SUPPLÉMENT RÉGIONS

Les agences de communication et de publicité en région souffrent en raison de l’inflation, de la frilosité des annonceurs et des grandes mutations en cours. Dans le même temps, les médias locaux, à commencer par la presse, semblent sur une bonne dynamique publicitaire.

Le moral des communicants en région n’est pas au beau fixe. La presse a relayé, tout au long de l’année 2023, la fin d’agences qui avaient pourtant de belles trajectoires à leur actif : Pamplemousse, à Lyon, liquidée ; idem pour MorganView, près d’Angers ; Comadequat et Nouveau Monde, toutes les deux à Lyon, placées en redressement judiciaire, tout comme Becoming, à Lille, ou encore Imagreen, cabinet conseil lillois en responsabilité sociétale des entreprises (RSE), un secteur pourtant porteur… Certaines agences ont cherché à s’en sortir en dénichant des relais de croissance extérieurs. C’est le choix fait par Guillaume Ruckebusch, cofondateur du groupe Syneido, qui compte sept agences, en débordant sur la data, la digitalisation ou bien encore l’accompagnement dans la démarche RSE, qui représentent aujourd’hui pas loin de 15 % du chiffre d’affaires du groupe. Et 40 métiers différents à la clé.

« Quand on nous appelle, toujours en urgence, la réponse met du temps à tomber, déplore Étienne Demouy, dirigeant de JBL Com & Cie et président de la Place de la communication, qui rassemble pas moins de 450 professionnels du secteur, du marketing et du digital dans les Hauts-de-France. Les grands donneurs d’ordre sont frileux. L’inflation a provoqué un coup de froid sur le secteur. On a perdu en visibilité. » Un soubresaut de trop, après les années covid pas si éloignées. Le sentiment est partagé dans toutes les régions. À 400 kilomètres de Mons-en-Barœul, Hélène Billiotte, directrice de Billiotte & Co, dresse le même constat. La prise de décision s’étire. De trois semaines, elle est passée bien souvent à deux mois. « Notre secteur est bousculé par beaucoup de questions, commente Tanguy Hugues, directeur général de l’agence niçoise Nocta. Beaucoup de mutations aussi, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. On a la sensation de ne pas avoir le temps de respirer. »

Un cœur de métier resserré

La demande des annonceurs évolue, en région aussi. « Ils ont beaucoup internalisé les tâches opérationnelles, raconte Bruce Vinci, directeur conseil chez Fantastic, agence lyonnaise. On travaille l’idée, l’affiche, et ils s’occupent de l’adaptation sur les autres supports, peut-être moins stratégiques. Sans doute pour faire des économies. » Une forme de tectonique des plaques, chacun cherchant son bon positionnement dans un marché en pleine évolution. « Je préfère développer les concepts créatifs plutôt que les prestations sur lesquelles les prix deviennent difficiles à tenir, témoigne Didier Janot, à la tête depuis plus de quinze ans d’Horizon Bleu, agence implantée notamment à Reims et Metz. On peut parler de paupérisation. »

Il est très dur d’obtenir un point de notoriété en plus. Selon Étienne Demouy, « les marques ont peur de s’exposer. Le public compte de plus en plus d’experts en communication responsable, des pros qui traquent le greenwashing. Les annonceurs freinent le déploiement de leur communication. On n’est pas nickel, alors on ne prend pas la parole. Mais personne ne l’est. L’injonction des nouveaux récits pèse lourd ! » Pour autant, Hélène Billiotte reste optimiste. « Les marques ont appris des crises précédentes, explique-t-elle. Quand la situation se tend, elles ont compris la nécessité de communiquer, de gagner en notoriété. On n’est plus le premier budget qui saute. » Les raisons d’espérer existent donc…

Le local comme relais de croissance

Du côté des régies publicitaires en local, la situation semble bien meilleure. 366, qui irrigue tout le territoire via la presse quotidienne régionale (PQR), a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de 24 %. « En treize ans de présence, je n’ai jamais vu les chiffres progresser de la sorte, aussi fortement, aussi nettement, s’enthousiasme Marie Hauvette, directrice des activités locales de la régie. L’attractivité est réelle. Les annonceurs ont besoin d’être présents sur les pages locales, avec des prises de parole ajustées en fonction des départements. »

D’année en année, les chiffres de diffusion des quotidiens régionaux marquent un recul (– 2,5 % pour Ouest France, premier titre de PQR, en 2023 par rapport à 2022, – 4,8 % pour La Nouvelle République…). Toutefois, selon l’Observatoire des investissements publicitaires locaux, le marché publicitaire local repasse la barre des 10 milliards d’euros, contre 22,5 milliards pour le national alimenté par les annonceurs nationaux. Et, « signe de vitalité, selon Franck Dimey, directeur de l’activité diffusion de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), la mise sur orbite par 366 de Diverto, magazine d’information consacré au divertissement, à la télévision, aux plateformes, constitue un petit séisme, et marque une émancipation par rapport au national. Avec plutôt une réussite à la clé. »

Le national scrute le régional, et y voit un nouveau marché plein d’avenir. On peut observer un chassé-croisé : les agences vont chercher des budgets en Île-de-France, parfois même à deux, pour aller décrocher une marque nationale, comme le pratique Brandflow par exemple, en « laissant [leurs] ego de communicants derrière [eux] ». Les régies s’en éloignent pour gagner des parts de publicité supplémentaires. Ainsi, en 2023, Media Figaro, régie publicitaire du groupe Figaro, a choisi de s’implanter en province, avec l’ouverture de trois bureaux (Lyon, Marseille et Nantes). « Cela n’arrive pas par hasard, explique Aurore Domont, sa présidente. Il s’agit là d’une vraie stratégie de développement en proximité. Les régions constituent un tissu économique dynamique. Ainsi, rien qu’en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, pas moins de 89 000 entreprises sont recensées. Et 71 % des Français préfèrent les marques locales aux marques internationales. » Résultat : déjà 154 nouveaux annonceurs glanés. Et cette stratégie n’est pas que commerciale. Des bureaux rédactionnels vont être ouverts par Le Figaro à Bordeaux, Lyon, Nantes et Nice – avec six mois d’avance sur le prévisionnel – pour couvrir l’actualité locale en politique, société, faits divers, économie et culture.

Les chaînes de télévision nationales se sont, elles, lancées à l’assaut de la TV segmentée. « Depuis 2021, les spots changent selon la cible visée, explique Dimitri Marcadé, directeur commercial de TF1 Pub. Le pisciniste s’adresse uniquement au Sud-Est, par exemple. Le poids des annonceurs basés en province croît : + 60 % pour un marché en construction. Mais ce n’est pas une découverte complète : sur la partie digitale, avec MYTF1, la géolocalisation était déjà possible. »

Le pari des régions, Havas Media l’a pris il y a longtemps déjà, avec une longueur d’avance. Dès 2002, Frédérique Jambon a implanté une première agence à Lyon. Le réseau en compte maintenant six. Un avantage de plus à être en région ? « Moins d’emplois, et moins de turn-over aussi, commente-t-elle. Certains de nos collaborateurs ont dix ou quinze ans de maison. »

Les agences en région dubitatives en vue des JO

Qu’est-ce que les agences de communication en région peuvent attendre des Jeux olympiques l’année prochaine ? Faut-il compter sur la même euphorie qu’en 1998, quand la France a gagné la Coupe de monde de football ? « Il y a vingt ans, j’étais capable de faire un pronostic à l’euro près des budgets des clients, confie Didier Janot, président d’Horizon bleu. Aujourd’hui, les clients reconduisent les collaborations, mais dans une moindre mesure. » Et Frédéric Cronenberger, patron de Novembre et président de l’Union des conseils en communication du Grand Est, de ponctuer : « J’entends davantage les particuliers parler de ce rendez-vous sportif que les agences, ou bien encore les annonceurs. La compétition – sportive comme publicitaire – est mondiale. Le fait que les agences régionales soient retenues reste exceptionnel. »

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