Distribution & médias

Description

Le 1er janvier 2007, tous les distributeurs auront les yeux rivés sur les chaînes hertziennes, à l'affût de leurs spots et de ceux de leurs concurrents... Longtemps ­interdits d'antenne - et seulement autorisés, depuis janvier 2004, à diffuser des messages publicitaires sur les chaînes du câble, du satellite, de la TNT et des télévisions locales -, les distributeurs vont enfin pouvoir s'en donner à coeur joie !
« Onde de choc », « big bang », « révolution »... Toutes les expressions ont été (et seront encore) utilisées pour désigner ce bouleversement médiatique. Annonceurs, régies TV, agences médias et de communication s'y préparent. La période de transition qu'a constituée l'accès à la publicité sur les chaînes du « PAF de complément » n'ayant donné lieu qu'à de minces campagnes (4 millions d'euros bruts investis en 2005), souvent pour tester le média, l'année 2007 devrait voir sortir la grosse artillerie.
« Il y a depuis longtemps une grande frustration des distributeurs, estime Michel Teulière, directeur général de Carat France. La télévision fait rêver, c'est le média idéologique par excellence. » Résultat, tout le monde devrait en être. « L'année1 sera celle du volontarisme dans les investissements, prédit-il. Ne pas en être reviendrait à rétrograder en seconde division. » Outre les enseignes de la grande distribution, sont en effet concernés tous les acteurs de la distribution spécialisée et de la vente à distance, mais aussi tous les sites de commerce en ligne. Bref, une manne pour les chaînes de télévision.
Chaque agence médias avance ses estimations, la fourchette s'étalant de 185 millions (Bipe) à 240 millions d'euros nets (Aegis), tous circuits de distribution confondus. Selon Carat, 55 % des recettes générées devraient provenir d'enseignes de la distribution spécialisée, contre 45 % de la grande distribution. Mediaedge:cia estime pour sa part que la grande distribution alimentaire ­investira 20 % de ses investissements médias à la télévision, soit environ 110 millions d'euros nets, et que la distribution spécialisée fera de même à hauteur de 30% de ses budgets médias.
Dans leur désir de conquête, les distributeurs consentiront-ils à fournir des efforts supplémentaires en matière de dépenses de communication ? « C'est possible, estime un spécialiste en agence médias. Les enseignes pourraient accroître leurs investissements de 10 à 15 %. » Un pronostic qui ne fait pas l'unanimité : « Étant donné la pression actuelle sur les marges, les distributeurs ne s'amuseront pas à remettre la main à la poche, avance un autre expert. Ils accepteront peut-être de faire des efforts les premiers mois, mais, sur l'année, ils ne feront que transférer des budgets qu'ils dépensaient auparavant dans d'autres médias. »
Lors d'un colloque organisé en mai dernier par l'hebdomadaire LSA, José Luis Duran, président de Carrefour, n'a-t-il pas prévenu qu'« en aucun cas, un budget télévision ne sera additionné au budget communication actuel » ? Selon Aegis, sur les 400 millions d'euros bruts qui devraient être investis par les distributeurs sur les chaînes, 130 millions devraient provenir des autres médias, lesquels se mobilisent pour limiter la casse (lire en p. 37), 150 millions du hors-médias et 120 millions de l'effet d'aubaine. Pour le Bipe, 97 % des ­investissements seront alimentés par les transferts d'autres ­médias.
Les budgets des distributeurs déjà affectés à la télévision via les programmes courts et le parrainage (165,7 millions d'euros bruts en 2005, selon TNS Media Intelligence) devraient eux aussi diminuer au profit de la communication dans les écrans publicitaires classiques. À l'exception de quelques programmes bien positionnés, on peut en effet s'attendre à en voir disparaître une bonne partie. « Dans l'ensemble, ces programmes n'étaient que des pis-aller, estime Thierry Fontaine, associé chez Mediaedge:cia. Pourquoi payer cher un programme qui ne permet qu'un discours détourné et intellectualisé, quand on peut dire les choses beaucoup plus clairement dans un film de trente secondes ? »

Régime très strict

Mais, à l'inverse, quel avantage aurait un distributeur comme Leroy Merlin à supprimer Du côté de chez vous, programme court lancé en 1997 sur TF1 ? Devenu culte avec des scores de satisfaction proches de 100 %, il a servi de point d'appui à plusieurs initiatives éditoriales, dont la dernière est la création de la chaîne Du côté de chez vous TV, qui sera diffusée en octobre sur ­CanalSat. « Dans le même temps, indique Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national de la publicité TV, la distribution n'est plus le secteur le plus dynamique sur le parrainage. »
Au final, la télévision devrait concentrer 17 % des investissements médias de la distribution en 2007, contre 2,6 % en 2005, selon TNS Media Intelligence. La distribution se retrouvera ainsi au cinquième ou au sixième rang des secteurs investisseurs sur le petit écran. Mais ces 17 % sont loin de la moyenne d'utilisation du média TV dans les investissements des annonceurs en France (37 %). Et à les comparer avec les 40 % minimum de part de marché de la télévision dans les plans médias des distributeurs britanniques ou espagnols, ou même avec les 27 % atteints en Italie, il faudrait bien se garder de parler de raz-de-marée.
D'autant que la France - un des derniers pays européens à autoriser la publicité TV à la distribution- maintient un régime assez strict en la matière. « Il est le plus contraignant en Europe, souligne Thierry Fontaine. Les campagnes de promotion ou les mises en avant d'événements seront interdites. Il faudra donc trouver des biais pour insuffler un discours sur les prix dans des campagnes d'image. » Vaste espace de probables polémiques, que le ­Bureau de vérification de la publicité (BVP) s'est déjà employé à déminer en précisant toutes les dispositions réglementaires (lire l'encadré en p. 33).
Il n'empêche, les distributeurs ont à l'évidence beaucoup à gagner à investir à la télévision. Pour la première fois de leur histoire, les enseignes vont pouvoir y tenir un discours de marque. « Depuis l'euro, les items d'image des distributeurs se délitent, constate Thierry Fontaine. Contrairement aux discours affichés, les prix ont fortement augmenté, ce qui a rendu les consommateurs méfiants. Cette situation présente un énorme avantage pour certaines enseignes, qui n'ont pas pu développer un territoire de marque spécifique et qui vont désormais pouvoir le faire en donnant à leur discours une vraie dimension nationale. »
C'est notamment le cas de Système U (lire l'interview de son PDG Serge Papin en p. 36), de Casino ou d'Intermarché, qui ne disposent pas, comme leurs concurrents Carrefour ou E.Leclerc, d'une image claire et homogène sur l'ensemble du territoire. « On peut s'attendre à ce que les ­enseignes à forte image continuent de batailler sur les prix en adoptant un discours assez défensif, tandis que les " challengers " profiteront de leur arrivée à la télévision pour frapper un grand coup, estime Thierry Fontaine. Les personnalités des ­enseignes vont enfin apparaître, laissant entrevoir de vrais territoires de communication. »
Surtout, les distributeurs vont enfin pouvoir mesurer l'impact d'une vague TV en termes de fréquentation de leurs ­magasins. Et cela, dans des conditions bien meilleures que celles offertes par les radios ou les afficheurs, ces derniers ayant cependant récemment pris des initiatives pour améliorer la précision de leurs outils de mesure. À la télévision, ils vont bénéficier des partenariats étroits qui lient les panélistes, Nielsen et Marketing Scan en tête, aux régies publicitaires. Marketing Scan a ainsi déployé dans la région d'Angers un dispositif permettant de diffuser des spots sur les chaînes hertziennes et de mesurer l'impact de vagues de communication TV sur les comportements d'achat. « Nous y réalisons des tests depuis septembre 2005, explique Laurent Battais, directeur général de Marketing Scan (groupe GfK). Beaucoup d'interrogations demeurent et on s'attend à une accélération des études à partir de janvier 2007. » Ces tests permettront d'ajuster et d'optimiser les pressions publicitaires au fil des campagnes.

Hausse des coûts GRP en vue

Autre point crucial, les campagnes télévisées vont permettre aux distributeurs de soutenir leurs marques en propre. Certains éléments prospectifs ont d'ailleurs de quoi donner des sueurs froides aux industriels. Alors que les marques nationales représentent aujourd'hui 60 à 65 % des volumes, leur part pourrait tomber à 50, voire 40 %, si les marques de distributeurs devaient continuer leur percée grâce à la télévision, encouragées par des distributeurs qui cherchent à « éclaircir » leurs linéaires. La télévision devrait donc devenir un nouveau moyen de pression des distributeurs sur les grandes marques. Mais il se murmure que les industriels travaillent déjà sur des campagnes ­« cobrandées » avec des enseignes...
Dans l'attente de la publication des grilles de ­tarification, le 10 octobre, les industriels de la grande consommation redoutent par ailleurs une hausse des coûts GRP. À cet égard, les régies ­publicitaires se veulent rassurantes. « La télévision veut garder tous ses clients, fidèles depuis 1968 [première publicité de marque en France] », assure Stéphane Martin, du SNPTV. Et les patrons de chaînes restent prudents. Lors d'une réunion d'analystes, le 29 août, Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, est resté très modeste, évoquant 30 millions nets de revenus publicitaires additionnels en provenance de la distribution, quand la part de marché naturelle de sa régie lui en promettrait plutôt le double... Claude Cohen, PDG de TF1 Publicité, espère de son côté décrocher l'équivalent de sa part de marché habituelle, soit 54 % de 150 à 200 millions d'euros.
Quant à Philippe Santini, directeur général de France Télévisions Publicité, il se veut combatif : « Il faut aller chercher le client. Les distributeurs ne ­feront pas d'efforts supplémentaires. » Sa régie table sur un marché total de 150 millions nets dont elle pourrait récupérer 20 %, soit 30 millions d'euros, en s'appuyant notamment sur la force du réseau ­régional de France 3. Deux offres commerciales sont déjà mises en avant : le couplage régional avec le cinéma et une nouvelle offre transversale qui couplera écrans régionaux, écrans de cinéma et Internet. Par ailleurs, France Télévisions Publicité se dit prête à augmenter son offre de vente aux ­enchères.
Alors, en janvier, faut-il prévoir des embouteillages dans les régies publicitaires ? Les risques de saturation des écrans ne sont pas à exclure, notamment au cours du premier semestre 2007. Mais la plupart des observateurs estiment que le marché devrait trouver son rythme de croisière assez rapidement, certains jugeant même qu'il pourrait être atteint dès la première année, avant une décrue des investissements en 2008. Fin juillet 2006, on constatait la décélération des investissements des distributeurs dans les médias hors TV hertziennes nationales, à +3,2 %, contre une moyenne de marché de +10,7 %, selon TNS Media Intelligence. « Derniers réglages aux stands avant le circuit TV », résume Michel Teulière, de Carat.
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