7 lieux qui nous bottent

Description

Les chantiers de la capitale font le bonheur des sociétés de casting de lieux et des agences-conseils en communication événementielle. Derrière les palissades des bâtiments en travaux, il y a toujours un promoteur ou un propriétaire à convaincre de louer ses mètres carrés à des entreprises friandes d'espaces inédits. Paris, où se concentre le plus grand nombre de manifestations professionnelles, ouvre des portes de plus en plus insolites. Prada défile au siège du parti communiste, Chanel invite à la périphérie, dans les entrepôts de stockage des décors de l'Opéra de Paris, et Dior lance un parfum dans les salons très fermés de l'ambassade de Roumanie.
Les gymnases, les écoles, les maisons particulières et même les parkings : tout se loue ! À la pointe de la tendance, les marques de luxe et de cosmétiques réclament qu'on leur invente des lieux. À défaut de dénicher un espace éphémère, forcément exclusif, on recherche la nouveauté. à Paris, le marché de l'événement a par exemple les yeux braqués sur les travaux de rénovation du Grand Palais ou encore sur la construction du musée des Arts premiers, quai Branly : les clients désireux d'y recevoir les premiers se bousculent.
Encore faut-il y mettre le prix.« Le centre Georges Pompidou et la Pyramide du Louvre figurent au rang des lieux les plus chers de la capitale »,indique Lionel Laval, codirecteur de l'agence Shortcut Events. Mais la quête de l'originalité fait partout monter les enchères. Et, bien souvent, il faut ajouter au prix de la location le coût de la mise en conformité aux normes de sécurité.
Mais« les tarifs des propriétaires grimpent tandis que les budgets des clients se resserrent »,constate Julien Kleynjans chez Répertoire. D'ailleurs, les entreprises, soucieuses d'optimiser leurs opérations, boudent la province et l'étranger. Et ont appris à se méfier des idées reçues : emmener ses cadres dans un pays de rêve, c'est bien. Mais les enfermer toute la journée dans une salle de réunion, c'est courir droit à la frustration !« Pour créer la surprise, rien ne vaut un lieu où les invités ne pourraient pas se rendre seuls »,préconise Gérard Denis. Son agence, Denis&Co, est ainsi parvenue à privatiser le palais des Doges à Venise pour un dîner de 800 personnes donné par les Centres Leclerc.
Pour choisir un lieu, la méthode la plus rationnelle consiste à réfléchir au sens que l'on veut donner à son événement et à tenir compte des contraintes logistiques.« Lorsque le nombre d'invités est élevé, il faut privilégier l'accessibilité du site »,recommande Thierry Coutant chez Market Place. Un espace même très connu comme le parc des Expositions de la porte de Versailles à Paris peut être le théâtre d'une opération spectaculaire. Le Public Système y a ainsi bluffé les 450 concessionnaires Citroën, embarqués dans une série de révolutions sur un plateau tournant géant de 25 mètres de diamètre.« Étonner ne suffit plus, il faut captiver »,explique Jean-Marc Danna, le directeur général de Carré bleu marine, qui préfère privilégier le côté« décadré »d'un lieu plutôt que son originalité. Son agence a réuni avec succès la force de vente d'Henkel dans l'allée centrale d'un hypermarché Carrefour, à Nîmes !« Ce qui se passe à l'intérieur d'un lieu est plus important que sa façade. »Christine Halary

Entrée des artistes : L'académie Fratellini

En grimpant dans les cars affrétés pour l'événement en ce mois de janvier, les quelque 300 invités n'étaient pas spécialement grisés : destination Saint-Denis. La surprise était pourtant au rendez-vous. À proximité du Stade de France, au coeur d'un quartier d'affaires en construction, l'académie Fratellini dresse son immense chapiteau de bois en forme d'étoile. Inauguré il y a dix-huit mois, ce centre de création et de formation internationale aux arts du cirque a transformé les 5 000 m 2 de macadam d'un ancien parking avec un parti pris écologique. Les structures, signées des architectes Patrick Bouchain et Loïc Julienne, sont entièrement démontables et classées « haute qualité environnementale ». Le site comprend trois corps de bâtiment : un restaurant baptisé l'Amazir (« homme libre » en berbère), une grande halle de 700 m 2 qui abrite les studios d'entraînement et un cirque étonnant d'une capacité de 1600 personnes, désigné du nom d'une étoile : l'Altaïr. Market Place, qui cherchait un grand espace pour l'un de ses clients, a eu le coup de foudre. Elle est la première agence à organiser sous le chapiteau une soirée d'envergure.« L'architecture en étoile se prêtait bien au concept de l'opération construite autour des quatre points cardinaux »,explique Joseph Caunan, son directeur général associé. Surplombant les gradins, les quatre alcôves drapées de velours rouge dévoilaient tour à tour aux invités placés dans l'arène les animations de la soirée. Sous 30 mètres de hauteur, le chapiteau, qui se loue 12 000 euros de 8 heures à minuit, offre les moyens techniques dignes d'un grand spectacle. On peut également réserver la grande halle (6 900 euros) et l'Amazir (4 900 euros de 16 heures à minuit) ou bien combiner les différents espaces.« Jusqu'à présent, nous avons fonctionné à la rumeur »,explique Nathalie Nogret, qui commercialise les espaces Fratellini. Mais nul doute que ce lieu où se croisent artistes et amateurs de cirque - une école des loisirs est ouverte aux enfants le mercredi et aux adultes le samedi - fera mouche. Bernard Pivot l'a d'ailleurs déjà réservé pour ses prochains Dicos d'or.

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Académie Fratellini. Quartier Landy-France, rue des Cheminots, 93210 Saint-Denis La Plaine.
Et aussi : La Ménagerie de verre. Un espace consacré à la création contemporaine, en particulier à la danse, dans une ancienne imprimerie de 2 000 m2. 12-14, rue Léchevin, 75011 Paris.

Grand Siècle : Champ de Bataille

La France regorge de châteaux, véritables écrins pour des manifestations de prestige. Mais réunir ses cadres ou ses clients à Champ de Bataille, en Normandie, c'est s'offrir en prime toute l'étendue du talent du célèbre décorateur Jacques Garcia, qui a fait de cette imposante demeure du xviie siècle sa résidence principale. Sollicité dans le monde entier, Jacques Garcia est très coté depuis qu'il a signé l'hôtel Costes à Paris en 1996. Son style, inspiré d'univers très différents, réenchante des lieux aussi mythiques que le Fouquet's, qui fut le restaurant favori de James Joyce, ou l'hôtel des Beaux-Arts, villégiature parisienne d'Oscar Wilde. Fasciné dans son enfance par le château de Champ de Bataille, Garcia réalise son rêve en 1992 et ressuscite patiemment pendant cinq ans les splendeurs de la demeure initiale du comte de Créqui. Il s'attaque dans la foulée aux 17 hectares de jardins redessinés dans l'esprit des créations d'André Le Nôtre. Le maître des lieux ouvre à la demande des entreprises ses grands appartements d'apparat (tarif de base : 3 800 euros). La salle à manger d'honneur, qui peut accueillir 60 couverts, est particulièrement prisée pour des repas de prestige. On peut faire appel au cuisinier maison ou bien à un traiteur extérieur. D'ici à la fin de l'année, Jacques Garcia compte réhabiliter les communs de sa propriété pour offrir des salles de séminaires et d'expositions entièrement équipées. Seul bémol : Champ de Bataille ne propose pas d'hébergement. Mais la région fourmille d'hôtels et la capitale n'est distante que d'une centaine de kilomètres.
Le parti pris de la décoration se révèle un atout pour attirer les entreprises. À Nice, le Hi Hôtel a fait appel à Matali Crasset, une ancienne collaboratrice de Philippe Starck, pour bousculer les codes de l'hôtellerie classique. Dans ce quatre étoiles résolument contemporain, on expérimente une nouvelle façon d'appréhender l'espace. L'agence le Public Système a quasiment privatisé ce nouveau temple de la branchitude pendant un mois pour l'un de ses clients.

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Château de Champ de Bataille. Sainte-Opportune du Bosc, 27110 Le Neubourg.
Et aussi : Le Hi Hôtel, 3, avenue des Fleurs, 06000 Nice. Le Murano Urban Resort, inauguré en août 2004. Son design ultramoderne est signé des décorateurs lyonnais Christiane Derory et Raymond Morel. 13, boulevard du Temple, 75003 Paris.

Univers intimiste : L'Atelier Barok

Fauteuils de cuir, piano demi-queue, billard Chevillotte, antiquités chinoises et souvenirs de voyage, l'Atelier Barok vous plonge dans l'atmosphère intime de William Ernest Barok, un élégant aventurier du début du xxe siècle dont Philippe Focard, le concepteur du lieu, s'est amusé à imaginer la légende et à restaurer le pied-à-terre parisien. Une reconversion bluffante pour cet ancien hangar de stockage de matériel médical de 600 m2 situé avenue de Versailles dans le XVIe arrondissement de Paris. Ici, tout est pensé pour que la puissance invitante se sente comme chez elle : depuis la discrète façade, où la sonnette est personnalisée au nom de l'entreprise ou de son président, jusqu'aux caves à cigares et à vins dont l'hôte peut régaler en toute discrétion ses collaborateurs ou ses clients.« C'est un lieu sécurisé, exclusif et habité que le dirigeant s'approprie »,explique Philippe Focard. Équipé d'une technologie dernier cri mais qui sait se faire oublier, l'Atelier Barok offre différents espaces, bar, bibliothèque, loft, salle à manger ou encore bureau convertible en chambre et salle de billard en mezzanine, qui sont autant propices à des repas d'affaires en petit comité qu'à des cocktails de 250 personnes. Nissan vient d'y tenir son board mondial. Guerlain y a lancé son dernier parfum masculin. M6 Événement y a organisé une opération pour SFR et des entreprises comme Unilog, Microsoft ou Chanel comptent parmi les inconditionnels du lieu depuis son ouverture fin 2003. La location - hors frais techniques et restauration - oscille entre 2 000 euros pour 15 personnes de 9 heures à 18 heures et 8 000 euros pour 100 personnes de 20 heures à minuit. Le succès de l'Atelier Barok - 122 opérations en 2004 pour 65 clients - illustre l'engouement des entreprises pour les lieux intimistes, voire privés. Béatrice Dumeaux, responsable des événements chez 20 000 Lieux confirme :« La demande d'appartements, de lofts ou de maisons de particuliers explose. »Certaines marques n'hésitent pas à privatiser une adresse sur plusieurs jours et même plusieurs semaines à la faveur du lancement d'un produit. Dior a ainsi reçu par vagues les journalistes du monde entier pour leur présenter une nouvelle crème dans une maison d'architecte agrémentée d'une piscine en plein coeur du VIIe arrondissement.

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Atelier Barok. 132, avenue de Versailles. 75016 Paris.
Et aussi : Un loft de particulier de 265 m2, rue Greneta à Paris (www.20000lieux.com). Une maison privée à Saint-Cloud de 450 m2 (www.20000lieux.com).

Brut de décoffrage : La Back Fabrik

C'est en marchant dans les rues de Berlin Est que Lionel Laval, codirecteur de Shortcut Events, et ses homologues allemands ont déniché cette fabrique de pain désaffectée. Pour lancer Écho, le parfum masculin de Davidoff, l'agence recherchait un lieu urbain et brut. La Back Fabrik, avec sa façade de briques, ses machines disséminées çà et là et ses quatre niveaux aux allures de loft, répondait aux critères. Pas question de réunir la presse et les distributeurs du monde entier dans une salle quelconque d'un palais des Congrès. La ville de Berlin, choisie pour son image branchée et parce que la marque Davidoff est fortement implantée sur le marché allemand, fourmille dans ses arrière-cours d'ateliers et d'usines désertées. Encore faut-il trouver et convaincre les propriétaires des lieux ! Shortcut Events n'a pas eu de difficultés pour remonter la filière de la Back Fabrik. L'affaire s'est conclue pour moins de 7 000 euros la soirée. Au rez-de-chaussée, l'agence a forcé le trait sur l'atmosphère épurée en y ajoutant des éclairages au néon. À l'étage où se déroulait le dîner, la salle avait été entièrement habillée de miroirs pour évoquer le flacon d'Écho, à l'aspect d'une goutte de mercure.
Les entrepôts, les usines à l'abandon et même les parkings séduisent bon nombre de marques pour leur look et pour leurs tarifs souvent abordables. Mais le budget peut vite exploser dans ces surfaces nues où il faut bien souvent acheminer des souffleries pour la température et des groupes électrogènes pour l'électricité. La société 20 000 Lieux, qui compte dans son catalogue le parking Rédélé, aux abords de la porte de Clichy à Paris, met en garde ses clients : il faut vider les voitures, risquer les odeurs d'essence et investir dans l'éclairage et le chauffage. Sans compter que l'accès à de tels lieux, souvent localisés à la périphérie des grandes villes, rebute plus d'un invité. Autant de paramètres à ne pas négliger avant de jeter son dévolu sur un espace de ce genre.

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Back Fabrik, Saarbrücker Strasse 36-38, Berlin.
Et aussi : La distillerie Clacquesin, 18, av. du maréchal Leclerc, 92240 Malakoff. Le parking Rédélé, près de la porte de Clichy, 75018 Paris (www.20000lieux.com). Une ancienne imprimerie de 1 600 m2 près de la place de la Nation, 75011 Paris (www.20000lieux.com).

Pour l'amour de l'art : La Galerie W

Le galeriste Éric Landau est devenu en sept ans l'une des figures du quartier des Abbesses à Montmartre. Ce passionné d'art contemporain, trop à l'étroit dans son local de la rue Burq, vient d'investir les 800 m2 de l'ancien atelier d'encadrement La Baguette de Bois, qu'aimaient fréquenter les artistes parisiens. Dans cet espace au sol brut et aux murs immaculés où s'exposent au gré des étages les affiches de Sid Ali, les toiles colorées de Troy, les tableaux épurés de Jean-Marc Dallanegra ou encore les photos de la tour Eiffel de l'Américaine Winnie Denker, quelques entreprises se sont donné le mot pour se poser, le temps d'un « brain storming ». La Fnac y a réuni ses directeurs d'implantation de magasin et Procter&Gamble son état-major, à l'occasion d'un lancement de produit. Éric Landau ne fait pas de publicité. Il entend préserver l'âme du lieu, ouvert au public sept jours sur sept et abritant aussi un atelier d'artiste. La location de la Galerie W fonctionne avec le bouche à oreille et les prestations sont définies sur mesure. Les tarifs à la carte s'échelonnent entre 1 500 euros pour une réunion d'une journée et 5 000 euros pour un cocktail en soirée. Les premiers adeptes se comptent parmi les clients du galeriste, des chefs d'entreprises de toutes nationalités, amateurs d'art contemporain. Dans ce lieu, pas de mobilier standard. Les repas peuvent tout aussi bien être servis sur des tables décapées en bois brut que dans un décor desMille et Une Nuits.La logistique est assurée par Pierre-Paul Monnet, un ancien membre éminent de l'association hôtelière les Clefs d'or qui fut le concierge du Bristol et du Bel Ami. Rien n'est impossible pour cet homme au carnet d'adresses bien rempli, qui dirige sa propre société de services, le Bureau du concierge.« La magie de l'art, c'est d'arrêter le temps qui passe »,s'émerveille Éric Landau. Les entreprises apprécient l'atmosphère décalée de la grande salle baignée de silence, propice aux échanges et aux réunions de travail. Mais elles peuvent aussi privatiser plusieurs niveaux et faire circuler librement jusqu'à 300 invités.

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Galerie W. 44, rue Lepic, 75018 Paris.
Et aussi : La Blanchisserie. 24, rue d'Aguesseau, 92100 Boulogne-Billancourt. Une ancienne blanchisserie industrielle découpée en trois espaces : restaurant, galerie d'art et lounge.

Lieu éphémère : Le couvent des Récollets

Squatté par des artistes, puis menacé de démolition, le couvent des Récollets, qui jouxte la gare de l'Est à Paris, abrite depuis quelques mois le conseil régional de l'Ordre des architectes d'Île-de-France. En septembre dernier, juste avant cet emménagement, Mitsubishi investissait les lieux le temps d'une soirée, pour célébrer le lancement de son téléphone M342. Les travaux de réhabilitation de cet édifice séculaire, fondé par Marie de Médicis au début du xviie siècle au profit d'un ordre mendiant, avaient attisé la curiosité de Cyril Montana et de Philippe Combres, aux commandes de l'agence événementielle ICI. Les deux malins se sont débrouillés pour se réserver l'opportunité unique d'y organiser l'opération Mitsubishi. Une soirée inoubliable assortie d'une fête dans la chapelle pour les quelque 1 200 invités, journalistes et leaders d'opinion réputés difficiles à surprendre.
Les lieux éphémères ont la cote. Les couturiers et les créateurs se les arrachent : Dries Van Noten a jeté son dévolu sur un centre de tri postal du quartier Montparnasse avant démolition. Comme des Garçons a orchestré un défilé dans les sous-sols du futur siège duFigaro,boulevard Haussmann, tandis qu'Adidas et Yohji Yamamoto se sont réservé la carcasse d'une boutique Habitat, rue du Faubourg-Saint-Antoine pour promouvoir leur ligne de vêtements Y3. Ces perles rares ne sont pas faciles à dénicher.« On cherche des endroits qui ne sont en principe pas à louer ! Cela suppose de multiplier les contacts avec les promoteurs, avec les investisseurs immobiliers et les particuliers »,explique Cyril Montana de l'agence ICI. Un travail de fourmi auquel les professionnels du repérage et du casting de lieux comme 20 000 Lieux, Répertoire ou 007 Production s'attèlent en permanence : les entreprises réclament de l'inédit pour attirer des invités. Avec l'aide de 20 000 Lieux, Danone a ainsi pu donner un prestigieux dîner dans les bureaux vides d'un hôtel particulier du Marais, avant son changement de propriétaire.

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Couvent des Récollets. 148, rue du Faubourg-Saint-Martin, 75010 Paris.