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Entre lie-de-vin et bordeaux pâle, le Marsala sera «la» couleur de 2015, selon la société Pantone, qui l'a dévoilée le 4 décembre. Révélatrice de l’air du temps, la couleur Pantone reste un indicateur précieux pour la mode et un outil de décryptage de tendances.

Donc, ça y est. Jeudi 4 décembre à 8 heures, Pantone l'a proclamé, «sa» couleur de l'année 2015 est le 18-1438 Marsala. Une sorte de bordeaux pâle, proche du lie-de-vin, entre un vieux rose et un terracotta. La couleur Marsala tire son nom de la ville éponyme, située en Sicile, réputée pour son vin de liqueur, à la saveur sucrée. Une couleur en demi-teinte, loin de la teinte Pantone 2014, le Radiant Orchid, un rose légèrement violacé assez tranché, et du vert émeraude de 2013.

 

Depuis 2000, le fabricant de nuanciers Pantone (lire ci-dessous) dévoile chaque année la couleur qui aura les faveurs du prêt-à-porter, de la décoration ou de la cosmétique. Une couleur dûment nommée et numérotée devant susciter les désirs des consommateurs. Car depuis sa création en 1866, le nuancier Pantone est une référence. «Ils sont experts dans la couleur depuis plus de cent ans, c'est la référence en matière de couleur. Toutes les agences travaillent avec des nuanciers, cela permet à tous de parler le même langage», précise Suzanne Stahlie, directrice générale de l'agence de design Future Brand Paris (Interpublic).

«Ce n'est pas nécessairement la couleur à la mode du moment, mais une couleur qui traduit l'expression d'un état d'esprit, une attitude de la part des consommateurs», précise Laurie Pressman, vice-présidente de Pantone Color Institute.

 

Un choix chromatique qui ne doit rien au hasard. Pour le déterminer, des designers de Pantone sondent des mois à l'avance, partout dans le monde, l'influence des couleurs dans le cinéma, le divertissement, l'art, les destinations de voyage à la mode... La portée d'une teinte peut également provenir de critères technologiques, de l'arrivée de nouvelles textures et des effets d'une couleur sur celles-ci.

 

Une couleur gourmande, rassurante, sensuelle

 

Surtout, la couleur Pantone est perçue comme un outil de décryptage de tendances, une photographie de la société. «Dans notre société actuelle, la situation économique est plus volatile et l'état d'esprit incertain, nous cherchons davantage de plénitude, de confiance et de stabilité. Pour la couleur Marsala, nous avons sélectionné un ton qui nourrit, avec des racines rouge-brun, et qui traduit un état d'esprit naturel, sophistiqué, tout en exprimant la confiance et le confort», explique Laurie Pressman. Une couleur chaude, qui serait une valeur refuge face à une société inquiète par les incertitudes économiques et sociales. «Dans la continuité de la couleur Pantone 2014, il faut y voir un retour aux couleurs naturelles, un peu comme le bourgogne, qui rappellent la terre, le cuir vieilli, le vintage. Voyez le succès des légumes d'antan», décrypte Emilie Coutant, sociologue, fondatrice du cabinet Tendance sociale.

 

Une couleur rassurante donc, face à une société qui prône l'innovation, le tout-technologique et le consumérisme. «Nous sommes dans une société post-moderne où l'on voit revenir des valeurs du passé liées à la tradition, qui se mélangent avec les développements technologiques», poursuit Emilie Coutant.

 

Cette couleur proche du vin incarne d'ailleurs une certaine sensualité, proche de la cuisine, thème à nouveau populaire, comme le montrent les émissions de télé-réalité culinaires Top chef et Un dîner presque parfait.«C'est une couleur assez gourmande, un peu masculine, qui devrait bien marcher dans les domaines alimentaire, cosmétique et mode par ses évocations assez goûteuses», estime Béatrice Mariotti, vice-présidente et directrice de la création de Carré noir. «Avec le marsala, on est dans le monde du vin et de la cuisine. Cette couleur a une dimension hédoniste, gourmande. Cela traduit une recherche de chaleur, de réassurance, face à une inquiétude générale», confirme Gilles Deléris, fondateur et directeur de la création de l'agence W. Le marsala devrait être décliné notamment dans les univers de «l'ameublement, de la restauration et de l'hotellerie, tels par exemple leurs lobbys [hall d'accueil], où on attend du confort et de l'attention», estime Gilles Deléris.

 

Avec le marsala, «on s'éloigne de l'univers des couleurs primaires. Il y a cinq ans, on a eu un retour des couleurs pop primaires. Maintenant, ce sont des couleurs mutantes, qui mélangent les pigments. Dans certains univers, comme dans la charte graphique de notre client Poiray, on utilise davantage les couleurs “descendues”, similaires au marsala, qui sont moins couvrantes, moins réfléchissantes, et laissent donc plus de place à la texture d'une matière. Ce qui traduit des valeurs d'authenticité, d'humilité», estime Christophe Pradère, cofondateur et CEO de BETC Design.

 

Un phénomène de mode annuel

 

Preuve que Pantone semble avoir touché juste, le marsala était déjà bien présent cette année dans la cosmétique, la décoration, le luxe et, surtout, dans les défilés de mode. Logique, c'est en général sur leurs podiums que se révèlent les couleurs phares, deux ans avant qu'elles n'arrivent chez Etam ou Sephora.

 

De fait, le marsala est apparu «dans les collections hommes et femmes 2015 du créateur de mode belge Dries Van Noten, chez Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton, Raf Simon pour Dior ou encore le défilé de Christopher Bailey pour le Burberry Prosum», précise la chroniqueuse mode Christina Binkley dans The Wall Street Journal.

 

Avec un sens aiguisé du marketing, Pantone a noué plusieurs partenariats, dont entre autres le distributeur Sephora, les tissus Kravet et les peintures Tollens en France. Sephora prévoit ainsi une collection de cosmétiques Marsala. «Pantone cherchait une entreprise capable de réaliser ses couleurs en peinture pour bâtiment et de reproduire ses tons très riches en pigments. Beaucoup connaissent le nuancier dans l'imprimerie, qui a fait la renommée de Pantone, peu le nuancier Pantone for Fashion & Home», précise Agnès Peignen, directrice communication et webmarketing de Materis Peintures (dont fait partie Tollens), partenaire de Pantone depuis trois ans. Dans la déco, «c'est une couleur assez consensuelle qui permet beaucoup de types d'association», précise-t-elle.

 

Chaque année, Pantone parvient ainsi à créer un phénomène de mode au nez et à la barbe des cabinets de style, tels Peclers, Nelly Rodi ou Promostyl, qui produisent tous leurs cahiers de tendances assortis de nuanciers de couleurs. Au risque d'une overdose chromatique?

 

 

Le système Pantone

 

Pantone est un système de classement de couleurs devenu une référence depuis sa création en 1866. Il était alors destiné aux fabricants de cosmétique, auquel la société américaine qui le créa a ensuite ajouté un nuancier Home & Style. Mais Pantone n'a pas souhaité rester un simple outil de travail pour les graphistes et imprimeurs. L'entreprise a enchaîné les collaborations par un savant jeu d'accords de licence. Et du coup imposé ses nuanciers – et sa marque – partout dans le monde: citons l'hôtel Pantone à Bruxelles, ouvert en 2010, et les multiples produits dérivés, tels les mugs, coques pour smartphone, cafetières italiennes, bols, chaises, sacs à dos... Sur ceux-ci, la marque Pantone et le chiffre exact de la couleur sont apposés en gros caractères, tels des marques.

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