Société
Avec une crise du Covid-19 aux airs de jour sans fin, les Français mais aussi les marques ont pris massivement la plume ces derniers mois. Pour le meilleur mais surtout pour le pire.

À en croire les derniers résultats du baromètre du Centre national du livre, les Français seraient fâchés avec la lecture. Entre 2018 et 2020, le lectorat national a baissé de 8%. Une inflexion loin d’être neuve même si ces derniers sont encore nombreux à lire, plus de 80% d’entre eux ayant englouti au moins un ouvrage dans l’année, tente de rassurer le CNL, qui pointe également les éventuelles conséquences de la crise.

Mais si le black-out enduré au cours des 15 derniers mois n’a pas franchement bénéficié aux bibliothèques ou aux librairies, vampirisées par Amazon en dépit de leur statut de commerces essentiels acquis fin février, il a parallèlement accouché d’un engouement remarqué pour l’écriture. « C’est indéniable. La crise a entraîné un nombre croissant de vocations ou tout du moins de passages à l’acte », confirme d’emblée Sophie Charnavel, à la tête de Robert Laffont, l’une des principales maisons d’édition hexagonales.

« On reçoit annuellement près de 6000 manuscrits, ce qui constitue déjà un chiffre considérable. Or depuis l’automne 2020, on assiste à une croissance exponentielle et nous ne sommes pas un cas isolé. Au point que certaines maisons d’édition ont décidé de fermer leurs services », pointe-t-elle, en écho à la politique adoptée par Gallimard notamment. Du jamais vu. Et le signe qu’il se passe quelque chose au pays de Voltaire et Rimbaud, à une époque où c’est plutôt l’audio (Clubhouse, podcasts…) qui accapare la lumière.

Dynamique transgénérationnelle

« L’écriture a vraiment de beaux jours devant elle », appuie Karine Obringer, responsable éditoriale de la maison d’édition indépendante Nouvelles Plumes, lancée en 2013 pour « donner de la visibilité aux jeunes auteurs » à l’heure où « les principales maisons sont submergées ». Une mission aux allures de perpétuelle course contre la montre. « Nous recevons environ 200 manuscrits tous les deux mois, mais le rythme s’est encore accéléré depuis l’an passé », illustre-t-elle.

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Pour accompagner ce mouvement et séparer le bon grain de l’ivraie, des modèles alternatifs apparaissent. À l’instar de celui développé par Nouvelles Plumes. « Tout écrivain peut déposer son manuscrit via notre site. S’ensuit un premier tri au terme duquel les textes sont soumis à évaluation auprès de notre base composée de 8000 lecteurs, dont 2000 actifs. Les coups de cœur vont ensuite remonter au comité éditorial et potentiellement faire l’objet d’une parution », poursuit Karine Obringer. « On privilégie les premiers romans. C’est un peu notre marque de fabrique », ajoute-t-elle quant aux « 20 à 25 romans publiés et e-publiés » annuellement.

Autre élément remarquable dans cette frénésie de l’écrit, toutes les classes d’âge sont concernées, à rebours du cliché en faisant une activité passéiste et délaissée des digital natives. Une appétence transgénérationnelle qu’illustre le succès du Grand Prix RATP de la Poésie, à son aise dans le réseau de transports en commun francilien depuis 2014. « Même si la participation a chuté en raison de la crise, l’opération connaît un succès qui ne se dément pas avec en moyenne près de 10 000 poèmes reçus chaque année », commente Mariah Camargo de Staal, responsable de l’unité Voyageurs et Image en Île-de-France. Qui en veut pour preuve les profils des participants. « Ce concours amateur se divise en trois catégories : moins de 12 ans, 12-18 ans et plus de 18 ans. La part des mineurs est tout sauf anecdotique puisqu’elle représente un tiers des entrées », assure-t-elle.

Rempart de l’authenticité

« Les manuscrits que nous recevons émanent de personnes dont l’âge oscille entre 14 et 80 ans », corrobore Karine Obringer, battant en brèche les idées reçues quant à la disparité des productions examinées. « Nous réceptionnons des manuscrits de type fantastique ou "young adult" de très bon niveau. Des séries comme Game of Thrones ou Twilight contribuent d’ailleurs à nourrir l’imaginaire des 18-25 ans », relève la responsable éditoriale.

En revanche, si la plume ne connaît pas de barrière d’âge, la nature des écrits reçus par les maisons d’édition dessine plusieurs tendances de fond. Première d’entre elles, « la régression de la fiction au profit du témoignage, dont le côté plus brut séduit », note Christophe Perruchas, publicitaire et écrivain dont le premier roman Sept gingembres figurait sur la shortlist du Prix de Flore 2020. « Les derniers grands succès en littérature française reflètent ce goût des lecteurs pour l’autofiction et le témoignage », abonde Sophie Charnavel, citant les cas de Sylvain Tesson ou Camille Kouchner. « On constate une flambée de la libération de la parole, avec de nombreux témoignages relatifs au phénomène Metoo ou à l’inceste. Mais aussi une augmentation des manuscrits en lien avec les gilets jaunes ou la politique, qui se présentent souvent sous la forme de pamphlets. Sans oublier les journaux de confinement, qui pullulent », complète Karine Obringer.

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On l’aura compris, les Français écrivent tous azimuts. Et ils ne sont pas seuls. Les marques, elles aussi, prennent la plume en nombre ces derniers mois. Un phénomène pas si surprenant pour Christophe Perruchas. « Fut un temps, on disait dans la pub qu’une image valait mille mots. Aujourd’hui, l’image est partout et toutes les marques peuvent y avoir recours. Dans ces conditions, les mots sont en passe de devenir une nouvelle forme de sincérité, un rempart de l’authenticité. D’autant que les mots, a contrario des images, ne prennent pas les gens en otage. L’imaginaire associé est reconstruit par chacun en fonction de ses représentations mentales », étaye ce dernier.

Lettres d’amour dans l’espace

Si la plupart de ces campagnes ne resteront pas dans les annales, une opération sort du lot. Pour célébrer la Saint-Valentin 2021, le site de rencontres AdopteUnMec a lancé la Cosmic Love Space Agency. Un projet démentiel consistant à sélectionner puis envoyer 1000 lettres d’amour dans l’espace, à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX. À la clé, un voyage « aussi puissant et poétique que le sentiment amoureux » de six mois et plus de 100 millions de kilomètres avant de revenir sur Terre, dans les mains de l’être aimé. Conséquence : le site aurait été littéralement submergé ces deux derniers mois. La rançon du succès, dans un pays où la littérature occupe une place à part.

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« Au-delà de l’écriture comme moyen de s’évader d’un contexte particulièrement pesant, on peut légitimement parler d’exception culturelle. L’écriture est et reste une passion française », estime Sophie Charnavel. Subsiste alors néanmoins une question, centrale. Si l’écriture connaît un retour en grâce, la quantité rime-t-elle avec la qualité ? Loin de là à en croire la directrice des éditions, rappelant que le modèle de Robert Laffont, comme de beaucoup de maisons, laisse peu de place aux nouveaux élus. « Sur les milliers de manuscrits reçus, seules émergent en moyenne une à deux pépites par an », éclaire-t-elle.

Quant à savoir si les vocations nées ces derniers mois ont enfanté des perles, Sophie Charnavel n’y va pas par quatre chemins. « Honnêtement, on cherche encore », glisse-t-elle. Écriture partout, talent nulle part ?

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