Dossier Communication corporate
La digitalisation a incité les entreprises à devenir interlocutrices des consommateurs. Ce nouveau paradigme de la conversation oriente la communication corporate vers de nouveaux enjeux, dominés par l’anticipation des sujets clefs et l’engagement des parties prenantes dans l’ère de l’expérience.

«Dans un monde où les gens s’intéressent à tout et se défient de tout, pensent que les marques et les entreprises ont plus de responsabilité et qu’elles doivent donc être un acteur de progrès social, font de leur pouvoir d’achat un bulletin de vote pour sanctionner ou récompenser les entreprises inventant une nouvelle grammaire des critères de choix des marques. Quand les frontières entre le produit, la marque et l’entreprise s’estompent. Que la vision de l’entreprise devient un élément clé de son business, il est temps de l’énoncer avec force.» Ce vibrant plaidoyer en faveur de la communication corporate n’est pas le fait d’un vieux routard de la communication institutionnelle, mais de Mercedes Erra et Rémi Babinet, les patrons-fondateurs de BETC, première agence de publicité française qui, au début de l’année, à lancé en toute discrétion BETC Corporate. «Chez BETC, nous faisons de la communication corporate depuis de nombreuses années, mais sans vraiment le dire. Nous voulons désormais le faire savoir», renchérit Jean-Charles Caboche, directeur général de BETC et président de BETC Corporate. BETC ne renonce pas à la publicité, mais ne veut plus y être réduite. L’agence veut remonter en amont sur «le pilotage de la marque-entreprise» et l’accompagnement des dirigeants d’entreprise dans leur prise de décision – plus rémunérateur et plus stratégique – avec une offre corporate en RSE (responsabilité sociétale de l'entreprise], communication interne et employeur privilégiant «le sens et la créativité».

Alors que la publicitaire BETC a besoin de faire clignoter le terme «corporate» pour élargir son périmètre de marché, d’autres agences préfèrent le taire, à l’instar de Babel, cofondée et présidée par Laurent Habib, qui a fait toute sa carrière dans la communication institutionnelle chez Euro RSCG C&O (rebaptisée Havas Paris en 2014) et ne veut pas y être réduit. «Dans le “Babel Book”, au mot “corporate”, nous avons indiqué: “Attention, mot tabou, à ne jamais utiliser!”, confirme Laurent Habib. Chez Babel, tous les dossiers intègrent les questions des forces de vente et de l’image commerciale. Nous développons une culture du business.»

Havas Paris, originellement corporate, se positionne aussi comme agence globale et a intégré, cette année, l'agence publicitaire Havas 360. «Le corporate est aujourd’hui partout puisqu’il est désormais imbriqué dans le commercial. Il fait vendre et le commercial défend des points de vue. Dès lors, les lignes sont perméables et les frontières ténues», souligne Fabrice Conrad, directeur général d’Havas Worlwide Paris. «Convaincus que les métiers du conseil – stratégie de marque, réputation, marque employeur – sont indissociables des métiers de la création, nous sommes le modèle d’intégration le plus poussé du marché», revendique-t-il.

Des approches variées, mais convergentes

«Ce qui est très frappant dans notre marché, c’est de voir les agences corporate devenir globales et des agences de publicité classiques faire le chemin inverse, note Elisabeth Coutureau, présidente de l’AACC Corporate et coprésidente du cabinet corporate Clai. Si tout le monde s’accorde à dire que la convergence marque commerciale et marque corporate est vitale, les stratégies d’agences sont diverses. L’important est que les expertises soient bien au rendez-vous: il ne suffit pas, par exemple, de savoir réaliser une campagne publicitaire institutionnelle ou un plan de relation médias pour se proclamer spécialiste du corporate.» Un mouvement qu’illustre Meanings qui, malgré son slogan «agence (très) corporate» lancé il y a deux ans, n’hésite plus à prendre en compte le consommateur dans son champ de réflexion. «Si nous nous adressons aux individus en tant que citoyen, électeur, salarié, membre d’une association, bénévole, riverain ou encore militant, il est important, pour nous, de le considérer également comme un consommateur. Après tout, pourquoi ne ferions-nous pas le chemin inverse de celui qu’emprunte aujourd’hui BETC, qui cherche à remonter sur le corporate?», lance Bruno Scaramuzzino, cofondateur et président de Meanings. D’autres agences ont fait le choix de la spécialisation, à l’instar de Thomas Marko & Associés: «Nous nous sommes “sur-spécialisés” dans les problématiques complexes et sensibles, tant en termes réglementaires que de business ou de réputation», indique Emmanuel Bachellerie, directeur du pôle institutionnel. L’agence Proches, fondée en 2014 par Pierre-Yves Frelaux, ex-président de TBWA Corporate, avec une quinzaine de consultants, se positionne sur trois expertises: communication, lobbying et digital. «C’est plus compliqué pour de grands groupes de combiner ces trois expertises parce qu’elles sont réparties dans différentes business units, dont les intérêts peuvent ne pas être alignés, mais aussi parce que cela entraîne un empilement des coûts et parce qu’il leur manque l’agilité» soutient-il. «Pour sa part, TBWA Corporate ne mise pas sur une approche globale, souligne Emlyn Korengold, son président. Nous gagnons des clients grâce à nos différentes expertises, car les entreprises ont en leur sein différents interlocuteurs qui sont autant de points d’entrée. En 2015, nous avons gagné l’accompagnement de la première campagne corporate du nouvel Alstom à partir d’une problématique financière. Les entreprises ne se satisfont plus d’un partenaire à qui elles confient tout.» 

«Simplifier le complexe»

Sur le plan des actions, la communication corporate doit poursuivre ses efforts pour se défaire de ses habitudes d’autoproclamation. «L’enjeu n’est plus de communiquer, mais de susciter l’engagement des parties prenantes à travers la pédagogie, explique Elisabeth Coutureau. Nous devons savoir simplifier le complexe, comprendre les sujets et avoir un bon sens de l’opinion pour la comprendre, la rencontrer et faire en sorte qu’elle s’engage. Par exemple, lors de la crise Nutella, le WWF a publiquement remis en question le fondement de ces attaques. Bien travailler avec les ONG peut devenir un atout. L’enjeu est de faire en sorte que les parties prenantes deviennent ambassadeurs et s’engagent aux cotés de l’entreprise.» «Nous sommes passés de l’ère de la transparence à celle de l’expérience. Désormais, il faut prouver et prendre à témoin les parties prenantes de ce qu’il se passe vraiment dans les entreprises. Aujourd’hui, la crédibilité se construit beaucoup plus avec les ONG et les experts que par l’information livrée par l’entreprise», confirme Catherine Gros, vice-présidente de Publicis Consultants. Pour elle, les messages «top-down» doivent faire partie du passé: «Quand Fleury Michon s’est trouvé sous le feu des critiques de l’ONG Foodwatch, qui affirmait que l’étiquetage était perfectible, nous avons essayé de comprendre leur point de vue, puis nous leur avons expliqué ce que la marque pouvait prendre en compte et améliorer, mais aussi ce qui n’était pas modifiable pour des raisons techniques. Nous les avons tenus informés des actions engagées et invités à visiter les usines», relate-t-elle. «Les entreprises qui ont une mission forte et qui savent la partager avec leurs publics sont celles qui inspirent le plus d'adhésion et de confiance. Leur business en bénéficie alors naturellement, confirme Philippe Pailliart, PDG de Burston-Marsteller I&E. Et la confiance des collaborateurs est plus forte lorsqu'ils comprennent la raison d'être de l'entreprise et voient concrètement ce  qu'elle apporte à la société.»

Une vision que partage Robert Zarader, directeur général d’Equancy & Co: «L’entreprise devient une partie prenante des débats relatifs à la responsabilité environnementale ou sociale, au rapport au travail. Ce qui est marquant aujourd’hui, c’est l’émergence d’une relation, individuelle ou collective, avec elle. Le rôle de la communication corporate est de gérer ce lien, car l’entreprise doit désormais donner des preuves de sa contribution au bien commun.» Être au bon moment au bon endroit pour déclencher le bon échange engage les agences à développer de nouvelles compétences et à couvrir un champ qui dépasse de loin les réseaux sociaux, souligne Robert Zarader: «Il faut aller chercher les débats, les idées qui forment l’opinion, repérer les signaux faibles, aider l’entreprise à s’y préparer et forger ses arguments. Le champ de veille va du monde de la recherche, les think tanks qui abordent très en amont les sujets qui deviendront plus tard des sujets de société, mais aussi les universités, les grandes écoles…, jusqu’aux réseaux sociaux.» Un nouveau paradigme qui déclenche une transformation du corporate, estime François Lamotte, directeur général de l’agence W: «Le temps du message est révolu. Les marques sont maintenant des médias éditeurs de contenus autour d’une ligne éditoriale. Pour relever ce défi, il faut partir du récepteur.»

Lisibilité n'est pas (encore) visibilité

Dans ce paysage mouvant, les entreprises cherchent aussi leurs marques. Leur approche du corporate reste encore concentrée sur des thématiques restreintes: acquisitions, campagnes de recrutement, annonces financières ou situations de crise. Les entreprises doivent franchir un pas supplémentaire, estime Jean-Charles Caboche, de BETC Corporate: «La valorisation de l’entreprise de façon récurrente n’est pas encore généralisée alors que c’est une attente réelle.» Les signes de prise de conscience semblent toutefois émerger avec la multiplication de plateformes de communications corporate, souvent liées à la RSE. «Il y a un effort de lisibilité, mais pas encore de visibilité», tempère Jean-Charles Caboche. Une visibilité qui demandera sans doute encore du temps. Nombre d’entreprises ne semblent pas avoir intégré l’ampleur de la tâche, souligne Laurent Habib, de Babel: «Les appels d’offres montrent que les clients ne sont pas toujours conscients de la complexité des problématiques. L’écart des budgets nécessaires peut aller de 1 à 5.» «Les Gafa pèsent aussi sur notre métier et nous posent trois défis: celui de la désintermédiation, notamment des agences médias, celui de la gestion de la data et celui du rôle des marques et des agences, dans un monde où la relation est de plus en plus horizontale entre les marques et les consommateurs», ajoute Fabrice Conrad, d’Havas Worldwide Paris. 

Face à ces transformations et ces nouvelles options, les agences se sont mises en quête de talents. Chez Publicis Consultants, le digital semble avoir priorité. «Nous recherchons des data scientists, des spécialistes des interfaces digitales pour créer des idées innovantes, des gens ouverts sur d’autres disciplines, qui ont une vision globale et pas seulement technique», explique Iannis Ait-Ali, directeur du développement de Publicis Consultants. «Les annonceurs recherchent avant tout de la différenciation. Pour répondre à ces attentes, nous embauchons des profils de plus en plus divers et bien plus disruptifs qu'auparavant», complète Philippe Pailliart, de Burston-Marsteller I&E.

La chasse s’avère difficile et les attentes futures ne seront pas faciles à combler, estime de son côté Emmanuel Bachellerie, de Thomas Marko & Associés: «Le métier va monter en niveau. Il faudra davantage de culture générale et des connaissances en nouvelles technologies pour maîtriser la multitude des canaux.» S’il partage cette analyse, Bruno Scaramuzzino, de Meanings, en tire une autre conclusion: «L’âge auquel nous sommes légitimes et crédibles dans l’exercice de nos métiers est un vrai sujet. Ma conviction, et donc ma politique RH, m’invite à privilégier une certaine maturité pour les postes de consultant.» La communication corporate s’enrichit donc à vive allure d’expertises et d’approches nouvelles. De quoi contredire ceux qui lui prédisaient un avenir funeste à brève échéance, mais de quoi aussi plonger ses partisans dans les méandres d’une redéfinition dont les contours semblent encore difficiles à cerner.

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