Qui va inventer le magasin idéal?

Description

Peu de nouveaux concepts mais une dynamique forte. De l'avis général, les démarches adoptées par les entreprises de réseaux sur leurs points de vente n'ont rien de révolutionnaire mais elles s'inscrivent toutes dans ce qu'il est convenu d'appeler les « nouveaux modes de consommation ». La versatilité du consommateur, sa propension à faire du shopping un plaisir et à rechercher au plus près de chez lui ce qu'il ne peut pas obtenir de chez lui, au meilleur rapport qualité-prix : autant de modes à maîtriser. Et de discours à tenir. Ce qui fait du point de vente un enjeu hautement stratégique.
Il y a encore peu, les chaînes de magasins étaient surtout préoccupées par des objectifs de rationalisation et de rentabilité. Mais on a vu les points de vente se transformer. Il y a eu la vague high-tech, celle des écrans plasma, des lignes épurées et des messages de marque alambiqués. Puis l'espace hyperfonctionnel et le débarquement des « flagships », ces magasins étendards de marque, immenses et excessifs. Une sorte d'arsenal pour l'image, pour coller au nouveau millénaire, s'émanciper de l'homogénéisation des marques ou pour montrer sa puissance. Jusqu'où ?
Le déclic est venu... du clic. La menace d'une relation commerciale déconnectée du point de vente, annoncée par l'explosion aujourd'hui bien réelle du commerce en ligne, a conduit les réseaux de distribution à se pencher avec la plus grande attention sur certaines questions. Comment faire que le point de vente reste un lien porteur de sens entre une marque et ses clients ? Comment justifier le déplacement sur un point de vente quand le confort et l'interactivité des plates-formes sur Internet répondent de mieux en mieux aux attentes des consommateurs ?
Après avoir soigné leur image, les entreprises s'appliquent donc aujourd'hui à réintégrer les consommateurs dans leur approche du marché. Elles ont repris conscience que le point de vente est d'abord un lieu de rencontre, d'échange et de découverte, avant même d'être un lieu d'achat. Ce renversement de tendance s'articule autour de quatre valeurs clés : transparence, proximité, spectacle et imagination.

Transparence : dire ce que l'on fait et le montrer

L'époque est à la transparence : fiabilité, traçabilité, éthique. Les points de vente n'y échappent pas. Ils sont plus spacieux, plus lumineux et se veulent plus « lisibles ». L'idée est que même de l'extérieur, depuis la rue, le consommateur puisse saisir d'un seul coup d'oeil l'intégralité de l'espace qui s'offre à lui. Qu'il comprenne l'organisation du magasin, qu'il s'imagine dans les rayons et qu'il repère immédiatement la caisse. Des enseignes comme Gap, Sephora ou Grand Optical ont donné le la. Plus de porte à pousser à l'entrée, des vitrines qui prennent la forme de grandes baies vitrées, un espace débarrassé du trop plein de publicité commerciale.« Dans le concept développé par Sephora, il y a la volonté délibérée de supprimer toute la PLV et le matériel promotionnel de l'espace de vente »,raconte Olivier Zavaro, directeur associé de l'agence Minale Design Strategy, qui a travaillé sur le concept d'origine.
Ce souci de lisibilité inspire aussi les discounteurs. Ce mois-ci, Conforama inaugure de nouveaux magasins. L'enseigne du groupe PPR, à l'image un peu vieillissante, a demandé à l'agence A&Co (ex-Altaï) de repenser la façade, l'entrée et le parking de ses magasins pour les rendre plus « contemporains ». À l'extérieur, ce relookage s'est traduit par une expression plus claire de l'offre, des meubles à la décoration en passant par l'image/son. À l'intérieur, le cheminement du consommateur a été repensé. S'il contraint à traverser tous les rayons, comme dans un magasin Ikea, l'accent a été mis sur l'ILV (information sur le lieu de vente). Par des affichettes et des fiches techniques en libre-service, Conforama veut accompagner le client dans ses choix. Un effort a été fait pour mieux hiérarchiser les informations commerciales.« De nombreux magasins souffrent du mélange des genres,explique Laurent Vincenti, directeur général en charge de la création de l'agence A&Co.Les promotions, la PLV et l'ILV ne peuvent être traitées de la même manière. Quand une enseigne s'engage sur des services, elle doit le faire savoir, mais au bon endroit. »Dans l'optique, la bagarre entre chaînes a été sévère. Bousculé par des concurrents qui ont misé sur l'esthétique, le réseau Optic 2000 s'est repositionné. Pour rééquilibrer la perception qu'ont les consommateurs de l'enseigne, les magasins se sont scindés en deux espaces distincts. L'un voué à l'esthétique, avec des vitrines dans lesquelles les montures sont présentées comme des bijoux, l'autre consacré au travail optique. Avec des codes couleurs différents - clairs et lumineux pour l'espace dédié aux montures, plus sombres et discrets pour la partie « médicalisée » -, la marque a corrigé son image, s'orientant vers plus d'esthétique et moins de technique. Dire ce que l'on fait et le montrer, c'est ce que tentent aussi les enseignes dans l'alimentation en recréant des espaces de découpes dans un univers d'authentique marché.

Proximité : moins de choix, plus de bien-être

Se rapprocher des consommateurs, c'est un leitmotiv dans le discours des marques et des enseignes. Le renouveau des centres-villes et la dénonciation de la pollution visuelle qui a accompagné le développement commercial des périphéries tendent à bousculer les certitudes des acteurs de la grande distribution. Comme le souligne Hubert de Malherbe, président de l'agence Lundi, mardi, mercredi...,« quand on se porte bien, on a tendance à ne pas se remettre en cause. La distribution a longtemps géré en bon père de famille. Elle n'a d'ailleurs pas de problème à court terme. Mais le déclin de l'attractivité de l'hyper est bien réel, que ce soit en termes de chiffre d'affaires ou de fréquentation ». « La montée en gamme des hypers a nui à leur perception-prix »,renchérit Frédéric Goubet, directeur général de l'agence Piment (DDB). Il est aujourd'hui moins question de choix que de bien-être. L'hypermarché à la française, qui faisait les joies du samedi matin il y a peu, a perdu son aura, au profit d'un modèle de magasin avec moins de références mais plus de « convenience ». C'est sous ce vocable que se cachent les valeurs du point de vente de demain : praticité, efficacité et services.« Les consommateurs veulent aller vite, que ce soit simple. C'est ce qu'apportent le hard discount, mais aussi les formats moyens. »Ce postulat a fait le succès des modèles anglo-saxons tels que Tesco ou Sainsbury qui offrent, à des prix raisonnables et à n'importe quelle heure de la journée, des produits ultrafrais, à cuisiner ou prêts à la consommation. En France, Monoprix s'est lancé le premier dans ce créneau avec son concept de « citymarché », sur lequel l'enseigne mise depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. L'enseigne teste même un nouveau concept. Elle vient d'ouvrir son premier « Daily Monop », à Montparnasse, un « convenient-store » accessible six jours sur sept, de neuf heures à minuit, et qui propose une centaine de références parmi les marques de distributeur habituelles de Monoprix et des marques nationales.
Du côté des hypermarchés, le message commence à faire son chemin.« Depuis les années quatre-vingt-dix, toutes les enseignes se sont lancées dans de vastes programmes de réaménagement de leurs espaces,rappelle Cédric Miliotis, directeur associé de Market Value.L'offre est organisée par univers de consommation, les linéaires ont été humanisés. »Et pour cause : en améliorant le look d'un point de vente, on peut gagner des parts de marché. Il y a cinq ans, Leclerc a apporté quelques améliorations à ses espaces Instant-bien-être consacrés à l'hygiène-beauté. Avec des sols traités, une meilleure signalétique et un merchandising par îlots, les ventes ont bondi de 30 à 40 %.

Spectacle : programmation et mise en scène

Après la vague des « flagships », ce ne sont plus les points de vente qui se donnent en spectacle mais les produits qui sont mis en scène. On parle de théâtralisation de l'offre. C'est la tendance du marché. Pour Olivier Saguez, patron de l'agence Saguez&Partners, c'est aujourd'hui une évidence :« Quand on conçoit un magasin, il faut penser à son renouvellement perpétuel et remettre sans cesse en scène les produits. Un peu comme dans un musée, il y a une programmation, une histoire à raconter. »Les enseignes intègrent des éléments variables, évolutifs : des photos, des systèmes d'accrochage, un mobilier qui peut changer de couleur en fonction de la thématique.« Le renouvellement fréquent des vitrines donne l'image d'une chaîne dynamique,explique Olivier Zavaro.Cela ne veut pas dire mettre des bandes fluo en diagonale dans les vitrines, mais être différent des autres. » « Là où ça bouge le plus, c'est dans la distribution sélective,confirme Olivier Picard-Brand, directeur du département merchandising et décoration chez CPM, une agence de marketing opérationnel.Notre activité a évolué : le merchandising d'organisation [rempotage ou mise de produits dans les rayons] a tendance à disparaître pour laisser place à un merchandising de séduction qui fait du produit une star. »En un an, ce département a connu une croissance de 100 %.

Imagination : redonner du sens à la consommation

Mais si l'on en croit Olivier Saguez,« c'est la remise en perspective de la consommation qui fera évoluer les approches du point de vente ».Dans la mise en avant de leur offre, les magasins seraient bien inspirés de passer d'une logique de produit à une logique d'usage. C'est ce qui fait le succès des derniers concepts « styles de vie » comme Nature&Découvertes ou Résonances. Chez celui-ci, l'offre produits (« des articles d'usage et de bien-être pour la maison ») est censée« redonner le goût de s'intéresser à sa maison au quotidien avec des produits utiles, beaux et justes ».Elle s'accompagne d'une offre d'ateliers (comment monter une lampe soi-même, faire ses pâtes, restaurer ou entretenir ses meubles, etc.) qui nourrit le concept, l'humanise et redonne du sens à la consommation.« Nous sommes sortis des phases d'équipement des années soixante-dix à quatre-vingt-dix pour entrer dans l'ère du doute sur les bienfaits de la consommation,observe Armand Caïazzo, vice-président du directoire de Publicis Dialog.L'accumulation n'est plus d'actualité. La consommation ne peut être un palliatif à un vrai projet de bien-être. »Aux marques et aux enseignes d'imaginer comment elles peuvent porter ce projet auprès des consommateurs.