Distribution
Fondée par deux réfractaires du système, la Fnac, qui s'est longtemps distinguée par un style publicitaire décalé, subit de plein fouet la mutation, notamment digitale, de la distribution des produits culturels.

On peut être trotskiste et être à l'origine de l'une des plus grandes sagas publicitaires françaises. André Essel et Max Théret, tous deux militants gauchistes, créent la Fnac en 1954. La Fédération nationale d'achats des cadres. Leur objectif? Créer une «coopérative» pour les classes moyennes afin de les libérer de «l'oppression» des fournisseurs en baissant les prix. Elle se positionne en discounter. Notamment, juste après la guerre, dans les loisirs et la culture. Dès ses origines, la Fnac a ainsi fonctionné en cercle fermé, selon une logique d'adhérents.

Au départ, point de publicité… Elle ne conclura son premier achat d'espace qu'en 1969. Avant, sa communication se fait essentiellement via son magazine d'adhérents «Contact». Le premier numéro paraît dès la première année. «J'ai commencé ma vie en faisant de la politique, expliquait alors André Essel. En tant que propagandiste aux Jeunesses socialistes, je me suis occupé plus particulièrement de la presse. Il s'agissait moins de vendre que d'expliquer et de convaincre. Quand je me suis trouvé dans le commerce, je l'ai fait instantanément sous forme d'explication et de conviction, et non pas d'affirmation.»

La communication de la Fnac s'est très tôt revendiqué objective et comparative. Sans concession. L'enseigne lance dès 1961 ses «laboratoires d'essais». Elle compare les produits, les teste et les note, le tout présenté dans un magazine papier. Des essais bien souvent décriés par les fabricants..., mais qui renforce l'image de l'enseigne.

En 1969 donc, les premières publicités apparaissent, avec l'agence Impact, exclusivement dans la presse. Dans un style informatif et épuré, quasiment journalistique. Très vite, les campagnes ont amené à produire des manifestations publiques. Les rencontres avec les auteurs, les expositions photos, les débats... La Fnac invite ses clients à se retrouver autour de thèmes ou d'artistes. L'enseigne crée ainsi une communauté, avec une vision engagée. En 1971, par exemple, elle reçoit Ralph Nader, grand défenseur des consommateurs aux Etats-Unis, qui crée la même année l'association Public Citizen, pour la défense des droits publics.

 

Le cinéma, média de prédilection

 

Mais en 1980, les comptes de la Fnac sont dans le rouge. L'enseigne s'introduit en Bourse. La guerre du livre fait rage en France. Les supermarchés E.Leclerc, notamment, développent leurs étals à bouquins, à grands coups de prix cassés. L'enseigne d'Edouard Leclerc progresse pour devenir, en 1985, le deuxième libraire de France. La Fnac doit réagir. En 1984, elle commence à investir plus largement la publicité et fait appel à Publicis. Pour la première fois, elle se dote d'une signature, «L'oxygène de la tête» et travaille son image pour asseoir sa position dans les produits culturels, en les démocratisant. Une campagne d'affichage sort en 1985 avec des photos de grands écrivains et des accroches du genre «Salut Marcel», pour Marcel Proust, «Coucou Jean-Bapt» pour Molière... «La Fnac n'a jamais eu de gros budget de publicité», raconte Amandine Morel, directrice de la marque (1% du chiffre d'affaires, tout compris, en 1984). Avec toutefois une marque de fabrique: l'humour et l'autodérision.

En 1987, changement d'agence avec Audour Soum Larue SMS (future Ailleurs exactement). Mais, en 1990, la Fnac revient chez Publicis, pour une courte durée. Un an plus tard, c'est la révolution: Virgin arrive en France avec un spot visible dans les cinéma où elle bouscule les codes du secteur en mettant en scène la voluptueuse actrice Anne Zamberlan. La Fnac prend un coup de vieux... Elle répond cette fois avec DDB pour son premier film cinéma, le média de prédilection pour toucher les classes moyennes et urbaines. Le planneur Luc Basier, de DDB, crée alors la célèbre signature de l'enseigne: «Agitateur culturel depuis 1954» pour jouer sur l'engagement social et historique de la Fnac. «DDB a fait un travail de différenciation. De reconstruction d'une image de distributeur, raconte Amandine Morel. Avec toujours ce ton décalé, sans se prendre au sérieux.» Pendant six ans, les campagnes s'enchaînent: les prix bas avec les premiers prix verts («Vivons comme des riches»), le service en magasin, le développement photo, le choix pléthorique en musique, etc. Dans ce dernier domaine, la Fnac se veut découvreur de talents.

Et si l'enseigne est rachetée en 1994 par Pinault-Printemps-Redoute (PPR) à hauteur de 64,6% (François-Henri Pinault en deviendra le président en 1997), elle reste toujours fidèle à DDB. Mais la signature disparaît et laisse place au seul logo. En 1997 et 1998 sortiront deux films d'anthologie: le «Quiz des disquaires» dans lequel des clients viennent «mal» chanter un refrain méconnaissable, l'enseigne assurant que ses vendeurs, eux, l'auraient reconnu; et l'indémodable «Jean-Luc», un client qui passe son temps à lire des bandes dessinées dans le magasin, sans les acheter (comprendre: la Fnac, c'est la liberté).

 

Nombreux changements d'agences

 

En 1999, le distributeur doit faire face à la nouvelle concurrence d'internet. Elle lance donc son site e-commerce Fnac.com. Au même moment, elle confie son budget à Ogilvy, qui signe un film réalisé par Bertrand Blier mettant en scène le rappeur Akhenaton, du groupe marseillais IAM, en pleine discussion avec Vivaldi. Le spot avant-gardiste traite des droits d'auteurs sur internet. Mais, en 2000, c'est Amazon qui joue les trouble-fêtes. Le site déclare dépasser celui de la Fnac en termes de visites dès 2001. A partir de 2004, l'agitateur ne communique plus quasiment que sur le web, via l'agence BDDP & Fils, et adopte pour nouvelle signature «Certifié non conforme».

En 2007, année de l'autorisation de la publicité TV pour la distribution, nouveau changement d'agence avec TBWA Paris, qui privilégie le petit écran. Pour la première fois, elle parle moins d'elle-même, mais de ses consommateurs et des bénéfices qu'elle leur apporte. Cependant, sur le web, la concurrence est rude. En 2012, Alexandre Bompard, alors PDG de l'enseigne, entame une profonde restructuration. «L'objectif est de se recentrer sur la marque, ses aspérités. Sur l'omnicanal, avec nos services et sur le recrutement des adhérents», résume Amandine Morel. Les quelque 4,5 millions de porteurs de carte représentent près de 60% du chiffre d'affaires.

Le budget est une nouvelle fois remis en jeu et remporté par Marcel en 2013. Alors que la marque cherche à sortir des zones urbaines, elle mise toujours autant sur la télévision et l'affichage, «dont l'efficacité est étonnante, assure Amandine Morel. Chaque campagne sur un produit multiplie par deux ses ventes!» L'enseigne, qui fête ses soixante ans cette année, ne néglige pas pour autant internet, comme en témoigne son dernier spot viral rendant hommage à «Jean-Luc», de retour dans ses rayons quinze ans après.

 

 

FOCUS : Dates et chiffres clés

1954. Création de la Fnac par André Essel et Max Théret.

1969. Premières insertions dans la presse.
1984. Premières campagnes d'affichage (Publicis).
1991. Premier spot au cinéma (DDB).
1997. Film «Le Quiz des disquaires».
1998. Film «Jean-Luc».
1999. Lancement du site Fnac.com.
2004. Lancement de Fnac Music, plateforme de téléchargement musical.
2007. Premier spot TV (TBWA Paris).
2012. Restructuration et relancement de la marque (agence Marcel en 2013).
3,9 milliards d'euros. Chiffre d'affaires 2013.
170. Nombre de magasins, dont une soixantaine à l'étranger.
60,8 millions d'euros. Investissement médias en 2013 (source: Kantar Media).

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