Dans sa nouvelle campagne, qui sera déployée pendant quatre ans, l'Autorité de régulation de la communication a décidé de faire intervenir les enfants et les adolescents sur leur rapport à l'image. Son agence Capa Corporate a choisi pour cela une approche documentaire et sans filtre (ou presque).
À une soirée pyjama, cinq jeunes filles, à peine adolescentes, discutent de la représentation du corps féminin dans les films. « Je me dis dans ma tête, pourquoi je suis pas comme elles ? », s’interroge la première. « T’es trop grosse, et toi t’es trop une planche à pain ! », renchérit une deuxième. Cet échange, issu de la nouvelle campagne publicitaire de l’Arcom (ex-CSA), n’est pas scénarisé. C’est l’une des particularités du film, qui sortira le 20 novembre : aucun script ni dialogue pré-écrit, « juste » la spontanéité des protagonistes. Un potentiel exercice d’équilibrisme…
Réalisée par l’agence de production de contenus Capa Corporate, qui a l’été dernier remporté un appel d’offres auquel cinq autres sociétés avaient également candidaté, cette campagne vise à sensibiliser les parents à la nécessité de protéger leurs enfants et adolescents des images inappropriées (violence, pornographie, jeux d’argent, alcool…) et au respect de la signalétique en vigueur (-10, -12…). Elle se décline en trois pastilles de trente secondes dédiées aux télévisions – trois pour les trois âges de la jeunesse : 8-10 ans, 11-13 ans et 14-16 ans – ainsi qu’en une version uniquement sonore pour les radios.
« Les programmes doivent participer à l’épanouissement des enfants et des adolescents », rappelle Carole Bienaimé Besse, membre du collège de l’Arcom et présidente au sein de l’autorité d’un groupe de travail sur l’éducation, la protection des publics et la cohésion sociale dans les médias. Celle-ci a aussi souhaité avec cette campagne « que l’on reste concentrés sur notre mission de protection des mineurs tout en tenant compte de la réalité de leur consommation », qui intègre aussi YouTube et plus largement Internet. Depuis cette année, les réseaux sociaux sont ainsi invités à s’associer à la démarche, via des tutoriels et des déclinaisons utilisables pour ces supports inclus dans le dispositif.
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Pour remplir l’objectif demandé, l’agence de communication, qui a succédé à l’agence Gyro Paris en charge de la campagne précédente il y a quatre ans, et avait déjà collaboré avec l’Arcom huit ans plus tôt, a choisi une approche documentaire. Le principe du film, en effet, est de donner libre cours à la parole des participants, sur des thèmes prédéfinis grâce aux études de l’Arcom et à son expertise autour des images. « Le réalisateur Aymeric Colletta nous avait montré des références où il faisait parler des jeunes gens. Nous trouvions qu’il y avait une possibilité, dans ce cadre, en les faisant parler ensemble, de capter la façon dont ils percevaient les images », explique Jacques Morel, directeur général de Capa Corporate, qui s’attache, avec l’entreprise, à « développer des messages de communication à partir du réel ».
Dans cette approche, « le plus important, c’était le casting », complète Cécile Boscher, productrice. Il fallait « des enfants qui avaient des choses à dire, représentant une diversité, disponibles et qui avaient des parents qui n’ont pas peur de ce que leurs enfants allaient dire car il ne s’agissait pas de jouer un rôle », détaille-t-elle. Pour les trouver, un casting sauvage est organisé, ainsi que des essais plus classiques. Au moins 80, tous non professionnels, sont ainsi castés. Ensuite, Capa Corporate teste différents groupes, dans le but de créer une « alchimie » entre les participants et de favoriser le dialogue devant les caméras.
Planifié fin septembre, le tournage se déroule dans deux lieux en banlieue parisienne, une maison à Colombes pour les deux premières pastilles et un collège-lycée à Rueil-Malmaison pour la troisième. À raison de deux heures pour chacune des sessions. À chaque pastille, son décor : une cuisine, d'abord, où quatre enfants dessinent ensemble en discutant de ce qui leur a fait peur sur les écrans; une chambre de fille, ensuite, pour la soirée pyjama; et les couloirs d’un établissement scolaire, enfin, où six jeunes discutent du porno et de son impact sur leur sexualité. Charge au réalisateur, Aymeric Colletta, de reproduire les mêmes ambiance et lumière dans chaque pastille, l’ensemble ayant été conçu comme un triptyque.
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« Le réalisateur a créé une atmosphère où les enfants se sentaient en confiance, un peu cocon, où ils parlaient comme s’il n’y avait personne autour », complète Carole Bienaimé Besse. Cela étant cadré, « nous lancions des thèmes, avec la volonté de créer une situation et de laisser les choses s’accomplir devant la caméra, tout en conservant le naturel des enfants et en veillant à une mise en scène élégante et soignée », raconte Jacques Morel. « Ceux-ci avaient déjà entamé des discussions, par exemple, il existait un groupe WhatsApp pour les filles. Grâce au casting, nous avions les clés sur ce qu’ils avaient vu, nous partions d’une anecdote qu’ils nous avaient livrée à ce moment-là », précise Cécile Boscher.
Autres particularités du projet : il a fallu s’adapter au cadre juridique encadrant les tournages avec les plus jeunes (hors jours d’école…) et tenir compte du temps de concentration des plus petits. Le résultat « invite les parents à des discussions auxquelles ils ne sont pas censés assister », constatent les parties prenantes. La campagne, financée par l’Arcom pour un montant non communiqué, sera visible pendant quatre ans.