Face au flot de « nouvelles tendances », charrié par les réseaux sociaux et les médias, les cabinets de tendance historiques reprennent de la hauteur pour éviter tout amalgame.

Quelles sont les dernières tendances ? Quelle tendance se dégage cette année ? Ne ratez pas les prochaines tendances ! Les réseaux sociaux et les médias sont devenus un tapis roulant impossible à stopper. Voulant dénicher le nouveau, chacun s’affaire à tracer des lignes dès que trois points sont quasi-alignés. Avec un peu de veille, n’importe qui pourrait presque s’improviser tendanceur dans le grand jeu horizontal des réseaux. Influenceurs voulant jouer un rôle, consultants répondant à la demande, médias… Face à cette tendance de la tendance, les Peclers Paris, Carlin Creative et autres Nelly Rodi redorent leur blason et livrent leur analyse de l’accélération de l’information et de l’impact des réseaux sociaux.



Emma Fric, directrice de recherche et prospective chez Peclers Paris

« Ce qu’on appelle tendance est devenu un mot-valise qualifiant ce qu’il y a de nouveau. On oublie qu’il s’agit d’un métier, né dans un contexte industriel, où l’on anticipait la mode car il fallait teindre des fils en couleur, afin de nourrir les collections. Aujourd’hui nous faisons le tri dans le brouhaha d’internet et des magazines, de la curation, pour trouver des désirs de consommateurs non encore exprimés. L’arrivée des réseaux sociaux il y a dix ans aurait pu mettre fin aux bureaux de style. Mais étonnamment, notre métier n’a pas diminué, au contraire, car nous sommes les repères de clients perdus dans la masse d’informations. Beaucoup voient des phénomènes mais n’arrivent pas à les relier. Les réseaux ont aussi changé notre façon de travailler. Nous intégrons Instagram et Pinterest pour comprendre les tribus qui émergent. Mais ce n’est qu’un outil. Sur internet, on a tendance à voir toujours les mêmes phénomènes. Nous ne devons pas nous limiter au web mais regarder les endroits où apparaît le changement : la rue, les expositions, l’art… Notre travail se rapproche de l’enquête du journaliste, sauf qu’on se demande, en plus, ce que l’on fait ensuite. En regard de cette accélération, deux attitudes émergent : la peur de manquer quelque chose (fomo, pour “fear of missing out”) et la remise en question du modèle de consommation avec un retour à l’essentiel. Dans un monde complexe, les gens se rattachent à des formes de certitudes. Les jeunes ? Ils ne sont pas dupes : ils sont engagés. Quand l’intelligence est challengée, elle se réveille. Il faut donner une valeur contradictoire aux réseaux sociaux. »



Nathalie Rozborski, directrice générale déléguée de Nelly Rodi

« Nous avons éradiqué le mot tendance de notre vocabulaire, car nous travaillons sur la prospective appliquée. La sociologie prospectiviste est une science. La tendance, elle, est excessivement vulgarisée : tout le monde s’improvise tendanceur, car les réseaux sociaux ont horizontalisé les relations. Nous, nous pratiquons un métier sérieux, nous accompagnons des fonds d’investissement et des entreprises du CAC 40 sur des tendances sociétales et tendances macro : l’entrepreneuriat, l’agilité, etc. On n’invente pas de jolis concepts. Il ne faut pas confondre ces lames de fond avec les épiphénomènes véhiculés sur internet, comme cette journaliste qui m’a appelée un jour pour que je commente la tendance de la claquette-chaussette ! La tendance plaît médiatiquement car elle a un côté racoleur, est synonyme de nouveauté et est vue comme le graal de la créativité. Mais ce n’est pas comme ça qu’il faut poser le débat. Par exemple, tout le monde mange des avocats au petit-déjeuner sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas ça qui est intéressant, mais pourquoi on le fait. Dans les années 80, on lançait un produit à New York, Paris ou Milan, on invitait les 50 bonnes personnes et le bon bureau de presse, puis il était porté par les leaders d’opinion. Cette pyramide de l’influence est morte avec les réseaux sociaux, un réceptacle de "trash" – mais de génial aussi. Il y a une redistribution des cartes de l’influence. Le type gothique, un peu pointu, peut fédérer une communauté mondiale. Suivre la tendance répond à l’injonction de plaire, d’avoir un corpus validant qui like toutes nos actions. »



Edith Keller, présidente de Carlin Creative Trend Bureau Paris

« Le mot tendance est monstrueusement galvaudé, car on met derrière des sujets anecdotiques. Les vraies tendances, les macros, il n’y en a pas tant que ça, et elles évoluent sur cinq à dix ans. L’écologie était bobo en 2000, puis hyper warrior, enfin authentique à tous crins, et là, le discours se détend... Quand on travaille pour des marques de voitures ou de téléphonie, on doit projeter les valeurs des consommateurs sur ces périodes. Le reste, ce qui est plus récurrent, touche aux matières, aux formes, et est plus lié à la mode. Les médias participent à un effet boule de neige, mais leur influence reste à pondérer. Des tendances resteront éditoriales et ne descendront jamais dans la rue, resteront entre happy few. Après, il y a aussi de fausses tendances, comme les millennials que vous pouvez découper en 15 000 catégories. Globalement, c’est la génération des jeunes et ce qu’ils supposent dans leur diversité, et pas une tendance. Notre métier a changé. Comme toutes les expertises, il souffre du fait que tout le monde pense être expert de tout. C’est fatigant. Et avec la data, c’est pire, car on bannit l’intuition ! On croit qu’elle va créer la société de demain alors que le génial est le fruit du hasard, d’un mec un peu frappadingue qui a une idée. La data rassure qui ? Les banquiers ? Du coup les gens se rassurent avec ce solutionnisme technologique, et on met le monde au carré. On réduit le facteur humain au fait que l’attention de l’œil se porte à gauche ou à droite. C’est absurde. L’entreprise devient folle à vouloir gagner des vues sur les réseaux, plutôt que de se consacrer à ses produits – c’est du vécu. On se battra, les gens verront que la prospective n’est pas réductible à la data. »

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