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Négociations des contrats avec les marques, gestion des collaborations et de la notoriété... Des membres de la famille de certains influenceurs ont fait le choix d'endosser le rôle d’agent ou de manager. Si leur décision s’est imposée naturellement, dans la pratique, ce n’est pas toujours une mince affaire.

EnjoyPhoenix (Marie Lopez), Bilal Hassani, JujuFitcats (Justine Becattini), Vargasss92 (Mansour Sirat), Beauté Active (Caroline Bassac)... Leur point commun ? Tous ont fait le choix de travailler avec un membre de leur famille pour les accompagner dans le marché de l’influence marketing, évalué à 10 milliards de dollars dans le monde en 2019 (1). Carine Fernandez, fondatrice de l'agence parisienne Point d'Orgue, spécialisée dans le marketing d'influence, ne parle pas de tendance mais bien d’une nécessité. «S'entourer d'un membre de sa famille lorsque l'on est seul peut réduire considérablement le risque de se faire avoir ou de ne plus savoir qui on est. L'expérience de vie de nos proches, surtout s'ils sont plus âgés, est un véritable atout dans ce milieu qui ne dort jamais.» Pour Fanny Bonodot, senior influencer manager chez We Are Social, l’implication de la famille existe depuis le début de l’influence marketing en France, mais «se faisait timidement, car le métier n’était pas encore perçu comme une activité professionnelle aux yeux du grand public. Fanny Bonodot a également remarqué que «les membres de la famille sont plus dans la protection et en retrait sur les réseaux sociaux ou dans la presse».

Derrière cette dynamique familiale, plusieurs schémas ont éclos. Influenceuse depuis 2010, EnjoyPhoenix (3,6 millions d'abonnés sur YouTube) fait partie de l’agence Point d’Orgue depuis quatre ans et est managée en parallèle par sa belle-maman Marine. «Marine s'occupe de tout l'aspect personnel et organisationnel de la vie de Marie. Elle coordonne avec elle son emploi du temps, ses disponibilités et ses déplacements. Point d'Orgue est en charge du périmètre commercial des activités de Marie. Les annonceurs prennent contact avec l'agence directement ou bien via la boîte mail professionnelle de Marie, à laquelle nous avons toutes les trois accès. Nous nous synchronisons au quotidien pour assurer la faisabilité technique d'une campagne et nous avançons avec Marie directement sur ses souhaits en termes de ligne éditoriale», détaille Carine Fernandez. Bilal Hassani s’inscrit dans ce même schéma. «Nous ne pouvons pas nous improviser agent ou agence. C’est un métier à part entière», confie Amina Fruhauf, maman et manageuse du célèbre chanteur qui a intégré le groupe Webedia en janvier 2020. «Nous bénéficions de la force commerciale et des conseils de Webedia qui sont plus que le network de Bilal, mais sa structure de l'influence digitale. Ce sont eux qui vont chercher les bons partenaires et qui vont défendre son image», ajoute-t-elle. 

Dirigeante de House of Hassani, label, maison d’édition et de production de son fils, Amina Fruhauf et son équipe veillent notamment à ce que les missions du talent liées à l’influence marketing soient rémunérées et à ce que les délais des contenus soient respectés. Pour le volet digital, le cahier des charges a été défini en coordination avec l’influenceur, Webedia et sa mère qui n’intervient pas dans la négociation des contrats avec les marques. «Nous déclinons rarement, car le travail de vérification a déjà été fait au préalable par Webedia», indique Amina Fruhauf. 

A contrario, d’autres ont fait le choix de ne travailler exclusivement qu’en famille. «Il est difficile de trouver une personne de confiance qui va gérer des contrats, avoir accès aux chiffres, aux retombées et à l’ensemble de nos réseaux sociaux pour obtenir les statistiques», confie Caroline Bassac, qui travaille depuis cinq ans avec Laura Bassac, sa sœur et son agente commerciale spécialisée dans l’influence marketing. L’influenceuse spécialisée dans la mode, le bien-être et la beauté n’a jamais intégré d’agence et gérait seule auparavant ses contrats et collaborations. Juju Fitcats travaille également exclusivement avec sa mère, Hélène. «Pour moi, un bon agent doit voir nos intérêts avant les siens. Il doit aussi être transparent avec vous, c’est-à-dire que vous devez en tant qu’influenceur avoir le droit de voir les contrats qui sont signés entre les marques et votre agent, voir ce qui y est négocié», avait-elle déclaré dans une interview vidéo accordée à Stratégies le 3 mai 2021.

Des compétences à maîtriser 

En plus de devoir maîtriser les codes du marketing et du digital, manager la carrière d’un influenceur demande un solide panel de compétences. Mais «pour définir clairement des périmètres, il faut déjà connaître l’écosystème de l’influence», pointe Galo Diallo. Le fondateur de Smile Conseil, agence de développement artistique spécialisée dans le marketing d’influence, identifie cinq pôles : «Des compétences en gestion, des compétences commerciales, des compétences managériales pour savoir notamment faire de la gestion de crise et gérer la notoriété du talent. Mais aussi des compétences artistiques et juridiques pour comprendre le business model et savoir si le contrat est légal.» L’agent ou le manager doit aussi être capable de «proposer des tarifs correspondant à la valeur réel de l’influenceur, c’est-à-dire liée à son image, à sa visibilité et à ses performances. Ces derniers ne doivent être ni trop bas, ni trop hauts», recommande Thibault Anguise, cofondateur de l’agence NewScreen, qui est régulièrement entrée en contact avec des parents d’influenceurs.

Pour fixer les tarifs communs à l’ensemble des marques ou agences, «nous nous basons sur le taux d’engagement, le nombre d’abonnés et l’expérience de Caroline», indique Laura Bassac, diplômée d’un DUT communication, d’une licence Management des Entreprises et d’un master à l’école de commerce à Grenoble. Pour les contrats avec les marques, elles ont défini un modèle à partir des contrats reçus.

Mais comment protéger au mieux les intérêts de l’influenceur ? «Il n'y a pas de réponse précise, si ce n'est qu'il faut toujours faire le maximum, répond Carine Fernandez. Lorsqu'une marque nous contacte, il y a toujours des vérifications basiques à faire pour exclure les plus douteuses. Ensuite, il faut garder les yeux ouverts, blinder les contrats, se renseigner auprès de l'ARPP dès que nous avons un doute ! Point d'Orgue est affilié à l'ARPP, nous les sollicitons dès que besoin.» Avant toute collaboration, Laura Bassac effectue un travail de veille. «Lorsque je ne connais pas la marque, je visite le site web, je regarde les mentions légales. Je recherche notamment depuis combien de temps la marque existe, à qui elle appartient, son histoire. Les sites de dropshipping ont des codes assez similaires, à force on les repère de loin ; site hébergé sur Shopify, un produit unique et fortes promotions par exemple. Lorsque j’ai un doute et que je ne trouve pas l’information, je me tourne vers la marque. Systématiquement, je demande aussi d’envoyer un produit à Caroline pour qu’elle puisse tester et voir si le produit est conforme et s’il répond à ses attentes ou besoins.»

Pour Malik Sirat, manager et frère de l’influenceur Mansour Sirat (talent de l'agence Smile), la dimension pédagogique est centrale dans la gestion de projet d’un influenceur. «Vargasss a réussi à gérer parfaitement son buzz, car il a fait des choix qu'il a eu raison de faire. Mais le membre de la famille peut être bénéfique et faire redescendre sur Terre l'influenceur. Le métier d’influenceur est éphémère. Si on ne vous suit plus, c’est fini.» Malik Sirat a d'ailleurs dû gérer un bad buzz en 2018 à la suite de la promotion de contrefaçons d'écouteurs sans fil AirPods. «On nous avait dit que c’était des AirPods de la marque Apple. J’ai assumé la responsabilité de ce partenariat, car c’est moi qui l’avait ramené et non l’agence Smile. Mais pour les abonnés, la faute est renvoyée à l’influenceur, car c’est lui qui présente le produit et qui est sur le devant de la scène», regrette-t-il. 

Une loi pour les mineurs 

Qu’ils soient enfants ou adolescents, eux aussi ont fait le choix de travailler en famille, plus précisément avec leurs responsables légaux. «Aujourd’hui, des enfants ont envie de devenir influenceurs, mais les parents sont mal accompagnés ou ne voient pas les potentiels effets sur l’enfant à court ou moyen terme, interpelle Caroline Letailleur, head of Publicis Media Content. Selon elle, le rôle de l’agence média est aussi de faire de la pédagogie auprès des parents des influenceurs mineurs. «Nous avons aussi une responsabilité morale et juridique. Notre règle déontologique est de ne pas demander aux parents lors du brief de mettre en avant leur enfant dans les contenus. Si l’influenceur veut l'impliquer, nous acceptons, mais ce dernier doit notamment être inscrit dans une agence spécialisée et référençant des enfants.» En octobre dernier, le Parlement a adopté une loi pour encadrer le travail des enfants influenceurs, afin de définir un cadre légal sur le volume horaire travaillé et sur la gestion des revenus. «Qu’il apparaisse dans les contenus ou qu’il soit influenceur, l’enfant doit être sensibilisé aux conséquences de l’exposition de son image. Et ça, c'est là le rôle des parents», insiste Quentin Bordage, fondateur et CEO de Kolsquare. 

(1) Selon une étude de Kantar Media intitulée «Marketing de l'influence: vers plus d’engagement créatif et responsable».

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