Société
Finies la profusion et l’abondance. Le luxe n’est plus l’utilisation de la richesse pour satisfaire une exigence de somptuosité. Le bio, le bien, le bon et le beau s‘imposent comme ses nouvelles valeurs.

Il fut un temps où le luxe permettait aux super-riches d’exhiber leur statut social. Une belle maison, une belle voiture, une belle montre voire de beaux bijoux. L'ensemble pouvait être saupoudré de logos flashy bien reconnaissables. Histoire que les contemporains se s’y trompent pas et puissent identifier immédiatement les nantis, au top de la réussite .

Dès 2013, le philosophe Yves Michaud a pressenti dans Le Nouveau luxe (éd. Stock) l'amorce d'une tendance émergente. L’évolution de l’ostentatoire vers un luxe sensible, du matériel vers l’expérience immatérielle. «Ce que l’on a ressenti, apprécié ou mûri, ce que l’on a exploré à l’intérieur de soi a pris une part grandissante dans la conception que l’on a de la notion de luxe. On le voit avec l'importance que prend la gastronomie», explique Luca Marchetti, cultural analyst, brand expert et intervenant lors d'une keynote pour la LuxBox organisée par Media.figaro.

Quoi de plus immatériel que la gastronomie ? Et quoi de plus émergent ? Les plus grands chefs, via la pâtisserie notamment et l'ouverture de magasins dédiés dans le monde entier, réussissent à rendre cette expérience luxueuse par la méticulosité qu'ils y mettent. Une dégustation à tarif néanmoins accessible (autour de 7 euros le gâteau et 4 euros la viennoiserie). Cédric Grolet, élu meilleur pâtissier au monde et en charge des sucreries dans le palace du Meurice a créé de distingués attroupements ces derniers jours via l'ouverture de sa première boulangerie avenue de l'Opéra. La file d'attente des accros à cette expérience a commencé à se constituer la veille de l'inauguration, à 23h pour un lever de rideau à... 8h30. Et il n'y en a pas eu pour tout le monde ! Chaque matin, les croissants et pains au chocolat se sont envolés en quelques minutes. À 9h30, il ne restait plus rien.

Par leur raffinement et leur intemporalité, les cérémonies du thé par exemple ont aussi gagné leurs lettres de noblesse dans l'immatériel. Et pourquoi ne pas le déguster dans de somptueux bols issus de l'art japonais du kintsugi (de tsugu: réparer, relier, transmettre et donner de la valeur) ? Ce magnifique travail de jointure d’or permet de réparer des céramiques brisées avec de la laque saupoudrée de poudre d’or. Il remonte au 15ème siècle  et inspire aujourd'hui des maisons aussi haut de gamme que Bernardaud, qui en ont tiré une ligne de porcelaine.

Récupération

Cet upcycling précieux fait écho aux nouvelles exigences du luxe. Il ne doit plus seulement d'être une belle expérience, mais aussi éthique et respectueuse de la planète. «Cette prise de conscience remonte à deux ans environ, souligne Vincent Grégoire, directeur des insights au sein de l'agence Nelly Rody qui sortira avec Ipsos une étude sur le sujet en janvier prochain. Désormais, le luxe repose sur les 4 B : bio, bien, bon et beau. Les marques se font épingler quand elles font de l'appropriation culturelle, quand elles refusent l'inclusivité et ne rendent pas les hommages aux collectivités ou traditions dont elles s'inspirent commes les Incas, les Amérindiens. Cela a pu être le cas pour Gucci, Prada, Dolce et Gabbana, Dior ou Isabel Marant. Depuis, les marques sont extrêmement prudentes, quitte à créer des partenariats éphémères. Des start-up se développent pour utiliser ce que l'on appelle “les stocks dormants”. C'est le cas de L/overs, créé par Lucille Léorat, qui récupère chez les fournisseurs des plus belles griffes les matières premières inusitées pour leur offrir une seconde vie.» Karl Lagerfeld ne pourrait plus couper des dizaines d'arbres pour recréer une forêt au Grand Palais lors de ses tours de force pour Chanel. Dior en a tiré des leçons, s'engageant à replanter chaque végétal décoratif après ses défilés et à réutiliser tout le matériel mobilisé... «Précurseur, Jean-Louis Dumas, ex-patron d'Hermès, se vantait de diriger la marque la plus écolo puisque ses iconiques cartons d'emballage orange sont systématiquement réutilisés par ses clients», souligne Vincent Grégoire.

Gourous green

Les piliers même de l'économie du luxe, à savoir les collections calquées sur la fast fashion, sont remises en question par ces nouvelles exigences. Faut-il affréter un jet privé pour faire venir au premier rang du show une star pendant quelques minutes ? Le luxe réside-t-il toujours dans l'abondance ? Faut-il maintenir des Fashion Weeks, comme s'interrogent Londres, Séoul ou New York ? À défaut de se tirer des balles dans le pied, l'industrie de la mode s'adjoint des gourous «green», comme Stella Mc Cartney, pionnière vegan devenue la conseillère-tête pensante en la matière des marques luxe de Bernard Arnault. Le groupe Kering, de son côté, multiplie les chartes et engagements pour ses sociétés.  

«Le sourcing et la traçabilité du produit deviennent essentiels dans cette industrie. Burberry avec Makers House à Soho pèse de tout son poids pour exposer les métiers d'art et proposer une expérience directe du processus de production», souligne Luca Marchetti. C'est aussi l'ambition de Chanel qui renforce son engagement dans l'artisanat haut de gamme avec l'implantation en 2020 d'un site de 25 500 m2 sur cinq niveaux et deux sous-sols sur un terrain de 9 000 m2 porte d'Aubervilliers, à Paris. Avec bientôt des visites pour VIP ? Plus généralement, les marques prestigieuses proposent des lieux qui permettent d'exposer au public ces nouveaux contenus luxueux et plus sains écologiquement.

Désireux de s'approprier d'autres horizons que la simple consommation, le marché du haut de gamme fait corps avec la culture, comme le prouvent la fondation Prada à Milan, qui occupe tout un quartier, la fondation Vuitton dans le bois de Boulogne, et les fondations Pinault à Venise et bientôt à la Bourse de Paris. Le luxe s'intègre dans la vie de la cité en offrant une expérience au consommateur. C'est aussi ce que propose Lafayette Anticipations, située dans le Marais à Paris. Elle se définit comme un catalyseur de production, qui fédère les actions de soutien à la création contemporaine menées par les deux organismes d'intérêt général créés par le Groupe Galeries Lafayette et sa famille actionnaire en 2013. Le luxe n'est plus un produit, c'est une expérience, un affect, une émotion. Et ça n'a pas de prix !

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