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Où sont passés les mannequins noirs ?
28/10/2004Les top models noirs s'imposent en douceur. Même si, en France, les tabous sont encore tenaces.
Liya, Noémie, Alek, Ajuma... Des prénoms de beautés sur papier glacé, d'égéries placardées sur les panneaux publicitaires du monde entier, de filles qui font rêver. L'originalité de ces top models n'a rien à voir avec leurs mensurations - parfaites ! - mais plutôt avec la couleur de leur peau. Elles sont noires ou « cappuccino », selon le surnom qui est donné aux métisses par les Africains. Il y a encore dix ans, rares étaient celles qui défilaient sur les podiums ou représentaient une marque. Aujourd'hui, L'Oréal a choisi la métisse Noémie Lenoir pour être l'une de ses ambassadrices et Estée Lauder a fait appel à l'Éthiopienne Liya Kebede pour figurer aux côtés des diaphanes Carolyn Murphy et Elisabeth Hurley. C'est la première fois depuis 1947, date de sa création, que la marque américaine de cosmétiques recourt à un mannequin noir.
Retour en force du « Blackis beautiful » des années quatre-vingt ou prise de conscience de la diversité de la population française ?« Les deux »,répond Vicky Mihaci, responsable image de Ford Models, une agence de mannequins basée à Paris, qui se démarque de ses concurrentes par la forte présence de femmes noires.« Le marché européen est en train de s'ouvrir et de suivre l'exemple américain. En 2004, on a noté une demande croissante de mannequins noirs pour les collections, alors qu'auparavant, seul Yves Saint Laurent en faisait systématiquement défiler »,ajoute-t-il. Plus tard, Jean-Paul Gaultier recourra lui aussi à ces filles venues de l'hémisphère Sud, sans doute dans un souci de mettre des visages atypiques sur des modèles qui ne le sont pas moins. Mais c'est Paco Rabanne qui fait figure de précurseur en la matière. Il avait choqué le petit monde de la mode en présentant, dès 1966, ses robes expérimentales portées par des Noires...
L'année précédente, Donyale Luna avait été la première femme de couleur à apparaître dans un magazine - le très chic mensuel de mode américainHarper's Bazaar. Les photos étaient signées Richard Avedon. Une fois l'onde de choc passée, les années soixante-dix tendent à banaliser le phénomène, en laissant de plus en plus de place, outre-Atlantique, aux beautés de couleur. Certaines ne manquent d'ailleurs pas d'être « starisées », à l'instar d'Iman, de Grace Jones ou encore de Beverly Johnson. En 1974,Vogueosera même faire sa couverture avec cette dernière !
Le diktat « White is right »
Si les tabous tombent progressivement aux États-Unis, où le multiculturalisme est clairement revendiqué, ils restent encore tenaces en France. L'édition française deVogue,par exemple, attendra la fin des années quatre-vingt pour oser mettre en une sa première femme noire : Naomi Campbell... Depuis lors, le magazine n'a récidivé que quatre fois, dont deux avec la même Naomi Campbell.
Celle-ci, quoiqu'ayant accédé au statut de star, au même titre que Cindy Crawford et Claudia Schiffer, se plaindra de cet ostracisme planétaire.« Je déteste que l'on me dise qu'on ne peut pas me mettre en une de tel ou tel magazine sous prétexte que j'ai fait la couverture trois ans auparavant et qu'ils ne peuvent pas se permettre d'avoir encore une Noire en couverture ! »avait déclaré le top model en 1993 sur MTV.
Les magazines semblent peu à peu se délester du diktat, en vigueur pendant longtemps chez les annonceurs, selon lequel « White is right ». En effet, les publicitaires étaient convaincus que les consommatrices ne s'identifiaient pas suffisamment aux Noires pour modifier leurs habitudes, et donc que seuls les mannequins blancs faisaient vendre...
Ethnicité rime avec modernité
L'Europe entame toutefois une petite révolution au début des années 2000. Dans le milieu de la mode, les Africaines deviennent incontournables. Surtout si elles ont des histoires dramatiques à raconter... Après le choc du 11 septembre, le lourd passé de la réfugiée soudanaise Alek Wek ou les confidences de Waris Dirie sur son excision confèrent un peu plus de crédibilité au secteur si frivole de la mode. Les Noires sont tellement sollicitées que l'agence Elite décide d'ouvrir un bureau au Kenya. L'aventure est de courte durée. En 2003, après un an d'existence, l'agence met la clef sous la porte. La représentante d'Elite, Lyndsey McIntyre, est toutefois restée sur place et a ouvert sa propre agence, Surazuri.« Les filles pensent que je peux réaliser leurs rêves, alors qu'en ce moment je me sens plutôt comme une " casseuse " de rêves »,confiait-elle récemment àThe Independent.Après tout, 3 % seulement des mannequins du monde entier sont noires. Alek, Liya, Naomi et quelques autres suffisent à satisfaire la demande.
Le marketing ethnique, qui débarque en France, va peut-être changer la donne. Alors que les annonceurs américains ont compris dès les années cinquante qu'il était important d'adapter leur discours aux 13 % de Noirs que compte le pays, les Européens ont une attitude plus frileuse, voire conservatrice.« En France, on a longtemps confondu communauté et communautarisme »,explique Jean-Christophe Despres, fondateur de Sopi Communication, la première agence de marketing ethnique à avoir ouvert ses portes dans l'Hexagone, en février 2003. Et il ne s'agit pas là d'une mode passagère,« puisque dans la société multiculturelle qui est la nôtre, le Noir ne correspond plus à l'exotique »,souligne Anne Senges, auteur du livreEthnik ! Le marketing de la différence(éditions Autrement, 14,95 e).« L'ethnicité est aujourd'hui associée à la modernité »,ajoute-t-elle. La marque L'Oréal l'a compris dès les années quatre-vingt, quand elle demande à l'actrice Beverly Johnson de devenir son ambassadrice.« Être numéro un mondial de la beauté implique de proposer aux femmes du monde entier des modèles auxquels elles peuvent s'identifier »,souligne le directeur général international de L'Oréal Paris, Nicolas Hieronimus. Beyoncé Knowles, Agbani Darego, Noémie Lenoir, Beverly Johnson et Vanessa Williams sont quelques-unes des belles « afros » auxquelles la marque a fait appel depuis lors. Outre les grands groupes, les enseignes urbaines et de proximité, comme Monoprix, n'hésitent plus à solliciter des mannequins de toutes origines ethniques. Comme si les gens de couleur devenaient enfin des citoyens à part entière.