LE BILLET VERT DE GILDAS BONNEL

La dernière campagne de l'Ademe, finalement maintenue après un petit vent de folie, illustre une nouvelle fois que l’antagonisme transition / croissance est le nœud gordien du secteur de la publicité.

Formidable cette publicité pour nous convaincre de ne pas acheter. L’Ademe nous a fait une belle surprise avec sa nouvelle campagne et son « dévendeur » qui invite ses clients à ne pas céder à leur réflexe d’achat et les oriente vers la location, la réparation et, encore mieux, leurs propres placards déjà bien remplis. Alors que, par essence, la publicité soutient la consommation, la croissance, l’emploi, Graal de tous nos gouvernants, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, à l’occasion de sa présentation, a défendu la campagne, en marchant sur la crète du en même temps : « la campagne, ce n’est pas “acheter, c'est mal”, mais “acheter n'est pas la seule solution” ». Ces quelques mots révèlent bien la difficulté du job : prôner la sobriété dans un système où la consommation est un pilier essentiel de la politique économique.

Quelques jours après la diffusion des spots : patatra ! Un communiqué de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) cinglait : « Une telle campagne à l'approche des fêtes de Noël est une véritable gifle aux commerçants, qui subissent l'inflation de plein fouet », et exigeait le retrait des spots. L’Alliance du commerce, l’Union des industries textiles, de la mode et de l’habillement, ont menacé de porter plainte pour dénigrement. Bruno Lemaire a suivi la danse en jugeant la campagne « maladroite » et en soulignant que « c’est pas très sympa pour les vendeurs de se moquer même indirectement de leur métier ». Après les fuites d’un possible retrait exigé par Matignon, le ministre de la Transition a finalement confirmé le maintien de la campagne. Bref, un petit vent de folie pendant 48 heures dans le Landerneau politique. Tu parles d’une affaire. Cette campagne, infime goutte d’eau dans le flot continu des publicités commerciales, ne changera pas le monde mais son retrait aurait été une nouvelle couleuvre impossible à avaler. Son maintien, en revanche, est une victoire symbolique indiscutable.

L’antagonisme transition / croissance est le nœud gordien du secteur de la publicité. Le lien entre nos activités et la consommation de masse est une réalité. Elle a toujours été au service de la promotion au sens littéral du terme (promouvoir). Et aujourd’hui, alors que nous devons faire notre part dans la transformation des modèles sociaux et environnementaux et contribuer à l’émergence d’une nouvelle forme de consommation, nous poussons notre rocher de Sisyphe. Nous tentons, péniblement, de changer de cap et de mettre en avant une consommation plus consciente de ses impacts, plus respectueuse des écosystèmes, nous tentons même (dans des cas encore assez rares pour être remarqués) de proposer une juste distance avec le produit que nous promouvons. Mais chaque crise nous ramène au point de départ. Une récente étude Kantar a montré que les Français, dans un contexte d’inflation, se ruent sur les « bonnes affaires » et (surtout les 18-24 ans) oublient leurs déclarations d’une envie de consommer moins et mieux. Les chiffres de ce nouveau « vendredi noir » seront très positifs. Une étude Shopify résume que, à l’occasion du Black Friday, « les Français augmentent leur budget prévisionnel et se préparent à acheter de manière réfléchie ». LOL.

Il y avait eu un antécédent notable de publicité qui ne voulait pas vendre, aujourd’hui enseignée dans toutes les bonnes écoles de marketing et de communication, celle de Patagonia et son claim « don't buy this jacket »,  parue dans le New York Times le jour du Black Friday de 2011. Iconique, cette prise de parole avait permis, alors, de positionner la marque et d’en faire un modèle de durabilité.

Alors, amis de la communication, relayez sur vos réseaux ces spots. Taguez moi svp. Soyons nombreux à signifier que ce mouvement pour une communication engagée ne nous fait pas peur mais, au contraire, témoigne de notre envie de contribuer à notre place à l’émergence d’une consommation riche de sens.

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