mégatendances sociétales à 30, 50 ans ?

G.D. Oui, bien sûr. Nous voyons que la population se concentre dans les mégapoles, qu’elle vieillit et qu’elle est connectée. Ce qui va donner naissance à des véhicules urbains spécifiques qui consomment peu, avec pour les seniors des aides à la conduite – écrans de recul, parking automatique – qui évitent de tourner la tête. Leur consommation d’énergie dépendra du mix énergétique de chaque pays. Pour la France, nous élaborons différents scénarios en fonction de l’évolution de l’image du nucléaire. Jusqu’à 2020, la perception est très bonne. Les véhicules seront donc thermiques à plus de 90 %. La portion de véhicules électriques restera très faible, pas plus de 3 %, mais il y aura beaucoup de véhicules plus ou moins hybrides. Dans nos scénarios, le plus fluctuant est la part des véhicules électriques. A l’horizon 2025, elle variera de 5 à 20 % en fonction des pays.

 

Directeur innovation et développement scientifique du groupe Valeo depuis 6 ans,  Guillaume Devauchelle, diplômé de l’école Centrale Paris, a fait toute sa carrière dans l’équipement aéronautique et automobile. Il est vice-président de la Société des ingénieurs de l’automobile (SIA) et membre du conseil d’administration de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

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