Nos youtubeurs préférés se rêveraient-ils acteurs de téléréalité ou même de télénovela ? À en croire les récentes vidéos publiées avec des titres –disons le– «putaclick», l’accent est mis sur le drame. Face caméra, les vidéastes s’épanchent sur les désagréments de la vie quotidienne, donnant parfois lieu à des scènes dérangeantes. «Swann Périssé, en filmant sa rupture, a voulu documenter les étapes de cette tranche de vie pour, à la fin, délivrer un message d’espoir. Montrer que ça n’arrive pas qu’aux autres... Personnellement ça m’a un peu gênée mais chez la génération Z, ça marche bien», développe Marine Montironi, head of influence chez We Are Social.
Comme si elles s’adressaient à leur journal intime, Léna Situations tease sa communauté d’un simple mais efficace «J’ai pécho mon crush», pendant qu’Horia l'intrigue d’un «J’ai filmé ma rupture». Sandrea, elle, rappelle sur un ton larmoyant qu’il y a des moments «où tu peux être malheureuse», dans une vidéo qui inclut évidemment un partenariat commercial avec L’Oréal. «Il y a beaucoup de “vidéos dramas” qui sont en fait le fruit d’une émotion que les protagonistes ont ressenti le besoin de partager. Prenez la vidéo d’annonce de séparation de Caroline et Safia, c’était nouveau à l’époque, mais je pense que ça a été filmé sur le coup !», avance Florence Dupont, directrice générale associée de l’agence Influence4You.
De youtubeur à influenceur
Quand YouTube permet les «story time» de 20 minutes, Snapchat et Instagram préfèrent se concentrer sur les coulisses. En effet, les nouveaux formats développés par les réseaux sociaux, notamment avec les stories, permettent la publication de contenus plus éphémères et par conséquent plus intimistes. «Le côté voyeuriste des réseaux sociaux a participé à ce succès. Sur Instagram, les meilleurs taux d’engagement viennent des photos d’annonces de mariage ou de grossesse», rappelle Marine Montironi. Coups durs, événements majeurs de la vie... Toute la société peut se sentir concernée, d’où l’intérêt de partager avec sa communauté. Estelle Fitz qui parle de sa bipolarité, EnjoyPhoenix de son harcèlement au collège…
«Nous observons depuis plusieurs années une propension très forte des influenceurs à montrer non seulement leur vie privée, mais surtout les aspects les plus intimes de celles-ci. Ce changement s’illustre chez les influenceurs mais aussi chez les artistes, comme John Legend qui a annoncé la mort de son enfant quasiment en direct sur Instagram et en photo. C’est une tendance globale qui traduit une évolution de la société vers plus d’intime et qui s’illustre notamment sur les réseaux sociaux. Plus il y a de l’intime, plus il y a de l’engagement», avance Ruben Cohen, cofondateur de l’agence Follow.
Cette convergence des plateformes change les manières de s’adresser à sa communauté. Elle mute ces youtubeurs en influenceurs, les incitant à dévoiler plus que leur simple passion. Sans oublier la tendance du vlog : l’effet caméra embarquée a permis cet accès encore plus poussé à leur vie. Léna Situations en est la reine. Avec ses vlogs d’été, les nombres de vues augmentent considérablement. «Auparavant, les youtubeurs détenaient une chaîne secondaire pour la partie vlogging. EnjoyPhoenix en était la pro à l’époque. Désormais, ce parti pris créatif a été rapatrié sur leur chaîne principale», explique Marine Montironi.
Montre toi, je te suis
Face à la concurrence accrue, il faut pouvoir émerger. «Il y a un côté téléréalité dans ce phénomène, on se sent ami avec ces youtubeurs. Ils nous montrent plus que leurs chambres ou leurs appartements, ce qui crée de la curiosité. Les frontières de l’intimité sont repoussées. Mais cette proximité est à sens unique», rappelle Vincent Manilève, auteur du livre YouTube derrière les écrans. Ses artistes, ses héros, ses escrocs. Et cela pose forcément des questions éthiques : en devenant une personnalité publique, doit-on tout partager ou garder une limite ? «En tant qu’agence, nous sommes confrontés à la question de la vie privée de nos influenceurs. Nous les alertons sur le fait de ne pas construire leur communauté autour de cet étalage de vie privée mais autour de valeurs, de messages. La vie privée peut être l’un des axes pour animer sa communauté mais cela ne doit pas être le cœur de la ligne éditoriale d’un influenceur, ce serait une vision très court-termiste», explique Ruben Cohen.
Grâce leur aura numérique, ils deviennent des exemples à suivre pour toute une communauté. Plus ils sont connus, plus l'audience veut en savoir... Quitte à aliéner leur droit à la vie privée. Nombreux sont ceux qui ont été victimes de harcèlement ou de bad buzz. «Diablox9 me racontait une fois avoir retrouvé un fan avec son père dans son jardin, demandant une photo ou un autographe. Certains n’ont aucune limite et les influenceurs se doivent de la poser eux-mêmes pour se protéger», évoque Florence Dupont.
Mise en scène
Les couples de youtubeurs existent depuis la création de la plateforme. Ils ont ouvert la voie à de nouveaux formats de vidéos en duo comme les «pranks», les challenges… À la manière d’une téléréalité scindée en plusieurs épisodes, ils réinventent les histoires d’amour où ils se mettent en scène. Et ça fait les choux gras des chaînes gossip. L’histoire qui a récemment secoué la «Youtubesphère» reste la rupture, puis la réconciliation de TiboInShape et de JujuFitCats. Deux youtubeurs en couple depuis quelques années qui ont surpris leur communauté en annonçant publiquement un désaccord. Ont suivi deux vidéos sobrement titrées «Clash» puis «Réconciliation». À elles deux, elles cumulent 21 millions de vues, et ont été numéro 1 des tendances. «À partir du moment où tu maîtrises le montage et donc le regard, il y aura de la mise en scène. Dans ses vidéos, Léna Situations choisit de montrer des moments de dispute avec son copain Seb La Frite (également youtubeur). Il y a forcément des passages qu’elle ne nous montre pas», analyse Vincent Manilève. Ces drama queen à la larme facile ne perdent jamais totalement le contrôle de leur image...
