Télévision
C’est une vague de noirceur qui va envahir en 2019/2020 les écrans français avec des polars ou des séries tirées de faits divers qui sont le prétexte à s’appesantir sur des questions sociales ou des enjeux sociétaux. Plongée en eaux troubles au Festival de fiction de la Rochelle.

Ce vendredi 13 septembre est un jour noir à La Rochelle. Pour le Festival de la fiction, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, Oscar du documentaire et prix Albert-Londres, y présente sa série Laëtitia (France 2, 6×52) en compagnie d’Ivan Jablonka, prix Médicis pour son livre Laëtitia ou la fin des hommes consacré à cette jeune femme de 18 ans violée et assassinée en 2011, près de Pornic. « Cette violence-là, lance-t-il la voix étranglée dans une salle comble de la Scène nationale de La Coursive, on en parle peu, on ne la voit quasiment pas. » Ce n’est pas, bien sûr, la dimension criminelle qui échappe aux écrans – les fictions sont truffées de crimes en tout genre – mais la sombre peinture sociale qui l’accompagne. Car Laëtitia n’a pas été seulement la victime de Tony Meilhon, son meurtrier, mais aussi de son père violent qui l’a conduite à être placée dans un foyer d’accueil où l’assistant familial Gilles Patron sera reconnu coupable d’agressions sexuelles. Ancrée dans des faits réels, la série montre les fonctionnements et dysfonctionnements des services sociaux, de la justice, de la police et même du pouvoir sous Nicolas Sarkozy.

Familles décomposées

Marc Tessier, président du comité de sélection du festival qui a visionné avec son jury les 90 heures de fictions inédites, y voit une des tendances de la fiction française : « Elle est diversifiée, de qualité, mais pas joyeuse. On n’est pas dans le polar, mais dans le social au plus près des gens. » Une mécanique similaire est à l’œuvre dans Un Homme ordinaire (M6, 4×52), inspirée de l’affaire Dupont de Ligonnès. Au-delà du fait divers, c’est l’occasion d’entrer dans l’univers d’une hackeuse qui aide la police à traquer le criminel sur fond de pression religieuse et de surendettement. TF1, à qui l’on doit le téléfilm en deux parties La Part du soupçon, s’attache de son côté à raconter le quotidien d’une infirmière qui voit sa vie basculer quand son compagnon – Kad Merad – est accusé d’avoir assassiné sa précédente famille quinze auparavant.

Oubliées les recettes du polar ? Non bien sûr, car la mécanique du suspens et de l’intervention musclée reste à l’œuvre. Mais comme dit Marc Tessier, « si l’on est dans un commissariat, c’est moins pour suivre l’intrigue policière que pour s’intéresser à la vie des policiers ». Et si l’on voit un révolver, c’est pour un drame social, comme dans Itinéraire d’une Maman braqueuse (TF1). « Que la première chaîne commerciale, avec trois ou quatre pauses publicitaires, coproduise un film dans laquelle une mère braque pour s’offrir la vie qu’elle voit dans les spots de pub,attested’une évolution, relève François-Pier Pélinard-Lambert, rédacteur en chef du Film français. La fiction française à laquelle on faisait toujours le reproche d’être un peu hors sol, dans un univers bourgeois, traite de ce qui engendre de la précarité sociale chez des gens un peu paumés. On avait déjà des viols ou des enfants non désirés mais plutôt sous angle middle class ou upper midlle class. » Une trame nouvelle que ne renierait pas Ken Loach et qui est déjà très présente, rappelle-t-il, dans les séries britanniques.

Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde, présidait la sélection de La Rochelle l’an dernier. Il avait déjà remarqué que 80 % des histoires étaient anxiogènes. « On pressentait, avant les Gilets jaunes, une forme d’angoisse sociale, se souvient-il. La France se caractérise par une société inquiète, qui a été frappée par le terrorisme. Cela rencontre une tendance mondiale du polar, du judiciaire, du mystère dans la fiction TV, qui va avec la noirceur. »  Selon son successeur Marc Tessier, neuf intrigues sur dix de la sélection concernent cette année des familles décomposées ou en voie de l’être. Que ce soit dans l’humour et la comédie avec Faites des gosses (France 2), le reboot de société avec Parents mode d’emploi (France 3), le drame autour de deux jeunes accidentés de la route avec Pour Sarah (TF1), ou le téléfilm sur une ado confrontée à la pornographie avec Connexion intime (France 2), l’adolescence est au cœur de nombreuses histoires, avec souvent en sus une relation intime à l’école ou au lycée. Sans compter les séries numériques sur France TV Slash qui abordent la trajectoire de quatre jeunes dans un hôpital psychiatrique (Mental) ou le bizutage en école d’ingénieurs (Stalk). 

Sujets controversés

Anne Holmès, directrice de la fiction de France Télévisions, insiste à La Rochelle sur « la lutte contre les tabous, les stéréotypes et pour l’éveil des consciences ». À côté des séries Caïn, Vestiaires ou Astrid et Raphaëlle, mettant en scène des handicaps, ce sont des engagements sociétaux sur l’homoparentalité, l’accueil des réfugiés, le suicide des policiers, la maltraitance des enfants, les méfaits de la pornographie pour les ados, la prostitution occasionnelle ou le viol d’un homme qui caractérisent le service public. On observe d’ailleurs une montée en puissance des téléfilms. « L’unitaire permet d’aborder des sujets qui ne sont plus abordés par le cinéma », rappelle François-Pier Pélinard-Lambert. France Télévisions a montré qu’il ne reculait pas devant des sujets controversés comme la GPA en annonçant une adaptation du best-seller- de Marc-Olivier Fogiel,  Qu’est-ce qu’elle a ma famille ? , assurance d’un débat de société autour du film.

Mais comme le polar est « un très bon accrocheur de public », comme dit le rédacteur en chef du Film français, il reste un véhicule idéal pour explorer des territoires innovants. France Télévisions a tenté sans succès de mêler le genre au fantastique avec Double je. Il s’apprête à réitérer un mixage avec Poquelin, une inspectrice de police qui résout des crimes grâce à la littérature, ou avec Le Mensonge, une saga familiale autour de l’ancien maire de Vence, accusé de viol par son petit-fils. Côté ancrage régional, Maddy Etcheban montrera une flic au Pays basque, après Amours à mort, sur fond de cadavre dans un site industriel de Moselle. L’Outre-mer va aussi être à l’honneur, après le succès de Guyane sur Canal+, avec Tropiques criminels, en Martinique. « Nous nous sommes engagés à ce que le monde de l’Outre-mer ait sa place, avec un prime par mois sur France 2 ou France 3 », rappelle Takis Candilis, directeur général du groupe en charge des programmes.

Une meilleure représentation de la diversité demeure au cœur des objectifs des chaînes. Mais c’est sans doute Les Sauvages, la nouvelle série de Canal+, qui va le plus loin avec un thriller politique qui ne fait pas seulement de Roschdy Zem le personnage central mais concentre l’essentiel de sa distribution sur des acteurs issus de la diversité pour interpréter deux familles aux mêmes origines. Rebecca Zlotowski, qui vient du cinéma, sait que le polar ou le thriller sont des moyens d’aborder tout autre chose. 2020 sera sans doute marquée par une grande vague de thrillers environnementaux.

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