Études

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Le monde des études ne se porte pas trop mal. La croissance est toujours au rendez-vous, autour de 5 à 6 % depuis trois ans, même si on reste loin des taux de croissance à deux chiffres des années 1999 (+ 12,9 %) et 2000 (+ 10 %).« Le dernier semestre 2004 a cependant été marqué par une baisse du chiffre d'affaires des grandes marques de consommation dans un contexte où le prix est un nouvel enjeu : des accords Sarkozy à l'engouement pour les marques de distributeurs et le hard discount,tempère Stéphane Truchit, directeur général d'Ipsos France.Les instituts n'échappent pas à cette pression sur les prix. Mais, dans le même temps, les annonceurs, obsédés par le retour sur investissement, attendent des études davantage de valeur ajoutée et de conseil. C'est tout le paradoxe. »Revue de détail des principaux enjeux du secteur des études.

Faire moins cher et plus vite

Passer sous les fourches Caudines des directions des achats, c'est le lot commun des responsables de sociétés d'études. Tous le disent : leurs clients se dotent de structures d'achats qui imposent leur diktat comptable. Fini le bon temps où on achetait une « belle étude »... Aujourd'hui, tout doit être justifié.« Nous devons remplir des grilles de prix stupéfiantes, où tout est décortiqué,raconte Gérard Lopez, président de BVA.Ils achètent des questionnaires à l'unité. Un mouvement qui se généralise depuis deux ans. »
Yannick Carriou, directeur général adjoint de TNS Sofres, le confirme :« Nos métiers ayant une composante technique forte - la fabrication de la donnée -, les acheteurs ont une fâcheuse tendance, comme pour l'achat de boulons, à calculer le coût total par le nombre de questionnaires. Toute la pédagogie consiste à leur faire comprendre que notre métier c'est aussi de l'analyse qui se mesure en taux journalier. »
Pour Luc Milbergue, fondateur de Stratégir, société installée à Bordeaux,« c'est un combat ». D'autant que son institut, par souci de qualité, continue de payer les enquêteurs à la journée et non aux questionnaires. Du coup les premières économies se portent sur le terrain.« On rogne sur la durée du questionnaire en conservant l'essentiel et sur les tailles des échantillons en gardant les cibles clés,indique Gérard Lopez, de BVA.Nous travaillons aussi sur des modèles de prévisions qui se nourrissent de données déjà existantes à l'Insee ou chez le client. »
L'exigence de réduction des coûts, le souci de rapidité, voire d'immédiateté, passent aussi par une automatisation des processus et par le développement des études en ligne, lesquelles s'avèrent 10 à 50 % moins coûteuses que les études en face-à-face (lire en page 44). La délocalisation des centres d'appels et du traitement de la donnée au Maghreb, en Inde et dans les pays de l'est de l'Europe est aussi une voie empruntée par les sociétés d'études. Pour les clients qui recherchent une prestation simple, rapide et pas chère, TNS Sofres a lancé il y a un an TNS Direct, une filiale « aux prix cassés » capable de proposer du quantitatif par téléphone 30 % moins cher que les autres instituts (lire l'encadré en page 42).

Aider à la prise de décision

Pour les autres clients, l'enjeu est différent : il s'agit de donner plus pour moins cher.« Face à la pression sur les prix, la seule équation est d'accroître la proposition de valeur chez nos clients tout en améliorant notre productivité »,résume Yannick Carriou, de TNS Sofres. En 2001, Ipsos a créé Ipsos Observer, une filiale spécialisée dans les tendances de marché, qui propose des études mutualisées :« Une manière de partager les coûts entre clients sans rien perdre sur l'analyse »,argumente son directeur général Thomas Tougard.
La valeur passe aussi par une aide à la prise de décision, une réflexion sur les marques.« Les annonceurs veulent savoir s'ils doivent ou non lancer tel produit et faire de la publicité, de la promotion ou encore baisser les prix,raconte Liz Musch, PDG de Millward Brown.Ce sont des questions qu'on ne nous posait pas avant. D'où la nécessité de développer des outils prédictifs. »Ipsos France a ainsi intégré l'an passé Novaction, un spécialiste de l'évaluation du risque.

« Nous devons désormais jouer un rôle d'accompagnement, voire de coaching, auprès des annonceurs dans l'utilisation de l'information,insiste Allessandra Violet-Vianello, codirectrice de l'institut Hussenot Conseil.Nous ne sommes plus très loin du consulting et du conseil, d'autant que dans les agences, le planning stratégique est en souffrance. »Être un partenaire plus qu'un prestataire, devenir une force de proposition, cela suppose pour certains instituts une sorte de révolution culturelle, peu habitués qu'ils sont à gérer leur propre relation client.
Les instituts doivent également répondre aux nouvelles problématiques des entreprises qui dépassent le marketing produit. Les directions des ressources humaines ou financières ont elles aussi des besoins en matière d'études. Hussenot Conseil, qui a testé la nouvelle identité d'Air France auprès des salariés de la compagnie aérienne, est revenu vers eux après l'adoption du logo, pour mesurer leur adhésion mais également accompagner le changement...
Dans le secteur de la veille médias, les attentes des annonceurs sont aussi plus pointues et nouvelles. TNS Media Intelligence (TMI) vient de créer une veille internationale des publicités et une veille rédactionnelle française sur l'univers des cosmétiques. L'institut a aussi renforcé son service revue de presse et pige face à une demande d'externalisation des clients. Et va intégrer la télévision numérique terrestre et la téléphonie mobile dans sa pige publicitaire plurimédia.« Les annonceurs ne se contentent plus d'un tableau de bord général,note Jean-Michel Portail, directeur général de TMI.Ils veulent des détails pour chaque ligne de produits sur le plan national et international. »

Internationaliser l'offre

La dimension internationale devient incontournable.« C'est sans doute sur cette capacité à déployer des systèmes homogènes d'enquête à l'international que la ligne de démarcation s'opère entre les gros instituts et les petits »,soutient Yannick Carriou, de TNS Sofres. Pour répondre à ce besoin d'homogénéité, les poids lourds du marché ont choisi l'intégration de filiales plutôt que le réseau de partenaires, garantissant ainsi une qualité de prestation similaire dans tous les pays et une maîtrise du budget.« Depuis ces dernières années, la demande des annonceurs internationaux va dans le sens du réseau intégré »,affirme Stéphane Truchit d'Ipsos.
Évidemment, les instituts les moins importants en taille ne peuvent partager cette vision. Le réseau de correspondants reste une solution défendable. L'art étant de se mettre d'accord sur un terrain et ensuite de centraliser l'analyse.

Internet, média privilégié

Le véritable bouleversement face à ces deux approches va venir d'Internet, qui rend possible le développement d'une activité internationale sans implantation dans les différents pays. Les instituts américains font aujourd'hui des enquêtes sur le marché français via Internet sans relais en France. Pour Daniel Bô, fondateur de l'institut QualiQuanti,« une des difficultés des études internationales traditionnelles réside dans l'harmonisation des terrains, car les habitudes en matière d'enquêtes changent selon les pays. D'où le risque de résultats difficilement comparables. Avec Internet, le mode de recueil est homogène puisqu'il est possible à partir d'un endroit unique de gérer le lancement et l'analyse d'une enquête en s'appuyant sur une équipe multilingue et multiculturelle. »
Conscients de cette nouvelle concurrence, les gros instituts investissent massivement dans Internet, insistant sur le recrutement et la sécurité de leurs panels. Novatris dispose d'un access panel (panel élargi) européen en ligne dans six pays de 2 millions d'individus. TNS Sofres vient d'inaugurer le sien. Baptisé Sixth Dimension, il vise à terme 1 million de panélistes.« D'ici à 2007, les études en ligne devraient représenter 35 % du chiffre d'affaires Europe de notre groupe »,indique Yannick Carriou.

Recruter des profils mixtes

Dans ce contexte, la valeur des ressources humaines devient majeure. Ainsi, pour accompagner les clients dans la prise de risque, il faut, dans les instituts, des personnes capables d'avoir une compétence sectorielle, une capacité d'analyse du marché et de diagnostic. Il faut aussi des profils internationaux, qui ne se contentent pas de maîtriser les langues mais qui aient une réelle connaissance des pays et de leurs marchés.
Les instituts cherchent des profils mixtes qui associent la culture matheuse ou informatique à une expertise marketing ou politique.« Nos chargés d'études doivent savoir utiliser les logiciels statistiques, sortir les résultats, les analyser et enfin les présenter »,lance Gérard Lopez le président de BVA. Le mouton à cinq pattes !
D'où l'enjeu de la formation interne. Ipsos en a pris conscience et vient de recruter un directeur des ressources humaines. De son côté, TNS Sofres vient de mettre en place une formation de huit semaines (la TNS Academy) réservée à ses nouvelles recrues. Répondre à la pression sur les prix par une proposition de valeur ajoutée... c'est aussi s'entourer de gens de valeur.