Il est faux de croire qu'il existe une méthode pour créer des noms de marque. Dernier exemple en date de ce syndrome de «l’apprenti sorcier», la création du nom de la mascotte des JO, la Phryge.
Créer une marque ne s’improvise pas. Toucher au verbe, au mot relève presque du divin. Aussi, faut-il rester humble face au pouvoir des mots. La création de marque n’est rien d’autre que la maîtrise du verbe. La marque est la quintessence même du langage puisqu’en un seul mot, elle doit, à elle seule, dire, évoquer, transporter, créer du sens tout en parlant aux sens.
Or, ces temps derniers, je lis de plus en plus souvent que le naming est une «méthode» accessibles à tous. «Tu veux créer une marque ? J’ai la méthode !» Mais c’est formidable. Il suffirait donc d’acheter une formule magique pour devenir des apprentis sorciers de la création de noms de marque ? Cela serait merveilleux au pays des licornes et des fées. Baudelaire a sûrement acheté cette «méthode» pour créer Les Fleurs du Mal. J’aimerais en rire si je n’étais pas affligée par tant de naïveté aux conséquences très souvent dommageables. Imaginer qu’il suffit de détenir cette «méthode» pour «créer» des noms de marque relève de la plus parfaite inconscience ou d’un manque total d’humilité, voire d’un syndrome de toute puissance propre aux enfants. «Je veux jouer moi aussi à la création de noms de marque. J’ai la formule. Je peux tout faire !»
La plus récente illustration de cette démesure de l’ego créatif, syndrome de «l’apprenti sorcier», la plus retentissante à quelques mois des Jeux olympiques, est la création du nom de la mascotte, elle-même très controversée, la Phryge. De quel chapeau ou plutôt de quel bonnet mal tricoté a pu sortir une telle marque ? Quelle agence en fut à l’origine? Quel en fut le parti pris créatif ? Autant de questions à ce jour sans réponses.
Dans ce flou resté nébuleux, je pressens que Phryge est née d’une «réunion naming» menée par le Comité olympique au cours de laquelle chacun s’est cru investi de la toute puissance du créateur. «C’est un bonnet phrygien, on a qu’à l’appeler Phryge. Ça, c’est une bonne idée.» Et voilà ! Alors que dire sans être offensant... D’une part, si l’on ne s’en tient qu’à la forme, le mot «Phryge», qui est composé d’une succession de trois consonnes et d’un Y, est illisible dans la plupart des pays conviés aux Jeux, ce qui est très discourtois à l’égard de nos invités et surtout inconcevable dès lors qu’il s’agit d’une marque à vocation internationale. Je doute qu’il y ait eu une validation linguistique, étape indispensable à tout lancement.
Une aberration lexicale
D’autre part, si l’on analyse objectivement le mot Phryge, ce dernier est un non-sens parfait, une aberration lexicale, historique et sémantique à plus d'un titre. En effet, d’une part, la Phrygie est un ancien pays d'Asie mineure situé entre la Lydie et la Cappadoce, ce qui pourrait conduire à une certaine confusion. D’autre part, le bonnet phrygien fut rendu célèbre sous l’Empire romain, puisqu’il était porté par les esclaves affranchis. Et ce n’est qu’en 1791 qu’il fut «adopté» et porté par les Sans-Culottes en tant que «bonnet de la Révolution», ainsi l’appelait-on à l’époque.
A la lumière de ces quelques éléments de base, il est manifeste que l’amputation du «bonnet phrygien» en «Phryge» est une offense faite à l’histoire, à la culture, à la langue française et à ce symbole universel de liberté ridiculisé par des «apprentis sorciers» du naming.
Pour ma part, créer un nom de marque est un engagement de l'âme. La création de noms de marque est, selon moi, la forme la plus complexe de la création littéraire après le haïku. La créativité est une chose. Mais point de création sans connaissance, sans culture, sans références littéraires, philosophiques, historiques, artistiques, sans sensibilité, sans curiosité. Existe-t-il une «méthode» pour cela ? J’en doute… L'indigence générale des marques actuelles qui se ressemblent toutes et n'ont de ce fait aucune distinctivité est liée au fait que certains pensent que la création de noms de marque est avant tout un jeu sans enjeux. Or nous savons tous qu’un nom de marque est un élément essentiel qui concoure au succès d’un produit. Une marque faible ne rendra jamais un produit fort mais une marque forte pourra transporter un produit «faible». Qu’on se le dise : n’est pas créateur qui veut.