SUV : derrière ces initiales se cache une mine d’or. En peu de temps, ces trois lettres ont réussi à s’imposer sur le marché automobile et a fortiori dans l’imaginaire collectif. Souvent au détriment des questions environnementales et sociales.

Quel parcours ! En à peine 20 ans, l’industrie automobile a été témoin de l’arrivée d’un nouvel objet roulant qui a su s’imposer comme le nouvel accessoire en vogue. Design séduisant, silhouette enveloppante et sécurisante, praticité des espaces, les SUV ont tout du nouvel objet de désir. Même si personne n'a de réelle idée du véhicule 0 à l’origine du premier SUV, tous s’accordent à dire qu’il descend de la lignée des 4×4. Mais il n’en garde que l’allure – un châssis et des roues surélevés – car la plupart ne sont plus dotés de quatre roues motrices. Derrière le sygle se cache un mot un peu fourre-tout que l’Observatoire Cetelem spécifie dans une étude intitulée « L’insolente trajectoire du SUV » comme des « voitures de type familial ayant des lignes rappelant les tout-terrain sportifs ».

Comparés aux autres gammes de type citadines ou berlines, ces Sport Utility Vehicle (véhicule utilitaire sportif) sont en moyenne plus hauts, plus longs (+26 cm), plus larges (+10 cm) et surtout plus lourds (+250 kg) et plus puissants (+ 26ch) que la moyenne, avance l’association WWF France dans son rapport « Le trop-plein de SUV dans la publicité ». Toujours selon ce rapport, « les SUV vendus sur la dernière décennie émettaient en moyenne 20% de CO2 de plus que leur équivalent standard pour chaque kilomètre parcouru ». De manière générale, les voitures ont pris du poids et des formes, une silhouette que les constructeurs automobiles tendent à imposer peu importe les segments auxquels elles appartiennent. « Au regard de ce qu’il se faisait il y a dix ans, il y a une SUV-ification du marché automobile. Cela a commencé par les véhicules thermiques, désormais cela touche les véhicules électriques, tous segments confondus, citadines comprises. Prenez l’exemple de la Dacia Spring, il s’agit d’une petite citadine SUV car la carrosserie SUV est en train de se généraliser. Entraînant avec elle une augmentation des prix et, in fine, la disparition des petites citadines accessibles comme la Renault Zoé », observe Léo Larivière, responsable plaidoyer Transition Automobile au sein du think tank Transport & Environment.

Des investissements publicitaires massifs

En 2023, le format SUV représentait la moitié des ventes de voitures neuves dans l’Hexagone, soit « deux millions de voitures achetées. Et parmi les acheteurs, plus de la moitié sont des entreprises. L’autre concerne des ménages aisés », précise Léo Larivière. Entre 2010 et 2022, les parts de marché de ces modèles sont passées de 12 à 44% des ventes de voitures neuves. Autre constat avancé par la Fondation Jean-Jaurès dans un rapport intitulé « La "SUV-ification" du marché automobile », si en 2017, une voiture électrique neuve vendue en France sur dix était un SUV (6%), la proportion est aujourd’hui d’environ une voiture sur trois (30%). Alors qui de l’œuf ou de la poule est arrivé le premier ? Pour Léo Larivière, cette invasion de taille relève d’une sorte d’alliance « entre les constructeurs, les sociétés de leasing et les acheteurs, qui sont les entreprises et les ménages aisés. Tout ce petit monde arrive à orienter le marché automobile vers le neuf au détriment du climat. Au cours de la dernière décennie, les constructeurs européens ont adopté une stratégie privilégiant la valeur au volume. Entre 2016 et 2022, les recettes par voiture des six principaux constructeurs ont augmenté de 20 à 34% hors inflation. Pour parvenir à ce résultat, le choix a été de prioriser la production et la vente des SUV car ils se vendent plus cher et engrangent plus de profits contre zéro surcoût à la construction. Adossé à cela un matraquage publicitaire, où les constructeurs ont créé une demande à partir d’un besoin ». Il n’y a qu’à voir leurs investissements publicitaires.

En 2019, 42% des 4,3 milliards d’euros de dépenses publicitaires du marché automobile ont été alloués aux SUV, soit 1,8 milliard d’euros, contre 20% pour les berlines et 29% pour les citadines. Et dans l’imaginaire publicitaire, on vend surtout un mode de vie. L’association WWF France a analysé une cinquantaine de films diffusés en France entre 2022 et 2023 et cinq grandes idées associées à l’image du SUV sont ressorties : la liberté, la distinction, l’aventure, la protection et la famille. Des mots cocooning chuchotés au creux de l’oreille du chaland. Et les constructeurs sont allés encore plus loin. Finies les pubs pour les grosses bagnoles avec des femmes objets ! Aujourd’hui, elles s’émancipent et prennent le volant. Au service d’un message tout de même : grâce au SUV, elles trouveraient une meilleure place dans la société. C’est en tout cas la promesse des constructeurs automobiles. Habile, n’est-ce pas ? Surtout quand ces messages sont diffusés à raison de 3 h 50 par jour. En effet, selon l’association WWF France, en 2019, « les publicités autour des SUV occup[aient] le temps quotidien des consommateurs : l’équivalent de deux matchs de football ou six JT de 20h ». Ne devrait-il pas y avoir des régulateurs à l’image de l’Autorité nationale des jeux pour les publicités automobiles ? « En plus de l’ARPP, il faudrait une régulation des constructeurs avec une autorité composée d’un jury de publicitaires qui arbitre si une pub n’est pas assez écologique et régule leur diffusion », encourage Léo Larivière.

Rétropédalage dans les grandes villes

Les politiques disent stop à cette invasion. Ou du moins, font mine de ! Dimanche 4 février, la Ville de Paris a tranché… en faveur de l’entre-soi « bobo », comme l'estiment certains ? En effet, pour tous les propriétaires de voitures thermiques et hybrides dépassant 1,6 tonne ne résidant pas dans la capitale, le prix du stationnement va tripler, passant de 4 ou 6 euros de l’heure (selon l’arrondissement) à 12 ou 18 euros. Ainsi, une Toyota Prius paiera le prix fort, au même titre qu’une Peugeot 508 ou une Tesla Model S. Les voitures électriques sont quant à elles épargnées si elles ne dépassent pas les 2 tonnes sur la balance. Cette nouvelle réglementation ne devrait pas s’appliquer avant le 1er septembre 2024. D’autres villes telles que Lyon ou Bordeaux commencent déjà à plancher sur la question pour limiter leur accès aux centres-villes. « Ces voitures sont devenues un sujet politique au point d’être stigmatisées dans le débat public. En 2020, nous avions réalisé une étude sur "La fracture automobile" et il y avait clairement une scission entre la France des métropoles qui voient les voitures comme polluantes, sales, à l’inverse des zones urbaines où les voitures sont vues simplement comme un moyen de transport », rappelle Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cetelem.

En parallèle, depuis le 1er janvier dernier, conformément à la loi des finances 2024, le seuil de déclenchement du malus automobile a été abaissé. Pour rappel, le malus écologique est une taxe additionnelle à la taxe sur le certificat d’immatriculation pour tout achat de véhicule neuf en France. Désormais, ce malus s’applique aux véhicules rejetant au moins 118 grammes de CO2/km, contre 123 grammes de CO2/km en 2023. Autre changement, le malus au poids a été abaissé à 1,6 tonne au lieu de 1,8 tonne, allongeant la liste d’une cinquantaine de modèles supplémentaires qui devront s’acquitter de cette taxe. Encore une fois, les SUV sont les premiers visés mais les breaks, les berlines et autres coupés font désormais partie de la liste. Seuls les véhicules électriques restent exonérés de cette majoration. « Un véhicule sur deux est classé SUV mais sur nos routes, cela représente une petite part du parc roulant sur les 45 millions de voitures qui circulent en France. En réalité, le nombre de Français qui achètent des voitures neuves est très faible, le taux d’achat des ménages n’arrête pas de baisser. C’est une culpabilité supplémentaire que l’on impose aux consommateurs », apostrophe Flavien Neuvy.

Du côté des constructeurs automobiles, c’est le silence radio. Aucun parmi la longue liste interrogée n’a souhaité répondre aux questions de Stratégies. Seule une marque patrimoniale française a argumenté son refus : « Je comprends votre intérêt pour le sujet, mais nous préférons ne pas participer à des discussions qui pourraient être perçues comme contribuant au "SUV bashing". Nous sommes concentrés sur notre vision et nos efforts en matière de mobilité durable. » Du côté d’un constructeur allemand, il se chuchote que son agenda promotionnel prévoit de remettre la berline sur le devant de la scène. « La France aura beau actionner des politiques publiques en ville et des réaménagements de fiscalité, ce sont des stratégies qui se mettent en place au niveau international. Il existe tout de même quelques signaux positifs avec notamment l’arrivée sur le marché de nouveaux petits véhicules électriques à l’instar de la Renault R5 ou encore les Citroën C3 et Fiant Panda. La concurrence des marques chinoises a dû jouer aussi », énonce le responsable plaidoyer de Transport & Environment. Si l’argumentaire écologique ne trouve peu ou pas d’oreille attentive, la question de la sécurité routière devrait mettre tout le monde d’accord. « Il est avéré que ces véhicules entraînent plus d’accidents car ils ont moins de visibilité à 360 degrés et occupent tout l’espace public. Les SUV, c’est la disparition des routes et des véhicules pour tous », tranche Léo Larivière. De quoi donner du grain à moudre au gouvernement.

Chiffres clés

1/3 Part des SUV dans la vente des voitures électriques neuves en France.

42% Part des dépenses publicitaires allouées aux SUV en 2019, soit 1,8 milliard d'euros, contre 20% pour les berlines et 29% pour les citadines.