Société
Le «fail» a le vent en poupe et prouve que les arnaques, «scams» en anglais, sont les nouveaux films catastrophe.

Un vent d’arnaque souffle sur le territoire. Les « scammers » [arnaqueurs] sont-ils devenus le nouvel opium des foules ? Si l’année 2019 a été une bonne cuvée question escroqueries, en 2017 déjà, le Fyre Festival allait devenir la référence du genre. Quand un riche américain inconnu dans le milieu de la musique, Billy McFarland, annonce qu’il va organiser la plus grosse, la plus hype et la plus folle des fêtes prévue sur une île qui aurait appartenu à Pablo Escobar, tout le monde marche. La jeunesse dorée américaine se rue sur les préventes jusqu’à l’apothéose, le jour J. Des villas luxueuses troquées pour des tentes fortuites, des tranches de fromage sur du pain en guise de plats, et des artistes absents...

C’est seulement deux ans plus tard que la supercherie prendra toute son ampleur. Quand Netflix sort un documentaire sur la mécanique de ce festival complètement foiré, c’est l’engouement. Le documentaire est co-écrit... par l’organisateur lui-même. «Le portrait de Billy McFarland n’est pas du tout journalistique et encore moins accusateur. Qu’il prenne la parole sur cette histoire lui permet de renaître de ses cendres. Ces arnaqueurs voyant leur cote de popularité baisser, ils tournent leurs flops en rédemption», explique Fabien Gaetan, senior creative strategist chez We Are Social.

L’acceptation puis la popularisation du fail peut conduire au succès. «Trois ou quatre ans auparavant, nous pouvions observer ce phénomène sur LinkedIn. Certains utilisateurs ont compris qu’il fallait inverser les valeurs et penser que le plus beau des succès est d’échouer en beauté», rajoute Emmanuel Sabbagh, planneur stratégique chez TBWA Paris. Qu’on soit mentionné en positif ou en négatif, l'essentiel c'est qu'on en parle. 

Mythe d’Icare

Au milieu de ce phénomène, les réseaux sociaux ont aussi leur rôle à jouer. Tel un téléphone arabe, ils donnent aux utilisateurs le pouvoir d’interagir sur l’histoire. «Les réseaux sont la principale source d’information à l’heure actuelle et dans le même temps un vecteur de fake news, de ce fait ils ouvrent la porte aux arnaques. Cette schizophrénie est à double tranchant, soit tu émerges, soit tu tombes», lâche Fabien Gaëtan. Marche ou crève, donc.

Mais à trop vouloir se rapprocher du soleil, on finit par se brûler les ailes. N’est-ce pas Caroline Calloway ? Plus addictive que la série Gossip Girl, l’instagrameuse américaine a déchaîné les passions dans les tabloïds américains en se faisant passer pour une écrivaine de roman de gare, quand en réalité elle était assistée de sa meilleure amie, sa plume de l’ombre. D’ailleurs cette dernière, prise de remords et avec un soupçon de jalousie, balancera toute sa vérité dans un article de The Cut : «I was Caroline Calloway» : «Les gens me demandent si elle n’est pas un Billy McFarland au féminin, le personnage du film Ingrid Goes West, ou Anna Delvey [lire plus loin] avec un diplôme d’art en plus.» Trahison. «Caroline Calloway relève plus du cas psychologique. Outre le fait qu’elle s’offre comme un objet d’étude à ses followers, elle devient un monstre des réseaux sociaux. Dans un sens, elle me rappelle le pétage de plombs de Britney Spears en 2007», analyse Juliette Ragagnon, planneuse stratégique chez BETC.

Avec les réseaux sociaux, le syndrôme de la page blanche n’existe pas. Au contraire, la possibilité de recommencer «from scratch» [à zéro] est une aubaine pour ces scammers. Ces personnalités se construisent de toute pièce afin d’exister, ils assemblent le fail et la mythomanie pour former le parfait scam. 

Fais semblant jusqu'à ce que ça marche

À force de pratiquer le «Fake it till you make it» [Fais semblant jusqu'à ce que ça marche], on finit par y croire. Elizabeth Holmes, elle, on aurait bien aimé qu'elle dise la vérité. Avec sa start-up Theranos, elle devait révolutionner le milieu médical, sa machine étant capable de réaliser des centaines de tests à partir d’une seule goutte de sang. Une promesse déceptive puisque cette invention… était une invention. Une annonce qui a secoué le monde, surtout lorsqu’un documentaire hébergé sur la plateforme HBO est sorti avec son témoignage.

Autre histoire : celle d’Anna Delvey, enfin d’Anna Sorokin. Cette jeune femme russe s’est faite passer pour une riche héritière allemande auprès du gratin new-yorkais, jusqu’à la faute de trop. Une tragicomédie romanesque dont l’actrice et réalisatrice Lena Dunham aurait racheté les droits pour en faire une série Netflix. Finir sur le petit ou le grand écran serait donc un aboutissement en soi ? «Les scams d’aujourd’hui sont les films catastrophes d’hier. Les crashs d’avion c’est du déjà-vu, ce sont les plateformes digitales qui renouvellent le genre», analyse Emmanuel Sabbagh. En témoignent les films et les séries à l’affiche : Queens, Ingrid Goes West, Scam, Dirty John… autant d’exemples où l’escroquerie se retrouve d’une manière ou d’une autre au cœur de l’intrigue.

Des personnages fascinants

Ces personnages, il faut l’avouer, nous fascinent. En bien ou en mal, ils offrent une certaine proximité à leur audience et acceptent tacitement une forme de voyeurisme. «Ils incarnent des anti-héros, construits comme dans des films catastrophes et mélangés aux scandales people de Closer», affirme le fondateur de l’agence Sweet Punk, Alexandre Castaing. La curiosité malsaine s’exacerbe lorsqu’un semblant de scandale éclate. Ainsi, lorsque le cinéaste russe Ilya Khrzhanovsky pose ses installations immersives à Paris, c’est l’effervescence. Pour l’exposition DAU, vendue comme une expérience unique de l'Union soviétique, des pass 48 heures sont proposés à plus de 100 euros et l’attente est à son comble. Quelle n'est pas pas la déception des visiteurs après leur passage. Retombée comme un soufflet, l’attraction artistique prend «des allures de Fyre Festival», titrent les journaux. «À l’agence, nous suivions les rebondissements sur les réseaux sociaux, c’était certes divertissant mais surtout prévisible. Des bulles de conversations étaient créées autour du sujet. On sent la victime un peu complice», tranche Fabien Gaëtan.

Les futures générations sont-elles vouées à ne suivre que des fake influenceurs ? À scroller frénétiquement sur leur fil Instagram et attendre le prochain fail? «Les qualificatifs d’arnaque ou de fraude sont des mots à la mode, qui visent souvent à disqualifier la parole des gens», tempère Juliette Ragagnon. La jeune activiste Greta Thunberg en a fait les frais. À tort, les haters l’ont qualifiée d’arnaque, une manière de masquer leur manque de perspective sur la question de l’environnement. Car parfois l’arnaque, c’est la vie et parfois, c’est soi-même.

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