Blogs business

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Les blogs étaient des têtes de gondole, c'est moins vrai maintenant. » Pour Judith Perker, codirectrice de l'agence Bonnie&Clyde (Nextedia), spécialisée dans les pratiques du Web social, les annonceurs s'intéressent toujours aux blogs, mais ils veulent aussi s'assurer de ce qui se colporte sur eux dans les forums, dans les réseaux sociaux ou sur les plates-formes vidéo. Ils s'inquiètent des avis des internautes, et pas seulement de ceux des blogueurs.

Le marché publicitaire fait sa loi

Les temps changent. Au-delà du phénomène des blogs, les entreprises veulent avoir une idée précise de leur exposition sur la Toile. La veille passive est devenue la priorité de leur communication en ligne. Le marché s'équipe pour surveiller les communautés du Web, à l'instar de l'Élysée, qui est en train de passer en revue les solutions existantes. L'institut d'études en ligne Opinion Way ou l'éditeur RTGI proposent ainsi des solutions qui permettent en temps réel de savoir ce qui se dit d'une marque ou d'un sujet d'actualité dans les blogs, forums et réseaux sociaux. Scan Blog, qui travaille pour plusieurs agences, a ainsi conçu un outil de « buzz monitoring » mesurant l'évolution du bouche-à-oreille autour du lancement d'un nouveau produit. La société compte parmi ses clients L'Oréal ou Unilever. De son côté, Le Public Système vient de lancer le blog mediassociaux.com, pour observer les tendances et pratiques des médias sociaux.
C'est que les blogs forment un réseau structuré de contacts mieux identifiables que le labyrinthe en construction des forums. Leur typologie est dictée par les lois du marché publicitaire. Parmi les plus actifs, les « blogs de filles » autour de la mode, de la beauté, de la santé et du luxe, et ceux sur le high-tech sont les plus fréquentés. Ce sont du reste les espaces les plus chers de la blogosphère pour les annonceurs. Mais les loisirs créatifs (cuisine, people ou divertissement) croissent rapidement. À la marge, quelques blogs généralistes (politique, ­société) ou hyperspécialistes (droit) tirent leur épingle du jeu. Quant aux blogs professionnels, notamment ceux du marketing et de la communication, s'ils restent très actifs, leurs audiences sont logiquement plus faibles, les blogs de loisirs créatifs, eux, peuvent atteindre 40 000 à 50 000 visiteurs uniques par mois. Les blogs de bande dessinée ou de voyage connaissent également un fort trafic. Mais ceux qui dépassent les 10 000 visiteurs uniques par jour sont très rares, à moins d'être interdits aux moins de 16ans... Cependant, le blog de divertissement Chauffeur de buzz, parfois qualifié de simple agrégateur de contenus, dépasse le million de visiteurs uniques par mois, avec plus de 35 000par jour dont 10 000 en accès direct. Chez Skyrock, on revendique aussi des « blogs stars » qui dépassent 50 000 visiteurs uniques par mois.
Qui dit audience dit monétisation. Parallèlement à cette structuration de la blogosphère, se développe une offre d'intervenants, plates-formes de blogs, régies et agences. L'activité de régie peine à décoller. Un quart seulement des annonceurs auraient testé la publicité sur les blogs (étude IAB/UDA). Le marché compte une dizaine de structures, dont la principale, W2, vient d'être rachetée par Lycos. Influence (Heaven) se concentre sur les blogs influents, tandis que Blog Rider (Ad Rider) a diversifié ses activités dans la veille. Souvent lancées dans des stratégies d'internationalisation, elles cherchent à se repositionner comme les partenaires « globaux » des annonceurs dans leur approche des réseaux sociaux.
Blog Rider ou Over Blog se présentent ainsi comme des plates-formes de conception d'outils de communication adaptés à la blogosphère. Over Blog, première communauté d'adultes blogueurs (6 millions de visiteurs uniques par mois pour 800 000 blogs, dont 2 % actifs), a modifié son modèle économique. « Nous avons renoncé à éduquer le marché. Nous adaptons notre outil à ce que veulent les annonceurs, constate Frédéric Montagnon, président d'Over Blog. En 2006-2007, nous avons eu beaucoup de mal à vendre de la publicité. Nous avons donc dû proposer des campagnes plus étoffées. » Aujourd'hui en régie chez TF1, qui a pris 35 % de la société, la plate-forme monte des dispositifs comprenant un habillage des blogs et l'envoi de matériel promotionnel chez les blogueurs. Quant aux blogs de marque, ils ont un avenir, mais pour des communautés pointues et avec l'implication des marques elles-mêmes, comme c'est le cas avec Les Végétaliseurs, un blog lancé par des salariés d'Yves Rocher, ou sous forme de blog interne, comme l'a fait Orange (agence You to you) pour son département de marketing mobile.
Autre famille d'intermédiaires en communication, les plates-formes d'affiliation cherchent à devenir à terme des médias communautaires. Lancé en juin 2007 par Publicis qui en détient 60 %, Blog Bang, qui fait le lien entre briefs d'annonceurs et créatifs blogueurs, revendique une centaine de campagnes générées pour 55 marques. Elle met en avant un trafic de 7,7 millions de visiteurs uniques par mois, ce qui la classe parmi les poids lourds des plates-formes vidéo. Certains lui reprochent un manque de transparence en matière de rémunération, mais la mayonnaise semble prendre. Digitas a ainsi fait appel à elle pour donner de la visibilité en ligne au loueur de voitures Sixt. Sept créations d'internautes ont été relayées par 500blogs. Autre exemple, Ebuzzing met en relation les annonceurs et les créateurs de contenus en ligne, et rémunère ces derniers pour des billets sponsorisés.

Les agences s'organisent

Du côté des agences, on compte d'abord les spécialistes du buzz, qui sont souvent des structures de promotion consacrées aux loisirs et au divertissement. Tribeca a ainsi à son actif plusieurs opérations dans le secteur de la musique pour stimuler le buzz à l'occasion de la sortie d'un disque, dans une base généralement constituée de 20 blogueurs. Une autre structure, My Buzz Box (Nouveau jour), propose d'entrer en contact direct avec les blogueurs à travers une boîte surprise qui les informe sur leur actualité. Mais, sentant le vent tourner, la première d'entre elles, Buzz Paradise (Vanksen), qui détient une base de 6 000blogueurs, a commencé sa mue, se définissant désormais comme une agence de communication globale.
Imprudemment parfois, des agences de RP se lancent seules, avec comme unique passeport le classement des blogs établi par Wikio. Mais, globalement, les agences de communication se professionnalisent. De nouvelles fonctions apparaissent comme les « community managers », chargés des relations avec les réseaux sociaux, les attachés de Web, en lien avec les journalistes en ligne, ou les « relations blogs ». La culture du blog se diffuse jusque sur les supports, comme le « communiqué de presse 2.0 » intégrant les fonctionnalités de diffusion des contenus multimédias (liens vidéo et vers des outils de partage de marque-pages). Un collectif de blogueurs en agence a même été créé, Blogger Agency, qui réunit 80 contributeurs.

L'essor du publi rédactionnel

Ces conditions permettent d'améliorer les rapports avec les blogueurs, même si certains s'inquiètent d'un effet de saturation. « Ils sont trop sollicités. À ce rythme, le mouvement s'apparente à du spam », estime Éric Maillard, patron d'Ogilvy PR. Beaucoup d'agences sont dans une logique de « seeding » : on plante une graine (envoi d'un produit ou de teasers) et on mesure le buzz qu'elle génère. Face à l'avalanche des propositions, les blogueurs s'y perdent. Tous les acteurs sérieux reconnaissent qu'une bonne opération passe par une approche individualisée et de long terme. Bref, du sur-mesure. Les opérations réussies sont celles qui impliquent les blogueurs en valorisant leur expertise, comme celle de Philips, conçue par L'Enchanteur des nouveaux médias, en direction des blogs de cuisine. En l'occurrence, un jeu-concours en ligne va permettre à 25 blogueuses sélectionnées de réaliser une recette dont la vidéo sera ensuite diffusée sur le Net. Philips fournit du matériel et associe son image, via des écrans diffusés en début et fin de film. Autre bonne idée, celle d'Ebuzzing, qui a mis les blogueurs dans la confidence de la stratégie de son client Fnac.
Des maladresses sont certes encore commises, mais le climat semble s'apaiser. « Les rapports se normalisent car les blogueurs aussi ont mûri », estime Stanislas Magniant, chez Publicis Consultants Net Intelligenz. Comme l'explique le blogueur ­Damien de Blignières, « il n'y a jamais eu autant de blogs-sandwichs, mais ils sont passés dans les moeurs. Aujourd'hui, on est plus à l'aise avec la critique... »
Pour Éric Maillard, ce qui structure la blogo­sphère, c'est la rémunération des blogs. Désormais blogueur à 100 %, Éric Dupin est un cas exemplaire. Son blog Presse-citron sur les nouvelles technologies (10 000 à 12 000 visiteurs uniques par jour) est devenu un média à part entière. Avec 27 000abonnés à satisfaire, cet entrepreneur lyonnais a revendu son agence interactive pour se consacrer totalement à son site et à la logistique qu'il nécessite : maintenance technique, référencement, gestion des contacts, etc. Mais il se déclare « plus blogueur que jamais ». En régie chez W2/Lycos pour des bannières publicitaires, son blog génère un chiffre d'affaires mensuel de 3 500 à 4 500 euros, avec des mois à 7 000 euros. « Desquels il faut déduire les charges », précise-t-il. Son secret ? « J'ai une communauté et je m'appuie dessus, notamment à travers les outils de microblogging comme Twitter ou Plurk. »
En réalité, seules quelques dizaines de blogueurs gagnent vraiment de l'argent. Et les liens sponsorisés de Google Ad Sense (qui sont pourtant la première source de revenus pour le commun des blogueurs) ou les bannières n'y sont pas pour grand-chose. Ce qui marche en ce moment, ce sont les billets sponsorisés. Quelques lignes bienveillantes payées de 50 à 500 euros en droits d'auteur en fonction de la qualité du trafic. Cette dérive publirédactionnelle ne manque pas de faire débat. Certains refusent toute proposition de peur d'entamer leur crédibilité. D'autres se prêtent au jeu, imitant en cela les médias traditionnels. Un autre signe de ­maturité ?