Directeur de la recherche et du développement du « New York Times », Matt Boggie explore de nouvelles manières de produire et consommer l’information. Rencontre dans son laboratoire, au siège du célèbre quotidien américain.

Nous allons utiliser de plus en plus d’outils pour nous informer : Google Glass, tablettes, miroirs intelligents, montres… Comment vous y retrouvez-vous ?

Matt Boggie. Les évolutions technologiques transforment la façon dont les lecteurs reçoivent l’information. à chaque innovation sont associés une nouvelle présentation, une nouvelle collecte de données, un nouveau flux. En ce moment, je m’intéresse aux petits outils. Je porte une montre Motorola, bourrée de données. Mais je ne vais pas m’en servir pour regarder une vidéo ou lire un article. L’écran est trop petit, ce n’est pas pratique. En revanche, cette montre pourrait m’apporter un nouveau service, en m’envoyant une alerte lorsqu’un sujet intéressant se présente. Elle me donnera par exemple les premiers résultats des élections et j’irai ensuite approfondir le sujet en consultant mon ordinateur. L’endroit où je me trouve est également important. Si je passe à côté d’un restaurant, la montre du futur pourra me fournir un avis critique sur l’établissement.


Que pensez-vous des Google Glass ?
M.B. Je ne suis pas convaincu. C’est une première étape vers le futur, une technologie qui sert d’intermédiaire avec le monde réel. Mais je suis gêné par le design. Si vous regardez le coin droit de mon œil, vous ne savez pas ce que je fais. Est-ce que j’enregistre ? Est-ce que je prends une photo ? Il n’y a pas de bouton rouge pour prévenir mes interlocuteurs que je suis en train de les enregistrer. Cet outil n’est pas transparent et rend les gens inquiets. Google a bourré ces lunettes de capacités étonnantes, parce que l’entreprise en avait les moyens. Mais ses concepteurs n’ont pas pensé de manière critique à son utilisation.

 

Il y a quelques années, le laboratoire du journal s’intéressait aux tables intelligentes. Est-ce toujours d’actualité ?
M.B.
Nous avons fait des essais avec des dessus de table dotés de technologies et d’ordinateurs. Cela coûtait alors plusieurs milliers de dollars. Aujourd’hui, les plateformes sont un peu moins chères. On voit encore des tables, des fenêtres, des murs intelligents servant d’interface. Mais on peut utiliser ces outils de façon plus subtile. Nous avons ici une table d’écoute qui peut être précieuse dans le cadre d’une réunion d’entreprise. Grâce à des capteurs, cet objet écoute les conversations, réagit au son de la voix, enregistre les phrases clés et prépare un compte rendu de la réunion. Si cette technologie travaille en partenariat avec une personne, le résultat est encore plus frappant. Les participants peuvent ainsi se servir d’une touche pour signaler que certains aspects de la conversation sont plus importants que d’autres.

 

Quel intérêt pour les journalistes ?

M.B. Cela peut changer leur façon de travailler, leur manière de conduire une interview, de prendre des notes ou de structurer leurs recherches.

 

A quoi vous sert cet écran rempli de cercles et de courbes se rencontrant en certains points lumineux ?
M.B. Cet écran évalue les flux d’informations quasiment en temps réel et le trafic du site Nytimes.com avec seulement deux minutes de retard. Les pointes vertes suivent le trafic en dehors du journal. Nous possédons énormément de données, nous pouvons savoir combien de pages sont cliquées, nous suivons un lecteur d’un article de la section science, par exemple, à la page opinion. Cela permet de comprendre comment il se rend d’un site à l’autre. Cette visualisation est la première étape de collaboration entre journalistes et chercheurs dans le but de créer un nouvel outil personnalisé, utilisant des données en temps réel.

 

Vous pouvez aussi créer des liens automatiques pour approfondir certains mots clés…

M.B. Nous mettons en contact toute une série d’algorithmes et d’articles. Si, par exemple, je tape une phrase simple, « le président Obama est à Boston », c’est une description très courte d’une histoire, mais que l’on peut l’approfondir avec les mots clés Obama, Boston… Le journaliste valide ces liens, ajoute du contenu puis souligne ce qu’il veut mettre en valeur.


Quel outil vous intéresse le plus ?

 

M.B. Nous étudions en ce moment la réglementation en Angleterre sur les drones. Ces engins permettent de prendre des photos qu’aucun professionnel en hélicoptère ne réalisera jamais. Le drone peut tout aussi bien survoler les bords d’un glacier, filmer une éruption volcanique. Il nous aidera à raconter une histoire sans prendre de risques. Or pour aller plus loin et filmer au plus près des gens, la technologie doit encore s’améliorer. Je pense par exemple aux manifestations cet été en Thaïlande. Le drone survole la foule, mais si la batterie lâche au mauvais moment ou si quelqu’un lance un projectile dessus, rien ne va plus.

 

Quelles sont les informations privilégiées par le lecteur ?

M.B. C’est un débat que nous avons entre nous. Qu’est-ce que l’information ? Le conflit en Irak, les élections locales ou l’ouverture d’un nouveau café ? Nous devons sans cesse élargir notre horizon, couvrir les guerres et l’inauguration de nouveaux restaurants. Nous sommes en compétition avec des professionnels qui se concentrent sur un seul aspect du sujet : les données statistiques, le tournage d’une vidéo ou la création d’un guide de restauration, par exemple. Notre marque de fabrique est d’être un très grand généraliste. Le lecteur d’un sujet sur les particules élémentaires va ensuite passer aux pages politiques, puis il lira la section immobilière. Avec le New York Times, on découvre, on est surpris. C’est en cela que nous sommes les meilleurs.

 

Travaillez-vous avec des start-up ?

 

M.B. Il leur arrive de nous montrer leurs nouvelles capacités et nous travaillons alors ensemble. Mais c’est rare, nous préférons construire nos propres prototypes.

 

Où trouvez-vous l’inspiration ?

M.B. Dans des lieux non traditionnels. Ainsi, nous allons lire une étude universitaire et nous isolons un petit morceau de technologie. Nous repérons un algorithme et c’est notre point de départ. Nous restons proches de l’univers des artistes du digital. Leurs prototypes contiennent de nombreux messages. Nous y entrevoyons des tas de possibilités, mais aussi les angoisses que peut générer la technologie. Nous devons à la fois comprendre les superpouvoirs d’un prototype et protéger la vie privée des gens. Il faut sauvegarder les valeurs fondamentales de l’être humain.

 

Le New York Times profite-t-il de vos recherches ?

M.B. Nous faisons 200 présentations par an devant les agences de publicité, la rédaction du New York Times et celles d’autres journaux. Nous sommes là pour inspirer, non pour concevoir des applications pratiques pour la rédaction.

 

Agé de 37 ans, Matt Boggie est le directeur du laboratoire de R&D du quotidien américain
New York Times. Diplômé de l’université de Boston en sciences de l’informatique, il a travaillé sur la gestion, la distribution et le positionnement dans les médias, les télécommunications et la musique. Dans son laboratoire du New York Times, il anime une équipe de huit experts (designers graphiques, développeurs, analystes…) et analyse les nouvelles manières de produire et de consommer l’information.

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