Fidélisation: la deuxième vague

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Quand on retient 5% de clients supplémentaires, on renforce la profitabilité de son entreprise de 20%»,explique Luc Guittet, directeur conseil à l'agence de marketing opérationnel Wunderman Cato Johnson (WCJ). Tout est dit. Fidéliser est devenu un impératif pour les entreprises. Après une première prise de conscience au début des années90, quand la consommation se tassait de manière dramatique, les entreprises entrent dans une deuxième phase. Les compagnies aériennes (Fréquence Plus pour Air France), la distribution (Point Ciel pour Cofinoga) et la grande consommation (Bingo des marques pour Danone) ont montré la voie. Les annonceurs et leurs agences sont en train de tourner une page. La première époque de la fidélisation, marquée par des mécaniques lourdes (vignettes à coller, bons de réduction, offres différées...) est révolue. Les techniques sont plus affinées, associent tous les médias, font place à des cadeaux plus concrets et immédiats face à des consommateurs qui commencent à connaître toutes les ficelles du marketing opérationnel. Parmi les innovations, on remarquera celle de la chaîne Atac. Les magasins du groupe Auchan ont lancé une carte de fidélisation originale avec leur agence Audour Soum&Associés. Première innovation: le petit rectangle de plastique est gratuit, contrairement à celui de ses concurrents. Deuxième originalité: la carte permet de collecter des points qui, à partir de 250, permettent de bénéficier de 50F de réduction immédiate sur les achats effectués. Le tout s'articule autour duMagazine de la carte Atac(agence Cinq Colonnes) qui signale aux consommateurs les articles permettant d'accumuler le maximum de points. La carte a permis de constituer une base de données en collaboration avec Atos. Atac ne laisse aucun répit à ses fans, puisque la chaîne réexploite cette base de données pour diffuser des mailings promotionnels. Le succès dépasse les espérances: déjà un million de clients l'ont glissé dans leur portefeuille.Répondre aux préoccupationsEn pleine révolution marketing depuis l'arrivée de son nouveau patron, Philippe Bourguignon, le Club Med a renouvelé complètement sa stratégie. Au lieu de procéder par rafistolage, l'entreprise de loisirs a décidé de passer au crible toute sa communication de proximité en menant une enquête fouillée auprès de ses clients. Elle a sollicité pour cela l'agence Wunderman Cato Johnson (WCJ) qui a mis en oeuvre un système baptisé Customer Satisfaction Valuator (Démarche Satisfaction Clientèle).«Un questionnaire a été diffusé aux gentils membres du monde entier. Les réponses permettent de déterminer si on a délivré le bon service au bon client et au bon moment»,explique Luc Guittet. Puis, les résultats sont analysés village par village et diffusés auprès de chaque responsable de club de vacances. Le Club Med a appris, par exemple, qu'il est risqué de faire attendre des clients pendant leurs vacances, alors que leur temps est compté et qu'ils ont payé pour être pris en charge. L'idée consiste ensuite à remonter dans la politique de marketing afin d'améliorer les facteurs d'attente. L'argent investi dans cette nouvelle priorité devra être naturellement prélevé sur d'autres budgets, considérés comme secondaires.«Qu'importe s'il manque des chaises longues au bord de la piscine. Le client, épuisé après un voyage de 5heures, sera toujours plus sensible à la durée de son attente à l'accueil»,ajoute Luc Guittet. Du coup, la communication qui est mise en place dans la foulée doit répondre précisémment aux préoccupations de tous les clients et rester concrète. Certaines techniques de ciblage viennent de l'étranger et sont adaptées au marché français. C'est le cas du marketing de communauté. L'agence Coda vient ainsi d'inaugurer cette méthode venue des États-Unis en l'appliquant à une chaîne française de magasins de vêtements féminins.«Pendant des années, nous avons cru qu'il fallait regrouper les consommateurs par profil sociologique. Nous comprenons aujourd'hui qu'il faut sortir de son fichier les consommateurs ayant un besoin particulier en commun, tels les gros consommateurs de communications téléphoniques, les grands voyageurs, ou les personnes renouvelant leur voiture»,explique Pascal Aurenche, président de Coda. Il ajoute:«Le marketing de communauté va révolutionner cinquante ans de marketing. Avec le recul, nous estimons qu'il est beaucoup plus judicieux d'accorder 30% de réduction à nos meilleurs clients possédant la carte de fidélité plutôt que de faire 10% à tous. Imaginez les réductions que pourrait négocier un distributeur auprès d'un constructeur automobile s'il lui présentait une liste de 100000 personnes souhaitant acheter une nouvelle voiture!»Avec l'ouverture de services en ligne par les distributeurs, les spécialistes du marketing opérationnel se mettent déjà à tirer des plans sur la comète.«Les consommateurs fidèles se verront peut-être proposer chaque matin des réductions très importantes sur des produits qu'ils achètent fréquemment»,poursuit Pascal Aurenche.Cibler les messagesLa deuxième génération de la fidélisation tente d'améliorer le ciblage des messages. Renault en donne un exemple concret. Le constructeur, avec l'agence Procréa, a mis en place une stratégie très pointue autour de la Twingo. Environ 400000mailings ont été récemment diffusés dans trois versions différentes pour séduire autant de types de consommateurs. Le premier message s'adressait exclusivement aux personnes ayant déjà acheté une Twingo. Il expliquait que le constructeur avait tenu compte de leurs remarques et leur signalait les nouvelles modifications (ABS, moteur, airbag...). Le deuxième tentait de convaincre les automobilistes ne possédant pas de Twingo et sensibles aux accessoires. Enfin, un troisième type de publipostages destinés aux femmes mettait plutôt l'accent sur la Twingo Élite.«C'est une première dans le monde automobile et pour Renault,explique Stéphane Barbat, coordinateur des régions chez Renault, et ancien responsable du marketing direct.Généralement, les constructeurs tiennent le même discours auprès de tout le monde. Ce mailing nous a permis de vendre plusieurs milliers de voitures en plus.»Les professionnels de la fidélisation s'interrogent aussi sur les petits cadeaux qu'ils distribuent aux consommateurs. Vivons-nous la fin des petits gadgets inutiles et des réductions insignifiantes sur des articles sans intérêt? Peut-être, si l'on en croit l'expérience du groupe Mulliez (Auchan, Kiabi...), menée avec l'agence Eto. Le distributeur a renouvelé les avantages proposés par la carte Accord, la carte de paiement de 50F utilisée par un million de personnes.«Nous proposons désormais des réductions sur les communications téléphoniques interdépartementales et internationales (-58%) en plus de la dizaine de promotions que nous proposons aux détenteurs de la carte»,explique Hervé Vandenabeele, responsable marketing Accord Finances. Cette offre est rapidement devenue l'un des motifs importants de souscription à la carte Accord. Les consommateurs recherchent désormais des bénéfices concrets. Comme l'explique Marc Hénon, le patron de la base de données Consodata,«tous les systèmes de fidélisation se valent. C'est le cas des compagnies aériennes, où l'on ne sait plus qui, d'Air France ou de British Airways, offre le plus d'avantages».Pour lui, la différence doit se faire sur la communication des marques, et donc sur leur image. Paradoxe: les techniques de fidélisation ne relèveraient plus aujourd'hui du seul marketing opérationnel. À une époque dominée par l'emprise croissante du hors- médias, la publicité est redevenue indispensable.