Évenementiel
À l’instar de Live Magazine, de nombreuses sociétés organisatrices de shows ou d’événements d’entreprise ont dû se réinventer en ligne. Mais l’écran peut-il remplacer les planches ?

5 décembre 2020, boulevard Raspail, à Paris. Une cinquantaine de personnes se sont donné rendez-vous au théâtre de l’Alliance française pour assister à la remise des prix Albert-Londres. Protocole sanitaire oblige, masques et espacements sont de rigueur. La ministre Roselyne Bachelot, venue rappeler son attachement à la liberté de la presse « au cœur de notre pacte républicain », se dit sûrement que le spectacle vivant, par temps de Covid, pourrait ressembler à cela. Mais celle qui confie sur scène que son père, journaliste, repérait un honnête homme au soin qu’il prend à plier son journal, sait aussi que l’assistance n’est pas que dans la salle. Elle est aussi derrière son écran.

Chronométrage précis, orchestre, rythme, fluidité des enchaînements, la scénographie emprunte d’ailleurs beaucoup aux codes des émissions TV. Si le lauréat de la presse écrite Allan Kaval, du Monde, ne peut être présent que par vidéo interposée, les autres récipiendaires ont fait le déplacement au théâtre pour raconter leur enquête, images à l’appui, sur les « alpinistes de Staline » (Cédric Gras) ou les « 7 milliards de suspects » depuis la Chine (Sylvain Louvet et Ludovic Gaillard). C’est à la fois fluide et très préparé. Comme au théâtre.

Mais le spectacle se regarde surtout en visio. Aux manettes, Live Magazine qui s’est associé à Magneto Prod pour produire cette remise de prix qui perd, comme par magie, son caractère ennuyeux et son entre-soi. Florence Martin-Kessler, à la tête d’une petite équipe de 4 à 5 personnes chez Live Magazine, n’en est pas à son coup d’essai. « Avant que le ciel ne nous tombe sur la tête, nous avions 10% de croissance par an, rappelle-t-elle. Notre business model, c’était la billetterie et l’événementiel. Notre parti-pris, c’était de ne rien enregistrer. » Au total, la start-up a cumulé 80 éditions où des journalistes descendent de leur piédestal pour raconter ce qui les passionne. Le programme n’est pas connu à l’avance. C’est la surprise et la singularité de la rencontre qui en font un événement unique. Un concept qui a inspiré Prisma qui a lancé le 14 octobre 2019 au théâtre de la Tour Eiffel ses Gala Live où dix personnalités comme Anne Hidalgo, Pierre-Emmanuel Schmitt ou Hélène Darroze racontent « le moment qui a changé leur vie ». L’idée, là aussi, est que ce moment partagé soit instantané et exclusif, chaque spectateur étant tenu de remettre son smartphone à l’entrée. « À l'heure de notre monde ultra-connecté, nous étions dans la vérité intense de l'instant », confiait alors à Stratégies Pascale Socquet, directrice exécutive chez Prisma.

Formats hybrides

Seulement, bien sûr, le Covid chamboule tout. Depuis le 29 août, pour les Rencontres d’Arles, Live Magazine est passé dans un format hybride, avec mille spectateurs rassemblés au cœur de l’été et 1500 autres pour regarder en direct et en replay la captation vidéo. Pour le spectacle « Bozar » au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le 23 octobre, deuxième vague oblige, les spectateurs ne sont plus qu’à distance. Neuf caméras sont là pour saisir le live, qui tient cette fois autant de la captation télé que des arts de la scène. « Cela requiert une culture audiovisuelle et le sens des angles », note Florence Martin-Kessler. Live Magazine, qui travaille sur une « nuit des idées » à l’Institut français de Bruxelles et les vingt ans du programme d’égalité des chances de Sciences Po, à la fois en public et en ligne, regarde désormais vers de nouveaux formats comme une série d’émissions pour Arte.fr ou une grande enquête en podcast, adaptée de The Ratline de Philippe Sands pour la BBC  (un sponsor est requis). « C’est le même esprit, mais pas la même grammaire », ajoute celle qui a dû annuler 23 spectacles et se détourner de la seule scène. La structure réfléchit aussi à une box et est en train de lancer une offre de membership.

Les marques aussi commencent à s’intéresser à ce type de « mise en récit augmenté ». Pour Chanel, Live Magazine a organisé une soirée « La beauté se cultive », avec une centaine de rédactrices de mode dans le public et une captation vidéo. Elle a travaillé aussi sur des discours pour Orange ou Catherine Guillouard, la PDG de la RATP, avec « le son, l’image et le supplément d’âme ». Objectif : faire du plus taiseux une vedette de la scène. « En ligne, on essaye de réfléchir à un système pour partager les émotions, comme le Facebook live et le fil de commentaires, mais c’est tellement mieux en vrai  », ajoute-t-elle. 

Plus d'audience mais moins d'émotion

Chez Orange, le concours d’éloquence, qui se tenait en 2019 à la Sorbonne, a cette fois eu lieu en ligne. Élargi à tous les salariés du groupe cette année (au-delà des 1500 communicants), il a donné lieu à cent sélections parmi 220 candidatures à partir d’une vidéo d’une minute sur un sujet imposé (par exemple « numérique et écologie font-ils bon ménage? »). La remise de prix a eu lieu en décembre avec pas plus de 3 ou 4 personnes en studio. « S’exprimer en visio, sans public ou à l’adresse de gens qu’on ne voit pas est aussi une compétence qu’il faut apprendre », note Béatrice Mandine, directrice de la communication et de la marque d’Orange. Bien que le résultat ne soit pas toujours techniquement irréprochable, car tout dépend de la qualité du réseau, les prestations vidéos des douze finalistes se sont tenues en live (« On a regretté de ne pas avoir enregistré »).

L’occasion de découvrir des talents parmi parfois « les plus timides qui y voient une façon de se dépasser ». C’est donc, là encore, un modèle hybride qui se dessine avec une première étape en visio pour la sélection et le retour à l’événement physique dès que possible. « La vidéo permet de multiplier les audiences et faire sauter les barrières dans la mesure où elle impose peu de contraintes, mais on y perd dans le networking et l’émotion », ajoute la dircom, qui va élargir son concours à d’autres entreprises (L’Oréal, SNCF…). 

« Depuis le confinement, constate de son côté Sophie Palès, déléguée générale de l’Association française des communicants internes, on assiste à une explosion des événements digitaux au sein de l’entreprise, y compris pour celles qui n’avaient pas cette culture. » Vœux filmés, témoignages en duplex, échanges à distance… « Le temps de préparation de ces formats, qui peuvent être de 30 minutes, est très important car l’improvisation saute aux yeux, ajoute-t-elle. Comme en télé, tout doit être très rythmé, très préparé. » Pour elle, le temps qui suivra sera celui d’une plus grande interaction entre présentiel et distanciel, y compris dans les événements internes. Mais le lien continuera de se faire dans la proximité. Pas de vraie relation humaine sans chair et os.

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