Persuadée que les médias ont une responsabilité sociétale, Christine Cauquelin, directrice des chaînes thématiques Découverte, a initié chez Canal + une politique de documentaires engagés. À eux d’offrir une vision progressiste et positive des futurs possibles. Interview.

D’où est venue votre envie d’agir sur la société ?
Christine Cauquelin. En 2009, j’ai mis à l’antenne un documentaire sur les coulisses des négociations sur le climat à Copenhague. J’étais sur place pendant une partie du tournage et j’en suis sortie bouleversée. Autant d’énergie portée par la société civile, les négociateurs, les associations, des technocrates de tous les pays pour un accord minable. Je me souviens aussi d’un article de Libération de 2010 qui disait que les objectifs du millénaire prévus pour 2015 n’allaient pas être atteints. L’éradication de la pauvreté, ce n’était pas pour tout de suite ! C’est incroyable car c’est le grand enjeu du XXIe siècle.

 

Vous avez également suivi les Lab Sessions de l’Institut des Futurs souhaitables. Déterminant ?
C.C. Enthousiasmant surtout ! Le principe de la Lab est d’embarquer 20 voyageurs curieux de comprendre à quoi pourrait ressembler le monde de demain. C’est un endroit de réflexion et de co-construction. On n’y arrive pas par hasard. Il faut évidemment avoir un intérêt pour les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés et l’envie de participer à la réinvention du « monde d’après ». La Lab est un lieu où je me suis nourrie. Il a initié le réseau des « conspirateurs positifs » dont je fais partie.

Un média doit-il se faire acteur du changement ?
C.C. Il doit offrir un regard sur le monde, un point de vue. La télévision a une responsabilité sociétale, elle doit être vigilante à faire circuler des idées. Il faut offrir une vision progressiste, une vision positive des futurs possibles, chercher des solutions et ne pas seulement prendre acte. Les enjeux climatiques ne sont pas qu’une équation mathématique. Ils nécessitent un changement de société. Je pense que c’est aux médias de raconter cette histoire. Les sujets que j’ai choisi de mettre à l’antenne vont dans ce sens.

Avez-vous eu du mal à défendre cette ligne éditoriale ?
C.C.
Une ligne éditoriale, on ne la porte jamais seule. Je n’ai pu mettre en place tous ces projets uniquement parce que j’avais des oreilles attentives et intéressées, celles de Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal + et d’Arielle Saracco, directrice de la création originale. Certes, ce n’est pas évident d’arriver avec des idées qui ne sont que de faibles signaux dans la société. Pour un média comme la télévision, cela peut être incompatible avec l’idée de rassembler une large audience. Je me souviens d’une soirée sur l’entreprenariat social et solidaire que j’ai mise à l’antenne trop tôt. On a commencé à en parler 5 ans plus tard. Du coup, la rencontre avec le public ne s’est pas faite.

 
Cela vous permet aussi d’innover comme vous l’avez fait pour le projet Kindia 2015…

C. C. Avec Patrick Menais, le créateur du zapping, nous voulions faire une vraie télévision du réel, proposer une démarche inédite : filmer une expérience de codéveloppement, tout en étant partie prenante, travailler avec des experts du terrain, provoquer un développement endogène et systémique pour les populations locales. Quand on parle d’humanitaire, on assiste à une overdose de bons sentiments. Et la télévision reste trop centrée sur les actions d’urgence. Cela permet de mobiliser beaucoup de passions, d’argent… Mais une fois que l’aide se met en route, ça sort du radar et on n’en parle plus jamais.

 

Il s’agissait aussi d’opter pour le temps long…
C.C.
Le temps long est important pour traiter des sujets aussi complexes que ceux liés au développement durable. Nous souhaitions donc sortir de cette pluie d’informations dues au web et aux chaînes d’informations en continu. Certaines démarches nous ont inspirés. Celle de Christine Rodwell, à l’époque directrice de Facts Initiative à l’Institut Veolia, qui met en ligne de bonnes pratiques et les fait évaluer par les pairs comme pour une étude scientifique. Ou celle des mooks, qui traitent les choses en profondeur. Finalement, nous avons opté pour la réalisation de quatre documentaires sur cinq ans. Le quatrième volet de la saga documentaire sera diffusé courant 2015. L’idée est d’agir en mesurant l’impact réel de notre action, de faire de notre média un passeur et un accélérateur du changement. Cette initiative a d’ailleurs reçu le prix reporters d’espoir de l’innovation en octobre dernier.


Comment avez-vous choisi votre action de terrain ?
C.C.
Nous voulions permettre aux citoyens de la région de Kindia, en Guinée, l’un des pays les plus pauvres de la planète, de reprendre leur destin en main. En coopération avec des ONG et les locaux, des actions ont été menées avec une vision systémique et globale des problèmes locaux. L’objectif : donner les moyens et l’envie à la population d’avancer. Sur le terrain, nous avons installé des points d’eau, équipé des centres de santé, construit des cuiseurs permettant des économies d’énergie et de meilleures conditions sanitaires. Ou encore mis en place un système de tri sélectif.


Le mode de financement est lui aussi assez inédit…
C.C.
Nous bénéficions de microdons venus des salariés de Canal +. Certains acceptent que le montant de leur salaire soit arrondi. La différence est reversée au projet. Les abonnés ont également participé. à chaque euro versé, la chaîne donne de son côté un euro. Au global, le projet coûte quatre millions d’euros. Canal + s’est engagé à payer la différence si nous n’atteignons pas cet objectif.

Vous avez également créé des événements, notamment contre le gaspillage. Les documentaires Global gâchis et Global partage n’ont pas suffi ?
C.C. J’aime bien l’idée de la preuve par l’exemple. Faire un curry géant pour nourrir 5 000 personnes avec des légumes destinés à être jetés car ils ne correspondent pas aux calibrages de la grande distribution, c’était festif, utile et ça a eu de l’impact. Guillaume Garot, à l’époque ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, a fait travailler, dans la foulée, des personnalités de notre documentaire sur des propositions pour lutter contre le gaspillage.


Ces documentaires ont-ils fait de l’audience ?
C.C.
Ce sont des films qui ont attiré un public plus jeune à une heure, 20 h 50, où le public du documentaire est traditionnellement plus âgé. Heureusement, l’audience n’est pas un critère absolu. Ces films ont fait du bruit et ont contribué à porter certaines problématiques dans l’espace public. C’est aussi le rôle d’un média.


Avez-vous l’intention de continuer chez Planète ? Quels sont vos projets ?
C.C.
Oui, bien sûr, nous sommes en pleine réflexion éditoriale. Planète est une chaîne documentaire généraliste, elle aborde beaucoup de domaines : la science, l’histoire… Quand on s’appelle Planète, comment ne pas parler des grands enjeux du monde ? Au-delà de l’histoire, nous allons aussi proposer des documentaires qui décryptent la société contemporaine et le monde de demain. En vue de la COP21, nous développons par exemple un 90 minutes intitulé Les enfants de l’Anthropocène. Il raconte la manière dont les citoyens agissent partout dans le monde pour lutter contre les problèmes environnementaux, tout en proposant une immersion dans les civilisations du passé pour comprendre comment elles ont géré les défis écologiques de leur époque.

 

 

Christine Cauquelin est depuis avril 2014 directrice des chaînes thématiques Découverte (Planète+, Planète+ CI, Planète+ A&E, Planète+ Thalassa, Seasons). Diplômée de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, elle a effectué l’essentiel de sa carrière au sein de Canal +, où elle est entrée en 1989. En 2001, elle rejoint Canal + International en tant que directrice
des acquisitions documentaires, avant d’être nommée en 2004 directrice des documentaires des chaînes Canal +. Elle fait partie du réseau « des conspirateurs positifs » initié par l’Institut des Futurs souhaitables.

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