Inspirations
La journaliste Anne Magnien, ex-présentatrice de Culture Pub sur M6, vient de sortir le livre « Sur les pavés la pub » consacré au street marketing, manière particulière d’appréhender la publicité. Analyse du phénomène, au regard des transformations technologiques que connaît la société.

Comment définiriez-vous le street marketing ?

Anne Magnien. Le street marketing désigne les actions marketing se déroulant dans la rue. Il englobe une multitude de possibilités. Tout d’abord, tout ce qui va ressembler à de l’affichage hors format, hors cadre ou interactif car avec les nouvelles technologies, les affiches sont devenues des écrans. Il comporte aussi une partie axée sur l’événement et une autre sur l’« ambient », c’est-à-dire ce qui consiste à utiliser le paysage urbain pour poser cette publicité. C’est là que le marketing guérilla [ou guerilla marketing] prend sa source.

 

Pourquoi le « marketing guérilla » ?

A.M. Tout d’abord parce que les publicitaires adorent se faire plaisir avec des mots ! En français, on pourrait traduire cette notion par « marketing alternatif ». Au tournant du siècle, les gens en ont eu ras-le-bol de la publicité sur les médias classiques, plus particulièrement les jeunes. Il a donc fallu trouver d’autres façons de leur parler et le marketing de guérilla utilise des méthodes non conventionnelles. L’idée est de capter le public là où il ne l’attend pas. Si nous ne sommes plus sûrs de trouver les gens devant la télé à 20h30, au moins on est sûr qu’à un moment ou à un autre, ils sont mobiles. La mobilité est un phénomène social global qui s’accroît chaque jour, mais surtout, qui se vérifie dans tous les pays.

 

Sommes-nous entrés dans une nouvelle génération de street marketing ?

A.M. Pendant tout le 20ème siècle, le street marketing se réduisait à distribuer des échantillons et finalement, le secteur était très sage comparé à ce qui peut se faire maintenant. Puis le buzz est apparu avec les réseaux sociaux. De plus, il existait un certain nombre de marques qui n’étaient pas assez riches pour se payer des médias classiques et qui cherchaient d’autres moyens pour pouvoir faire de la communication. La situation est à peu près la même depuis une dizaine d’années.

 

Le street marketing est-il toujours d’actualité ?

A.M. Oui, plus que jamais, même si en France nous n’en voyons pas grand-chose. Les Allemands font des campagnes extraordinaires comme par exemple Sixt, le loueur de voitures. Avec leur homme escargot dans l’aéroport d’Hambourg, ils transforment la pub en happening. La même campagne aurait été refusée en France.

 

Le cadre légal français est-il trop contraignant ?

A.M. Absolument ! La législation s’apparente au colportage sur la voie publique. Pour que cela puisse marcher, il faut ne pas montrer sa marque, or il est très compliqué de faire du marketing sans marque... Il y a, de la part des élus français, une réticence à accepter ce phénomène, ce qui ne les empêche pas de défigurer les entrées de villes avec leurs distributeurs low cost...

 

Peut-on se permettre d’être condamné si l’on est assuré de faire le buzz ?

A.M. La publicité s'analyse en termes de coûts. Je pense à la campagne de Nike avec le maillot de basket de Tony Parker sur la petite statue de la Liberté à Paris. C’était un risque, mais ce que ça leur a apporté est tellement énorme qu’ils pouvaient se permettre d’être condamnés. Il y a même une agence - dont je ne ciretai pas le nom - qui s'est spécialisée dans l’affichage sauvage. La prestation comprend le prix de l’amende ainsi que le nettoyage.

 

Quelle place tient le trucage dans le street marketing ?

A.M. C’est affreux ! Désormais, nul besoin de concevoir une installation de rue pour faire du street marketing. Avec les logiciels de retouche, on peut absolument tout faire. Mais cette question pose deux problèmes. D’abord, le street marketing doit être la publicité de la créativité, c’est l’exercice publicitaire dans ce qu’il a de plus intéressant. Par ailleurs, il ne peut y avoir de buzz uniquement digital, les gens sont bien plus bluffés si l’effet « waouh » se produit dans la rue.

 

L’humain, en tant que partie prenante du dispositif, va-t-il prendre une place de plus en plus importante dans le street marketing ?

A.M. En France il n’y a plus de street marketing dans l’espace public, il s’est reporté dans des lieux privés ou dans des lieux publics privatisés, donc les annonceurs ont besoin d’ambianceuses et d’ambianceurs - avec un risque de dérapage... Ça a été le cas pour la marque Pataugas, qui a fait défiler des jeunes femmes dans les rues de Toulouse, affublées de panneaux, l'un dans le dos figurant des fesses nues, l'autre devant avec la phrase « Un rien m'habille ». Montrer des femmes le derrière à l’air, même si ce n’est que du carton, je trouve ça très critiquable…

 

Comment intégrer les nouvelles technologies dans le street marketing ?

A.M. Les nouvelles technologies sont déjà présentes via l’interactivité, comme par exemple les abribus massant de KitKat en Colombie ou l’abribus qui tousse quand on passe à proximité avec une cigarette. Selon moi, elles se concentrent sur les abribus et sur l’affichage mais ne se matérialisent pas dans la VR [réalité virtuelle] par exemple. Cette dernière est surtout utilisée dans les salons ou sur les lieux de vente. Ce n’est pas ça qui va réellement changer, pour le moment, le street marketing. Il y a quelques années, les annonceurs ont fait des tentatives avec le Bluetooth mais cela n’a pas pris. La technologie est en train de s’écrire… Peut-être que dans cinq ans, ce que je décris n’aura plus aucun sens.

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