Publicité & distribution

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La grande distribution serait-elle sur le point de changer de registre ? Après des mois de guerre des prix où l'on a vu fleurir des visuels bariolés d'étiquettes et caviardés de tarifs biffés, les têtes d'affiche de ce printemps semblent tourner la page de la revendication purement pécuniaire. ­Carrefour a lancé en mars une campagne de marque qui met en avant la qualité de ses propres produits. Exprimés à travers quatre visuels, les thèmes abordés (fraîcheur, goût, sécurité et bienfaits nutritionnels) sont à l'image de la signature, apaisante : « Les produits Carrefour, la qualité pour tous. »
Les campagnes véhémentes d'E.Leclerc (Australie) entonnant L'Internationale sur des slogans soixante-huitards pour défendre les prix bas auraient-elles perdu de leur cachet ? On sait qu'elles ont permis au distributeur de grignoter des parts de marché et ainsi de passer devant son ­concurrent Carrefour (lire l'encadré). Mais ce dernier retrouve le sourire. ­Depuis fin 2005, le numéro deux mondial de la distribution renoue avec la croissance en France. Même Michel-Édouard Leclerc l'a reconnu sur son blog ! Les investissements massifs dans la baisse des prix et la montée en puissance du programme de fidélité ont porté leurs fruits. « Le groupe a décidé de reprendre son quart d'heure d'avance sur ses concurrents », explique Bernard Buono, directeur général de BETC Euro RSCG, en charge du budget Carrefour.
De fait, sa campagne actuellement sur les murs marque une nouvelle étape. Ayant retrouvé une meilleure image quant aux prix - la mise en place d'une ligne d'alerte sur les prix symbolise la mobilisation de Carrefour sur le sujet -, l'enseigne veut renouer avec ses valeurs historiques de démocratisation de la qualité et, en filigrane, de défense du consommateur. « E.Leclerc a un militantisme "contre", affirme Bernard Buono. Carrefour souhaite se battre "pour" le consommateur. » Un glissement sémantique qu'accompagne la volonté affichée du distributeur de faire de ses marques le fer de lance de ses valeurs retrouvées.
En cela, Carrefour rejoint un modèle tel que Monoprix en France, lui-même inspiré des réussites de Tesco au Royaume-Uni ou de Migros en Suisse. La montée en gamme des marques de distributeurs (MDD) est l'une des tendances lourdes du marché de la consommation alimentaire. La polémique qu'a suscitée le livre de Jean-Michel Cohen et Patrick Serog (cf. Stratégies n° 1406), qui décriait la qualité des produits MDD, montre bien le changement de rapport de forces qui s'est opéré entre distributeurs et industriels. Hier toutes puissantes, les « grandes marques » voient désormais poindre le danger. Les distributeurs français s'attaquent à leurs MDD.
Des gammes de produits larges, bien identifiées, avec une fourchette de prix couvrant tous les besoins, des plus basiques aux plus élaborés, voilà ce à quoi s'attellent à présent les grandes enseignes. Après Casino, Auchan devrait annoncer la refonte de sa marque avant l'été et Intermarché cherche une signature commune à ses 50 marques propres. Quant à E. Leclerc, il veut faire de sa Marque Repère une marque qui s'assume, avec 3 000 références d'ici à un an et 35 à 40 % de part de marché dans les magasins. Après avoir mis les bouchées doubles, Carrefour est en train d'aboutir sur le sujet.
« Nos produits ont connu trois périodes, rappelle Nathalie Mesny, nouvelle directrice de la marque Carrefour, un poste créé en novembre dernier. Premier temps : le lancement des produits libres en 1976. Quelques centaines de références au ­packaging ultrasimple, blanc avec le logo ­Carrefour. L'objectif à l'époque était de s'affranchir du dogme des grandes marques, de démocratiser par les prix, premier contrat de ­confiance avec les clients. Deuxième temps en 1985, avec une offre de MDD enrichie, des gammes qui ont commencé à s'étoffer, avec 8 000 références en alimentaire. Le packaging reprenait alors les codes graphiques des marques nationales. Vient aujourd'hui une ­troisième étape, qui consiste à construire une marque qui revendique des valeurs de bénéfices qui ne sont pas nécessairement calquées sur celles des ­marques nationales. »
Avec un objectif de 10 000 références d'ici à fin 2007, Carrefour a ainsi segmenté ses marques en trois gammes : Carrefour (coeur de l'offre, produits quotidiens), Agir (engagement de l'enseigne sur le bio, le respect de l'environnement et la nutrition) et Sélection (premium), elles-mêmes subdivisées en plusieurs familles, certaines marques étant maintenues (Reflets de France), mais toutes réintégrant ces nouvelles gammes. Une démarche similaire devrait bientôt concerner l'offre en non-alimentaire, notamment sur le textile mais aussi ­l'électroménager, l'image et le son.
L'enjeu est double : fidéliser les clients et améliorer les marges. L'existence de MDD fortes rivalisant avec les marques nationales est de nature à créer du trafic sur les points de vente. De même que la montée en gamme des produits permet d'espérer une amélioration des marges. Mais les MDD restent un choix possible parmi d'autres. Officiellement, il n'est pas question de faire la nique aux marques nationales. Carrefour s'est dit opposé à une « paupérisation » de son offre et s'est engagé à maintenir la part de ces marques. Même attitude chez ­Auchan. « Nous mettons en avant la profondeur de l'offre, des premiers prix aux marques premium, nationales ou non », indique ­Valérie Accary, présidente de BBDO France, en charge de la communication du distributeur. Sa dernière campagne met ainsi côte à côte les marques nationales et les marques de l'enseigne. « Une manière de reconnaître le libre arbitre du consommateur », explique-t-elle. Soit. Mais les tendances de consommation et l'arrivée prochaine de la distribution à la télévision laissent à penser que les MDD n'ont pas fini de faire parler d'elles.