Audiovisuel
Cyril Lignac et Julien Courbet sur M6, Laurent Ruquier sur France 2 : depuis quelques mois, le direct revient en force dans les émissions de flux en France. La raison : la crise sanitaire mais aussi une volonté des chaînes de jouer sur l’attractivité du live pour se distinguer des plateformes.

Il est déjà presque minuit lorsque Sébastien Chadaud-Pétronin quitte le plateau de Laurent Ruquier ce samedi 10 octobre. Sa mère, Sophie Pétronin, enlevée au Mali fin 2016, a été libérée il y a moins de 48 heures. L’œil qui pétille, le sourire enfantin, le plus heureux des fils lâche juste avant de s’éclipser : « Je retourne la voir là, maintenant ». Tout le monde sait que l’émission est en direct. C’est d’ailleurs son nom, On est en direct, sauf quand elle est momentanément rebaptisée On est presque en direct en raison du couvre-feu. « Comme disait Pierre Sabbagh, le direct, c’est la vie. C’est la communion du public, qui au même moment regarde ensemble quelque chose qui se passe », s’enthousiasme Philippe Thuillier, patron d’ADLTV et producteur de la nouvelle émission de Laurent Ruquier le samedi soir sur France 2.

Comme elle, d’autres programmes ont vu le jour ces derniers mois avec le direct au cœur de leur concept. Pendant le confinement, Cyril Lignac a cuisiné tous les soirs en live avec les Français sur M6, dans Tous en cuisine. À partir du 2 novembre, Julien Courbet assurera chaque jour deux heures trente de direct également sur M6, avec l’émission Ça peut vous arriver, de 10h à 11h30 en co-diffusion avec RTL et de 11h30 à 12h30 en télé uniquement. Pour l’occasion, le studio radio que Julien Courbet occupe depuis 2001 s’est transformé en plateau télé, même si l’objectif de l’émission reste le même : aider les Français à résoudre leurs problèmes de consommation. « Nous aurons des envoyés spéciaux qui iront voir en direct les choses sur le terrain. C’est une adrénaline forte : on ne connaît pas la réaction des gens qu’on a en face », explique Guillaume Charles, directeur général des programmes de la chaîne.

Des émissions plus réactives à l’actualité

Le direct est d’ailleurs un des axes prioritaires pour M6 cette saison avec des projets de plateau live pour Capital ou Zone interdite. « Le live est une des forces intrinsèques de la télé pour se distinguer des plateformes », insiste Guillaume Charles. « Il faut redonner envie d’allumer la télévision et la mention “en direct” est un argument », renchérit Adrien Torres, planneur stratégique chez BETC. Cette notion du direct est d’ailleurs jouée à plein dans l’émission de Laurent Ruquier : les acteurs de théâtre sont parfois reçus sitôt le rideau tombé, et l’animateur ne manque pas une occasion de rappeler que l’émission « est en direct ». « Nous allons aussi avoir une grande horloge en plateau, visible à l’antenne, pour jouer ça à fond », avance Philippe Thuillier. Encore faudra-t-il attendre la fin du couvre-feu en Île-de-France, période durant laquelle l’émission a abandonné le pur live pour un enregistrement dans les conditions du direct quelques heures seulement avant sa diffusion.

Le live attire donc, il n’y a qu’à regarder le caractère hypnotique des chaînes info. « Ça crée une tension permanente pour le téléspectateur : même s’il ne se passe rien, on regarde pour être là quand quelque chose arrivera. Le direct crée l’événement même sans événement », relève Adrien Torres. Il permet aussi aux émissions d’être beaucoup plus réactives à l’actualité. « L’enregistrement d’On n’est pas couché [la précédente émission de Laurent Ruquier] rendait caduque l’émission. Le sujet du jeudi avait déjà pris une tournure différente le samedi », se rappelle Bertrand Nadeau, directeur général de Fuse (OMG). Et tant pis si l’enregistrement permettait de « teaser » l’émission sur les réseaux sociaux avant sa diffusion, particulièrement lorsqu’un clash s’était produit en plateau. « Le direct redonne de l’exclusivité à l’émission, alors que quand le clash annoncé à l’avance devient l’info, le public n’a plus besoin de la regarder », analyse Adrien Torres.

Ce renouveau du direct en télévision dépasse largement le seul cadre de la France. Ces dernières années, des documentaires animaliers ont été diffusés en direct à l’étranger, comme Blue Planet Live sur la BBC. Aux États-Unis, l’émission Live PD permettait de suivre en temps réel des patrouilles de police, tandis qu’au Royaume-Uni, Channel 5 diffuse depuis 2018 le programme Operation Live, qui montre une opération chirurgicale en direct. « Le problème du live dans ce type de programmes, c’est que tout n’est pas passionnant à voir. Il y a des temps morts », estime Bertrand Villegas, cofondateur du cabinet The Wit. Rien de surprenant donc à ce que les émissions de télé-réalité ne soient plus diffusées en temps réel, parfois même en direct, comme c’était le cas au lancement de Loft Story en France en 2001. « Le direct en télévision doit être ultra-préparé, pointe Bertrand Nadeau. C’est un exercice très difficile, qui comporte quelques risques. »

Un confinement propice à l'innovation

Autre problème selon Bertrand Villegas, « le live est moins fait pour être rediffusé, contrairement aux programmes de stock », d’où un coût de production plus difficile à amortir. « Le replay aujourd’hui n’est pas encore monétisé à la hauteur du live. Donc si vous avez un programme pas trop cher à produire et qui fait une belle audience live, ça peut être intéressant sur le plan économique », tempère Avril Blondelot, head of content insight chez Glance, le département international de Médiamétrie.

Comme Tous en cuisine sur M6, d’autres formats live ont été diffusés opportunément à l’étranger avec le confinement. C’est le cas par exemple de Life Drawing Live, un programme de dessin en direct dans lequel on pouvait suivre la manière dont des artistes reproduisaient l’homme ou la femme qu’ils avaient devant eux, diffusé en Australie en juillet en plein lockdown. « Pendant le confinement, le live a permis de tester des concepts et des façons de faire différentes. Le rendu à l’écran a été bien accepté car c’était lié à la réalité du moment », estime Avril Blondelot.

Hors période Covid, la fiction commence à s’emparer de mécaniques proches de l’idée de direct, par exemple la série Skam, dont les personnages publient du contenu sur les réseaux sociaux comme si l’histoire se déroulait en temps réel. « Nous sommes ici dans la recherche d’une synchronie entre le temps des téléspectateurs et celui du programme. On fait comme si la vie des personnages fictionnels continuait en dehors du programme », explique Marta Boni, professeur agrégée à l’université de Montréal, qui a dirigé l’ouvrage Formes et plateformes de la télévision à l’ère numérique (PU Rennes). Vrai ou faux, le direct passionne les foules.

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