Tanguy Demange, rédacteur en chef de La Correspondance de la Presse et de la Publicité, célèbre avec le publicitaire Pascal Grégoire 100 ans d’affichage en France dans «En haut de l’affiche». Un ouvrage réalisé à l’occasion du 100e anniversaire de Clear Channel.
Vous entendez raconter la société avec des affiches, y a-t-il eu des tendances pour chaque décennie ?
Tanguy Demange. Nous avons choisi de le faire par décennie, mais c’est un peu trompeur, car cela fonctionne plutôt par génération. Il faudrait le faire sur vingt ans, si on doit faire des découpages. Il fallait que ce soit chronologique pour que les gens arrivent à suivre. Dans les années 1970-1980, il y a eu à la fois une professionnalisation et en même temps une très grande liberté, puisque c’était un nouveau métier. Ce sont des gens qui ont dans la trentaine à cette époque, et qui prennent le pouvoir en réinventant ce milieu. C’est comme ça qu’on arrive à cette communication plus sociétale et responsable, et encore plus quand on est dans la rue, car c’est un espace qui appartient à tout le monde. On peut dire que c’est la pub de la vie réelle.
L’affichage a-t-il toujours la cote aujourd'hui ?
T.D. À la fin du livre, on voit des choses extraordinaires comme avec Back Market, ou encore Camaieu.
Pascal Grégoire. Il y a parfois eu des trous d’air, mais ce qu’on peut dire, c’est qu’il est toujours formidable pour un créatif d’avoir un prix pour une campagne d’affichage. Ça reste un média ultra-important pour plusieurs raisons : c’est visible. Il y a une forme de snobisme qui est toujours là. Ça reste d’actualité, car les créatifs veulent continuer d’en faire. Et souvent les agences qui produisent des bonnes affiches sont les plus créatives. Il faut regarder aussi comment les campagnes sont faites aujourd’hui, elles ont un trait commun, c’est le retour des mots.
Pourquoi ce retour aux mots ?
P.G. C’est majoritairement pour des raisons pécuniaires. L’annonceur consacre de plus en plus d’argent à de multiples contenus. C’est vrai que lorsqu’il regarde l’affichage, son budget production est diminué. En affichage, avec quelques mots et un graphisme de talent, on peut faire des grandes campagnes. C’est une forme de tendance et de réalité. Soyons intelligents avec des mots, ça coûte moins cher.
T.D. Beaucoup de créatifs ont découvert lors des festivals internationaux un langage universel de la pub qui est très visuel. C’est pour cela que dans les années 2000, on a eu des campagnes qui étaient très belles, très conceptuelles, mais aussi un peu papier peint.
P.G. Et surtout qu’on ne voyait pas dans la rue. On a éliminé celles qui n’avaient pas eu de visibilité réelle en France.
T.D. Le retour des mots permet de retomber dans des références très locales et chercher à ne pas parler à des jurés de prix. Ce que j’aime, c’est que ce sont des mots qui sont forts. Je pense notamment à la campagne de La Vie qui dit « c’est l’histoire d’un juif, d’un viandard et d’un musulman ».
P.G. La singularité française créative dans les années 2000 a vraiment créé un biais, ce qui fait que les agences ont perdu un peu de cette identité française. On aime les mots en France, c’est une réelle particularité par rapport aux Anglo-Saxons.
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Quelles sont les forces de l’affichage ?
P.G. Avec la publicité extérieure, on a une seconde pour convaincre. C’est un exercice, l’art des raccourcis heureux. Tu convaincs ou tu ne convaincs pas. C’est hyper agréable quand à un moment donné tu obtiens cette créativité. C’est comme Twitter, mais c’est un 4×3, ce sont des punchs visuels, « punch view », inventons ce terme. C’est le média du punch. Cette force de débat de l’affichage est plus forte que les réseaux sociaux, car les réseaux sociaux on oublie vite, alors que la publicité extérieure c’est comme un livre, ça reste.
T.D. Ça accompagne les gens dans leur trajet, c’est le média de la mobilité. C’est aussi le dernier média avant l’acte d’achat, quand on va au supermarché, dans la rue, les afficheurs aiment beaucoup dire que c’est le média du "drive to". Puisqu’il est dans la vie des gens.
Y a-t-il eu une année, ou une décennie qui a marqué la publicité extérieure ?
T.D. L’âge d’or, ce sont les années 1980, car c’est là où on pose toutes les bases.
P.G. C’est aussi l’âge d’or de la pub en général, on a appelé ça « les stars des années 1980 ». La pub était centrale dans la vie des gens, elle représentait une forme d’abondance qui rendait service. Il existait un attrait très fort qui s’est étiolé les années suivantes. Il y a eu une énergie créative dans ces années-là, une arrogance, une vitalité, extrêmement grande.
T.D. C’est aussi pour cela qu’on a un retour des années 1980 que ce soit dans la mode, le design, il y a le retour de Starmania, les 40 ans de Thriller… Tous les grands réalisateurs ont commencé dans la pub ou dans le clip à cette époque. Ce sont des espaces de liberté où on teste des choses, comme avec Myriam et Benetton qui sont des campagnes emblématiques.
Et aujourd’hui, qu’en est-il de l’affichage digital ?
T.D. On n’en a pas mis dans le livre, car l’écriture de la créativité en affichage digital est encore à trouver. Soit c’est encore un film, soit ce sont des affiches mais si ça ne bouge pas, ça n’a pas grand intérêt. Cette rhétorique est encore à trouver. Par exemple la campagne Dubonnet par Cassandre en est un bon exemple, à chaque fois que le personnage boit, il se colorie, on peut dire qu’il se grise. Et ça en affichage digital, ça serait extraordinaire, on verrait une évolution. On peut aussi imaginer d’aller vers la story Instagram sponsorisée par une marque. Les forces du digital sont le temps réel et la contextualisation. Le mobilier urbain (arrêt de bus, kiosque à journaux) rend service, il est palpable dans la vie des gens et ils l’acceptent. Le digital doit faire pareil.
P.G. Le digital permet plus facilement de demander de l’argent aux gens, de participer au téléthon… C’est moins lourd que de les imprimer, c'est un moyen plus souple qui peut accompagner plus facilement ce genre de causes.