Vive la crise !

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Après cinq années de croissance à deux chiffres, qui ont culminé avec un taux de 24 % en 2000, Syntec RP, le syndicat des agences de relations publiques, avait enregistré une première décélération de la croissance en 2001, avec tout de même une progression de 8 % des honoraires facturés. Ce ralentissement s'est-il accentué en 2002, comme le laissent déjà entendre plusieurs patrons d'agence ?« Nous ne disposons pas encore de chiffres officiels,indique Sophie Renard, présidente de Syntec RP et dirigeante de l'agence Brodeur SRRP.Mais l'évolution devrait s'établir cette année autour de 3 %. »Un chiffre qui masque de grandes disparités selon les secteurs et les agences.
Les nouvelles technologies ont particulièrement souffert. Une agence a même dû fermer ses portes : Parabole Communication. À l'inverse, le secteur de la santé connaît un fort développement.« La population vieillit, et des sujets complexes comme les organismes génétiquement modifiés ou le clonage thérapeutique deviennent récurrents,explique Philippe Cherel, directeur général d'Edelman Paris, qui vient d'engager un consultant senior dans ce domaine.Or, mieux que la communication, les relations publiques permettent de donner des informations propres à induire des changements de comportement. »Même constat de la part de Stéphane Attal, directeur associé de Zap !, qui vient d'ouvrir un département santé :« Les RP grand public sont le seul moyen d'atteindre les patients et de faire des pathologies un sujet d'intérêt général. »La communication de crise, elle aussi, s'en sort plutôt bien.« C'est dans les domaines sensibles - plans sociaux, rapprochement de sociétés, fermeture de site, etc.- que nous avons eu les dossiers les plus lourds à gérer cette année »,constate Florence de Haas, directrice du développement chez Publicis Consultants. Toutefois, le bilan est plus mitigé dans les secteurs de la communication interne, de la communication produits et de l'industrie et du luxe.« Mais, globalement,estime Sophie Renard,la tendance est à la stabilité. »

Un message plus subtil

À l'origine de cette atonie du marché, un contexte économique et politique défavorable.« Avant de prendre toute initiative, les clients ont d'abord attendu la fin des élections législatives du mois de juin,rappelle Stéphane Billiet, directeur général de Hill&Knowlton France.Ils ont ensuite laissé passer l'été, et les affaires n'ont repris qu'à l'automne. »Du coup, les agences ont profité de cette période d'incertitude pour mener sur leur métier une réflexion« bénéfique, voire salutaire », pour reprendre les termes de Sophie Renard. L'occasion pour elles de faire un premier constat : les périodes de crise favorisent les relations publiques, beaucoup plus abordables que la publicité.« Les crises nous profitent. Mes meilleures années, je les ai réalisées en 1991-1992, pendant la guerre du Golfe »,reconnaît Bernard Vallet, patron de BV Conseil.« Faire des RP est le moyen le plus accessible pour rester visible »,renchérit Capucine de Fouquières, fondatrice de Cap&Cime.« Les sommes dépensées en relations publiques représentent en moyenne 5 % des budgets publicitaires,précise François Ramaget, directeur général adjoint de TBWA\PR, enseigne de TBWA\Corporate lancée en 2002.Ils sont donc moins vulnérables aux coupes claires. »
Les entreprises ont en outre des besoins de communication auxquels la publicité ne peut répondre.« Le message publicitaire, court, souvent réducteur et invariablement positif, passe mal en période de crise,analyse Philippe Pailliart, PDG de Burson-Marsteller Paris.Les relations publiques permettent de faire passer un message plus subtil. »Un constat renforcé par les scandales financiers du type Enron et Worldcom, qui ont entamé la confiance du grand public à l'égard des entreprises. Les gens ne croient plus aux discours tenus par les grands groupes, juge Philippe Cherel, il faut donc élaborer de nouvelles stratégies pour les convaincre. Les annonceurs en ont pris conscience, et tâchent désormais de tenir compte de tous les publics auxquels ils doivent s'adresser.« Les sociétés ont fait beaucoup pour leurs actionnaires ces dernières années,rappelle Philippe Pailliart.Elles comprennent désormais qu'elles doivent aussi prendre soin de leurs collaborateurs, s'adresser aux associations antimondialisation, etc. »Elles s'interrogent également sur le développement durable, sur leur responsabilité sociale, et cherchent un sens à leur activité au-delà du seul profit.« Dans ce contexte, elles attendent plus de conseil de la part des agences, auxquelles elles confient des problématiques plus sensibles »,résume Philippe Cherel.

Un champ de compétences notablement élargi

L'orientation des clients vers ces services à forte valeur ajoutée n'est pas nouvelle. La part des honoraires qui leur est consacrée dans le chiffre d'affaires des agences s'établit à plus de 60 % ces quatre dernières années, selon Syntec RP. Mais la crise ne fait qu'amplifier la tendance. Le consulting est « recession proof », comme disent les Anglo-Saxons.« Lorsque les entreprises traversent une période de crise, elles dépensent davantage dans la communication sensible, la gestion du changement et le coaching, qui sont des activités particulièrement rentables sur le marché des relations publiques »,souligne Nicky Guertin, directrice générale de GCI Moreau&Associés. Cette demande accrue exige aussi des profils de haut niveau.« Aujourd'hui, chez les clients, nos consultants sont en contact avec les directeurs généraux »,relève Bernard Sananès, vice-président d'Euro RSCG C&O chargé du pôle relations publiques. Le cliché de la gentille et aguichante attachée de presse chargée de diffuser les communiqués a vécu. Ces spécialistes des relations publiques justifient de quatre à cinq années d'études supérieures et ont été formés à l'Éfap (École française des attachés de presse), au Celsa (École des hautes études en sciences de l'information et de la communication) ou à Sciences Po. Ils sont même souvent capables de travailler à l'international.
Les nouvelles problématiques et exigences de leurs clients obligent les agences à élargir leur champ de compétences.« Nous venons de rédiger une charte d'éthique pour Sodexho,explique par exemple Stéphane Billiet.Ce qui suppose des connaissances en matière d'affaires publiques que nous ne possédions pas auparavant. »Autre domaine appelé à prendre de l'importance : la préparation et la gestion de crise. Cette activité a représenté entre 15 et 20 % des revenus de Burson-Marsteller Paris en 2002.« Malheureusement, les diplômés d'école de commerce sont encore peu nombreux à venir chez nous,déplore François Ramaget (TBWA\PR).Ils disposent pourtant d'une connaissance des stratégies d'entreprise devenue indispensable dans nos métiers. »Profil également trop rare, selon Stéphane Billiet : les gens capables, au-delà de leur métier, de prendre des responsabilités en matière de gestion et de management.« Nous avons sans doute à faire un effort en matière de formation »,reconnaît le directeur général de Hill&Knowlton.

Une absence de visibilité qui freine l'activité

La tendance à la professionnalisation du secteur n'est donc pas près de s'arrêter. D'autant que la demande des annonceurs se fait toujours plus précise.« Nos clients maîtrisent de mieux en mieux le processus de consultation »,observe Bernard Sananès.« Ils ne veulent plus dépenser, mais investir »,relève de son côté Myriam Sander, directrice de Gopublic. Conséquence logique :« Ils exigent un retour sur investissement de plus en plus important »,affirme Nicky Guertin, de GCI Moreau&Associés.
L'efficacité des relations publiques reste un sujet sensible. Aux côtés des spécialistes de la pige comme Presse+, des sociétés ont développé de nouveaux systèmes d'évaluation pour répondre à cette attente. Ainsi, en novembre dernier, TBWA\PR a lancé le GRP Carré, conçu en collaboration avec l'agence médias OMD. Inspiré de la méthode de calcul du GRP publicitaire, cet indicateur mesure la présence rédactionnelle de l'entreprise dans les médias. L'institut TNS Media Intelligence propose de son côté une gamme d'études pour estimer l'ampleur, l'impact et la teneur de l'exposition médiatique des sociétés. Autre acteur sur ce marché, le cabinet Occurrence évalue lui aussi les actions de communication et formule des recommandations destinées à optimiser leur efficacité.
Bien que ce contexte de crise ait favorisé quelques progrès d'ordre qualitatif, ces derniers ne sauraient pour autant longtemps compenser le manque de croissance.« Comme il y a moins de business, les compétitions sont de plus en plus dures,observe François Ramaget.D'autant que les enjeux sont importants pour tous les compétiteurs. » « Les cycles d'avant-vente sont interminables,estime quant à lui Jérôme Lascombe, PDG d'Hopscotch.Les décisions ne sont parfois pas prises avant six mois. »Sans parler des appels d'offres qui, au final, n'aboutissent pas...
Les premières semaines de 2003 ne permettent pas d'espérer d'amélioration à court terme.« Malgré un bon niveau d'appels d'offres, tout le monde a le pied sur le frein et l'oreille sur la radio »,plaisante Thierry Wellhoff, président de Wellcom. La visibilité restera sans doute nulle tant que le problème irakien ne sera pas réglé.« Je ne suis pas inquiet pour l'avenir,assure Thierry Wellhoff.Le marché repartira. Reste à savoir quand... »Une question qui pourrait s'avérer primordiale pour les structures les moins solides.« En 2002, il n'y a pas eu de dumping sur les tarifs »,se réjouit Stéphane Billiet. Mais la tentation pourrait devenir de plus en plus forte si la situation ne change pas. Dans ce cas, 2003 pourrait faire de nouvelles victimes.