Les organisations professionnelles des annonceurs et des agences ont lancé mercredi 16 avril la charte «La belle compétition», une charte pour les appels d'offre. Une démarche unique en France comme à l'étranger.

Dix-huit mois de travail, de négociations, de tractations, pour aboutir à un outil inédit en France :la «charte pour les appels d'offres agence-entreprise/annonceur». Une démarche initiée par l'Association des agences conseils en communication (AACC) et l'Union des annonceurs (UDA), qui va bien au-delà des guides déjà publiés et autres baromètres sur les compétitions. Avec le concours de quatre autres syndicats représentatifs des métiers de la communication, Association Design Conseil (ADC), Association des agences de communication événementielle (ANAé), Syntec Conseil en Relations publics et Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam), l'interprofession établit avec cette charte un cadre applicable à tous les appels d'offres et ouvert à tous, et dont les grandes lignes ont été présentées à la presse mercredi 16 avril. 

 «C'est un sujet brûlant autant pour les annonceurs que pour les agences, déclare Vincent Leclabart, président de l'AACC et de l'agence Australie. Pour les premiers, il s'agit de prendre une décision importante pour leur entreprise. Or, l'exercice est difficilement objectivable, d'autant qu'intervient dans certains cas une dimension politique, dans le sens où, au sein de l'entreprise, tout le monde peut avoir un avis. Pour les agences, il ne s'agit ni plus ni moins parfois que d'une question de survie, et les comportements ne sont pas non plus toujours vertueux. Par exemple, en s'immiscant dans un appel d'offres au dernier moment ou en proposant un budget qui ne correspond pas à la réalité. Avec cette charte, l'objectif est de construire en commun plutôt que de s'affronter.» 

Un sujet émotionnel

Un travail collectif, donc, qui n'aurait sans doute pas vu le jour sans le pavé dans la mare jeté en mai 2012 par l'AACC et son président d'alors, Frédéric Winckler, via sa première, et à ce jour unique, édition de la «Notation des compétitions», un classement nominatif peu flatteur pour certains annonceurs. L'UDA n'avait guère apprécié cette attaque frontale. Mais une fois l'émotion retombée, les annonceurs semblent avoir compris que leur propre intérêt est d'établir un vrai débat sur cette question sensible. «Il s'agit d'un sujet extrêmement émotionnel du côté des agences, reconnaît Pierre Bersagol, administrateur à l'UDA et directeur marketing communication d'Auchan. Mais les annonceurs sont conscients d'un certain nombre de dysfonctionnements qui jettent l'opprobre sur la profession, alors qu'ils sont minoritaires. Or, le nombre de consultations continuera à s'accroître du fait du nombre de techniques de communication (digital, événementiel...) et du nombre de personnes concernées au sein de l'entreprise, ajoute-t-il pour justifier la nécessité d'établir des règlesd'engagement réciproque», tient-il à souligner. 

Trois engagements

De fait, la charte, présentée sur le site www.labellecompetition.fr, et qui fonctionne sur le principe du volontariat, s'articule autour de trois engagements : transparence, responsabilité et sincérité. À chacun correspond trente-six critères concrets, vingt et un pour les annonceurs, quinze pour les agences. Exemples : «liste exhaustive des clients conflictuels», «présentation de budgets réalistes» et «respect des circuits de décision», côté agences ; «brief écrit, validé, documenté», «délais cohérents avec le travail demandé» et «respect de la confidentialité et de la propriété des propositions des agences non retenues» côté annonceurs (voir ci-contre).

Une liste non exhaustive issue d'un travail de synthèse ayant permis de ne retenir que les critères dans lesquels tous les métiers peuvent se retrouver. «Nous souhaitions à l'Udecam, qu'un nombre défini de critères soit imposé. Cela n'a pas été possible. Mais cette charte engage ses signataires à respecter une nombre significatif de critères», commente Bertrand Beaudichon, président de l'Udecam et vice-président d'OMG.

Ni sanction, ni contrôle

 «Il n'y aura pas de sanction, ni de contrôle, il s'agit avant tout d'une démarche de dialogue, d'un travail de pédagogie», insiste Pierre Bersagol qui toutefois rappelle qu'en signant cette charte, qui peut s'inscrire dans une politique générale de resposabilité sociale de l'entreprise (RSE), l'annonceur s'engage fortement. «Il n'est pas aisé pour les entreprises, déjà signataires de nombreux documents, de signer ce genre de texte qui implique la mise en place d'une procédure interne», précise Didier Beauclair, directeur médias et relations agences à l'UDA. «Il s'agit d'une démarche unique. Même l'initiative "The good pitch" de l'IPA [l'AACC britannique] n'a pas cette valeur d'engagement», assure Marie-Pierre Bordet, vice-présidente déléguée générale de l'AACC. 

 «La clé du succès de cette charte sera évidemment le niveau d'adhésion des annonceurs», rappelle Thierry Wellhoff, président de Syntec Conseil en Relations Publics et de l'agence Wellcom. Si la signature et l'engagement des agences n'inquiétent guère les protagonistes de ce texte, la réciproque de la part des annonceurs reste encore une inconnue.

« Cela va monter progressivement en puissance. Le poids et la valeur de la signature de l'UDA devrait y contribuer», veut croire Pierre Bersagol, pour qui la démarche a d'abord vocation à impulser une relation vertueuse : «Les annonceurs ne sont pas obligés de cocher toutes les cases, mais avec cette charte, ils vont devoir parler avec les agences des conditions des consultations avant que celles-ci ne soient lancées. Une discussion préalable qui, il est vrai, n'est pas encore assez pratiquée.»

Permettre une prise de conscience

Frédéric Messian, président de l'ADC et de l'agence Lonsdale, acquiesce : «Nous n'attendons pas de résultats immédiats, il s'agit avant tout de permettre une prise de conscience de part et d'autre sur ce sujet tabou des compétitions. C'est un point de départ.»

Un outil de suivi

Si cette initiative d'autorégulation ne comprend donc ni sanction ni contrôle, elle s'est toutefois dotée d'un outil de suivi. «Un observatoire commun de l'application de la charte a été mis en place. Il permettra de présenter un état de l'engagement des signataires et, en comparant les déclarations respectives des agences et des annonceurs compétition par compétition, de vérifier la bonne foi de chacun», avance Bertrand Beaudichon. Les signataires seront en effet appelés à renseigner sur l'espace sécurisé du site labellecompetition.fr les critères qu'ils ont retenus.

L'idée est de publier régulièrement un compte rendu global et anonyme sur le nombre d'entreprises signataires ainsi que le nombre et la fréquence des critères retenus afin de suivre les progrès réalisés. Pour l'heure, ce formulaire de suivi ne permet pas de signaler un ou des manquements de la part de tel ou tel signataire. «Si l'on s'engage sur ce type de charte, ce n'est pas pour au final risquer de se faire montrer du doigt», répond Marie-Pierre Bordet de l'AACC, qui ajoute que les rares cas de conflit feront de toute façon l'objet d'une médiation. «Cette charte a une valeur initiale mais aussi et surtout une valeur d'usage et de développement», conclut Bertrand Biard, président de l'ANAé et de l'agence Manifestory, qui annonce déjà quatre signataires dans ses rangs. 

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