Les réseaux sociaux, les sites e-commerce et la multiplication des points de vente ont rendu le luxe plus accessible. Les marques se doivent d’inventer une nouvelle désirabilité de leurs produits, à travers des collaborations avec des artistes, ou de nouvelles expériences digitales comme le live shopping.
Le luxe est partout. Il inonde les centres-villes des capitales du monde. Et fait qu’Eric Emmanuel Schmitt pose la question « Pourquoi un pays commence-t-il après son aéroport ? », tant ils se ressemblent (1). Le luxe est devenu le marqueur des pays, impatients de montrer à la face du monde qu’ils appartiennent au club fermé des pays développés.
Pas étonnant alors que les groupes de luxe surperforment. En trois décennies, ce qui est assez court par rapport au temps qu’il a fallu aux fondateurs pour créer leur marque, des multinationales se sont constituées par croissance externe. Des entrepreneurs français ont détecté le filon et ont saisi leur chance en opérant avec talent des pivots stratégiques audacieux, quittant la construction (Bernard Arnault) ou la distribution spécialisée (François Pinault) pour s’investir dans des marques à fort potentiel et rendement escompté.
Ces success stories françaises ont su tirer profit de l’incroyable capital imaginaire de la France dans le monde de l’élégance, du raffinement, du style, et de l’artisanat de luxe. Louis XIV et Colbert, inventeurs du “soft power” à Versailles au XVIIe, ont bien facilité le travail des entrepreneurs du XXe !
Le marketing du luxe est toujours enseigné dans les écoles. On y apprend d’emblée qu’une marque qui n’est pas née « luxe » n’a aucune chance de le devenir. On y apprend surtout les trois critères qui font le luxe : le prix, la qualité, la rareté. Le prix ne pose pas de difficulté. La cherté fait partie intégrante du mix marketing. Les marges insolentes ne découragent pas des clients (millionnaires et milliardaires) qui n’ont jamais été aussi nombreux. La qualité (l’excellence même) est généralement au rendez-vous. C’est même la seule manière de lutter efficacement contre le fléau destructeur de valeur qu’est la contrefaçon.
De nouveaux rituels de consommation
C’est la rareté qui constitue le défi. Comment garder la désirabilité intacte de marques qui sont partout, au travers de points de vente, ouverts par centaines à travers le monde? Elles qui avaient pour habitude de recevoir leurs clients, souvent voyageurs du lointain, au sein d’écrins iconiques cachés. Comment éviter que cette « retailisation » casse le mythe ? Comment protéger la rareté alors que le digital, les réseaux sociaux, les sites de deuxième main et les ventes aux enchères spécialisées accélèrent la diffusion à grande échelle ? Le risque est grand qu’un secteur mythique issu de l’artisanat perde de sa valeur à bas bruit, en s’approchant trop de l’industrie et de son imaginaire de standards reproductibles.
L’enjeu stratégique est donc pour toutes les maisons (le mot en lui-même fait office de garde-fou) d’inventer une nouvelle rareté, une rareté 3.0 qui redonne aux clients des signes tangibles d’exclusivité. On voit ainsi fleurir pêle mêle : des associations avec le rap, des collaborations le temps d’une collection avec Yayoi Kusama, Suprême, Stephen Sprouse, Jeff Koons, des flagships confiés à de grands architectes (Christian de Portzamparc à Séoul), de nouvelles expériences digitales avec le live shopping et ces influenceurs virtuels dédiés, de nouveaux programmes de fidélisation réservé aux ultra-riches…
De nouveaux rituels de consommation hors-norme apparaissent et répondent aux nouvelles attentes d’une clientèle exigeante, féminine, plus jeune, qui assume ses choix. Seules les marques qui sauront être aussi créatives dans l’expérience consommateur que dans la conception-fabrication des produits, parviendront à être perçues comme rares alors qu’elles sont devenues accessibles en un clic ou à quelques pas, au coin de la rue.
(1) Le défi de Jérusalem, éd. Albin Michel.