Le film Barbie a trouvé son public et ses contradicteurs et restera comme un des principaux événements de l’année 2023. C'est aussi l’archétype d’un genre propre aux années 2020 : le méta-modernisme.

Au soleil ou sous la pluie, l’été 2023 était rose. J’espère que vous n’avez pas boudé le plaisir de retourner dans une bonne vieille salle de cinéma pour voir Barbie. Box-office et censure se trompent rarement et jamais quand ils ont la même cible : plus d’un milliard de revenus en quelques semaines, sa projection interdite dans de nombreux pays, qui ne brillent pas plus pour leur attachement à la démocratie que pour leur passion du cinéma. Le film de Greta Gerwig a trouvé son public et ses contradicteurs et restera comme un des principaux événements de l’année 2023. Et ce n’était pas une évidence. Tout le monde connaît Barbie, icône de la pop culture qui malgré (à cause de ?) sa plastique a vieilli et lassé les petites filles. Tellement stéréotypée, qu’il est difficile d’imaginer un meilleur archétype du monde d’avant. Pourtant, à défaut d’être vraiment subversive, l'œuvre se révèle innovante.

Commençons par le plus saillant : son féminisme, de divertissement mais affirmé. Si le débat est nourri et les critiques souvent légitimes, le fond n’est pas occulté par la forme toute rose de ce girl power. Dans Barbie Land, les femmes occupent tous les métiers et surtout les plus importants, présidente, juge à la Cour suprême... De femme objet, Barbie devient symbole du féminisme, même si des intellectuelles et des militantes n’ont pas manqué de rappeler la complexité voire la radicalité nécessaire pour faire cesser le sexisme. Le film brille par la clarté de son propos et sa démonstration pratique : pour la première fois une femme réalisatrice atteint cette réussite au box-office, alors que pour rappel, elles sont trois seulement à avoir gagné un Oscar en bientôt 100 ans. Oui, « We Girls Can Do Anything » comme le proclame Mattel depuis 1985, il serait temps que ça se voie.

Entre premier et second degré

Le film est aussi l’archétype d’un genre propre aux années 2020. Un « en même temps » qu’on appelle le méta-modernisme, ce mouvement qui propose un embrayage automatique entre premier et second degré. Le magazine Usbek et Rica parle d’un « document open source qui retrouve le goût du futur » et cite le vidéaste Bolchegeek : « la modernité disait “Raconte-moi des histoires”, la post-modernité “Je sais que tu me racontes des histoires” et la méta-modernité ajoute “Raconte-les moi quand même” ». C’est bien ce côté léger et profond, potache et érudit, parfaitement incarné par Margot Robbie (quelle carrière après Scorsese, Tarantino et Chazelle), qu’on retrouve dans Barbie et que le film partage avec Everything Everywhere All At Once et ses sept Oscars cette année.

Toutefois, autant le film de Dan Kwan et Daniel Scheinert m’avait époustouflé, autant Barbie m’a semblé relever plus de la prouesse que du chef-d’œuvre. Malgré l’habileté du scénario et de la réalisation, on ne peut pas ignorer que Barbie est une œuvre de commande assumée puisque la maison mère de Barbie est coproductrice. Le lancement est annoncé depuis des mois, la campagne était à la hauteur des promesses du casting. Le capitalisme, ce -isme qui finit par récupérer tous les autres, socialisme de marché en Chine et féminisme de Mattel. D’ailleurs, on dit que les ventes de poupées sont relancées au moins jusqu’en 2030.

Mais, revenons au film, virtuose, surtout dans la première partie enlevée et drôle alors que la seconde partie m’a semblé plus poussive. La couche épaisse de rose a réussi à nous cacher le fil blanc. On connaît la chanson. Version garçon. Et c’est Will Ferrell qui joue le patron de Mattel dans le film, un rôle d’homme à peine moins ridicule que celui de Ken joué par Ryan Gosling, qui m’a mis sur la piste. Will Ferrell est déjà le méchant, le père ridicule et tyrannique d’un autre film d’une méga franchise de jouet en 2014, Lego. On y trouvait un autre monde rêvé, Legoland, et ses portes vers le monde réel, un père et son fils à réconcilier, des archétypes à déconstruire.

Cela m’a rappelé un vieux cas de stratégie quand je passais les entretiens des cabinets de conseil à un âge plus proche de mes parties de Lego ou de Barbie : les couches-culottes genrées, « boys » ou « girls ». Exemple fameux d’occupation des linéaires de supermarchés pour sortir la concurrence des rayons et donc du marché en doublant son exposition. Proposer des films roses ou des films bleus, nous sommes en droit de nous demander quels seront les films qui se retrouveront mécaniquement exclus, en tout cas moins distribués ?

Ces jours-ci, toute de rose vêtue, la célèbre rappeuse Nicki Minaj devient une héroïne du jeu de tir Call of Duty. Un pas de plus pour que filles et garçons jouent ensemble à la console ou à la Barbie ? Premier et second degré, enthousiaste et désenchantée, la méta-modernité gagnerait sans doute à être rose et bleue aussi, mais merci Barbie, Greta et Margot, nous avions bien besoin de tout ce rose.

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