Grand professionnel de la radio pendant quatre décennies, Frank Lanoux, ancien de NRJ et de RMC, a réuni 120 contributeurs, de Philippe Caverivière à Jean-Pierre Elkabbach en passant par Jacques Vendroux, pour décrypter les trésors du média radio.
Comment est né ce projet de dictionnaire amoureux ?
Frank Lanoux. J’aime bien cette collection, qui compte plus d’une centaine de volumes. Il n’y en avait pas sur la radio. Je leur ai proposé un ouvrage collectif, ce qui était inédit pour eux. Plon a été séduit par l’idée.
Pourquoi un ouvrage avec une centaine de contributeurs ?
La radio est une activité collective, qui se crée dans un collectif d’humains même si c’est une seule voix que vous entendez.
Qui a fixé la liste des contributeurs ?
Moi-même, dans une totale liberté. J’ai fait appel à des personnalités aussi variées que des grands patrons comme Laurence Bloch mais aussi Claude Wargnier, le fameux directeur technique d’Europe 1, ou des journalistes comme Patrick Cohen, Catherine Nay ou Marc-Olivier Fogiel.
Comment s’est déterminée la liste des entrées ?
Je voulais embrasser toutes les dimensions de la radio, de l’information à l’humour, de la musique à la technique, des talents au marketing. Certains m’ont proposé leur mot, d’autres qui ont pioché dans une liste que j’avais établie avec des mots évidents comme micro, auditeur ou liberté. Gérard Klein m’a proposé la connerie « parce que j’ai toujours fait des conneries », m’a-t-il dit.
À côté de personnalités évidentes comme Ivan Levaï ou Philippe Labro, on retrouve Anne Goscinny…
J’avais lu un article dans lequel elle disait écouter énormément la radio. Et comme je cherchais quelqu’un qui puisse incarner une auditrice « addict », j’ai pensé à elle. Elle raconte une très jolie histoire de radio avec ses parents.
Et pourquoi Dave ?
Je trouvais intéressant d’avoir un chanteur et il est même devenu animateur. J’ai découvert un homme aussi fin que généreux. J’ai passé deux heures chez lui très joyeuses.
Pourquoi certains absents comme Jean-Paul Baudecroux, créateur et dirigeant de NRJ ou Sibyle Veil, présidente de Radio France ?
Pour des raisons personnelles, il n’a pas pu participer. Quant à la patronne de la Maison de la Radio, elle m’a mise en relation avec Laurence Bloch, sa numéro deux. Mais je n’ai pas voulu réunir tous les patrons. Il n’y a ni Constance Benqué (Lagardère News), ni Régis Ravanas (groupe RTL). Seul Pierre Bellanger (Skyrock) est là car j’étais curieux de sa réflexion sur ce média sur lequel il a écrit plusieurs livres.
Quelles anecdotes préférez-vous ?
J’ai une tendresse pour celle d’Alain Duhamel racontant que Pierre Bérégovoy, fatigué de se faire écharper tous les matins par Philippe Alexandre sur RTL, l’avait appelé pour lui demander d’organiser un dîner chez lui avec Philippe Alexandre. Ils se retrouvent donc tous les trois chez Alain Duhamel qui, fidèle à son habitude, remercie les deux hommes à 22 h 30. Ils poursuivent la discussion autour d’un verre. Le lendemain, Philippe Alexandre a demandé à l’antenne la démission de son convive de la veille. Incorrigiblement libre !
À quoi tient la spécificité du média ?
Sa facilité d’accès. Dématérialisé et maintenant délinéarisé, il peut être écouté partout et à la carte, en voiture ou en faisant la vaisselle. Il rythme la vie des auditeurs. Cette facilité de production et de consommation est unique. Et il crée une intimité incomparable, grâce à la voix. Il est un parfait compagnon de vie.
Quel est votre regard sur l’actuel mercato ?
Assez critique parce que je considère que chaque radio doit conserver son identité. Les artisans de chaque marque ne sont pas interchangeables. C’est ce que l’on a démontré en relançant RMC avec Alain Weill (passé de 1,9% à 8,2%). Nous n’avons pris aucun talent à la concurrence. Nous avons choisi des personnalités propres à RMC, comme Jean-Jacques Bourdin. Les allers-retours des uns et des autres finissent par desservir le média et ils n’ont quasiment pas d’impact sur l’audience.
Pourtant, en faisant venir d’Europe 1 Laurent Ruquier pour lui confier Les Grosses Têtes, RTL a surperformé…
L’équation Laurent Ruquier -Europe 1-RTL est très spéciale. J’ai le sentiment qu’il faisait déjà Les Grosses Têtes sur Europe 1. Et en fin de compte, le transfert a consisté à fusionner deux émissions qui étaient diffusées à la même heure.
Alain Weill croit à la nécessité d’une offre claire et identifiable par le public. Vous souscrivez ?
On ne peut pas demander aux auditeurs d’être fidèles, si soi-même, on ne l’est pas à sa marque, ce qui n’exclut pas d’évoluer. RMC, on l’a réinventée parce qu’elle était moribonde.
Certains parlent de la radio comme d’un média vieillissant. Adhérez-vous à ce constat ?
L’offre radio délinéarisée s’adapte aux nouveaux usages surtout consommés par les jeunes. Mais le deuxième podcast de France, c’est l’After Foot de RMC, qui doit s’écouter au petit matin dans les bus de ramassage de scolaire. Preuve qu’il y a toujours une audience pour la radio, y compris chez les jeunes.
Quel est votre regard sur la mesure d’audience, qui demeure trimestrielle à l’heure où en télé les données sont quotidiennes voire instantanées ?
La difficulté est que ces outils numériques vous donnent une comptabilisation instantanée mais pas de profils, les CSP, les tranches d’âge, les régions. Les besoins ne sont pas les mêmes en télé car la radio est un média de fidélité qui ne change pas de programmes tous les jours. Médiamétrie propose des évolutions depuis des années. Aux actionnaires de se mettre d’accord pour l’adoption de l’audimétrie portée par exemple testée en radio et adoptée en télé.
Quelles ressources ont les radios face à la baisse des investissements publicitaires ?
Faire preuve de créativité, sur les formats et sur la mise en place de la publicité à l’antenne pour que les campagnes ne soient pas noyées. Un môme va-t-il écouter sept minutes de pub avant d’entendre un disque qu’il n’a pas choisi ? Je ne pense pas. Cela passe par une entente au sein du média, pour révolutionner la mise en place de la publicité à l’antenne.
Une entente comme pour le lancement de l’application Radioplayer ?
Effectivement, les quatre grands groupes de radio privés et Radio France se sont fédérés sur ce projet et ont réussi à constituer une sorte de bande FM sur une application.
Quels sont les grands enjeux de demain pour la radio ?
La radio, c’est tous les jours pareil et tous les jours différent. La difficulté réside dans la gestion de ce paradoxe. Quand on a construit son format, son identité et sa grille, il faut être capable d’être créatif tous les jours en réenchantant les métiers.