Les élections américaines sont traditionnellement un laboratoire des pratiques numériques émergentes. Tous les mois, jusqu’à l’élection de novembre, plongée dans la campagne digitale avec Ronan Le Goff, co-directeur de La Netscouade.

C’est une vidéo mignonne comme il y en a tant d’autres sur internet, sur laquelle on pourrait poser un œil distrait. Il faut néanmoins s’y arrêter un instant car son personnage principal s’appelle Joe Biden et qu’elle est le symbole de sa surprenante stratégie de campagne.

Cette vidéo ne serait qu’anecdotique si elle n’était directement le procédé par lequel le 46e président des Etats-Unis souhaite se faire réélire. Face au bruit et à la fureur de Donald Trump, Joe Biden tente de jouer la proximité, l’humanité, une campagne à hauteur d’homme postée en temps réel sur les réseaux. Joe Biden se montre avare en grands meetings (un format qu’affectionne Trump) et mise au contraire sur des petits événements devant une centaine de personnes, où il peut aller serrer des mains et discuter avec les Américains. L’objectif est simple : faire de l’image. Mais pas de l’image traditionnelle, celle calibrée pour les grandes chaînes de télévision. Plutôt une image verticale, filmée au smartphone, et doublée de sous-titres en surimpression. Une image calibrée pour TikTok et Instagram, le vrai terrain de campagne du Président.

La campagne Biden mise énormemént sur des contenus positifs, des contenus d’humeur plus que de fond, pour travailler le personnage et contrer l’image de papy sénile que tentent de lui affubler les républicains. L’enjeu ici n’est pas de prêcher des convaincus comme sur X/Twitter mais plutôt d’aller toquer à la porte des indécis ou des personnes désintéressées par la campagne, prêtes à se réfugier dans l’abstention. Avec cette stratégie, le contenu est roi et il faut alimenter presque quotidiennement la machine TikTok. Pour cela, Joe Biden fait de nombreux déplacements sur le terrain, dans des petites villes, où tout est filmé et savamment mis en scène pour coller au storytelling de la campagne. Des rencontres avec des électeurs sont minutieusement préparées pour créer des «moments» en vidéo.

Des dîners chez ses concitoyens

Tel Valéry Giscard d’Estaing qui s’invitait chez les Français, Joe Biden affectionne tout particulièrement les dîners chez ses concitoyens. La grande différence, c’est que cela finit sur TikTok. En janvier, le président est en visite en Caroline du Nord, un autre swing state. Il en profite pour s’inviter chez Eric Fitts, un éducateur noir sélectionné parce qu’il a bénéficié du dispositif d’effacement de la dette étudiante de Biden. La rencontre est évidemment filmée pour les réseaux de la campagne. Mais c’est une autre vidéo qui va mieux marcher, celle mise en ligne par le fils d’Eric Fitts qui n’en revient pas de voir Biden dans sa cuisine : «j’hallucine, le président est juste en train de chiller dans ma baraque.» 5 millions de vues sur TikTok. Exactement ce dont rêve la campagne Biden : des contenus positifs, créés par les utilisateurs eux-mêmes, capables d’aller chercher des publics très éloignés de la politique.

L’équipe Biden veut créer ou générer du contenu, mais sa diffusion est jugée tout aussi importante. Elle passe par le «relational organizing», à savoir l’activation des réseaux personnels des militants, chargés de partager ces contenus dans leur propre cercle amical et familial. «Les gens qui disent qu'ils soutiennent le président, même s'ils ne sont pas tout à fait d'accord avec lui, sont importants», explique à NBC News Rob Flaherty, directeur de campagne adjoint. «Dans ces communautés, avec ces électeurs qui ont peu confiance, les personnes qu'ils suivent sur les médias sociaux sont très importantes.» Le système électoral américain, où tout se joue au final dans une poignée de swing states explique en grande partie ce choix du micro-targeting. Il vaut mieux convaincre 10 personnes dans une petite communauté indécise qu’un millier d’électeurs déjà conquis dans un État gagné d’avance.

Dans cette optique, Joe Biden privilégie les médias locaux, les podcasts et les influenceurs aux grands médias. La stratégie est assumée. «Il est toujours utile que le président puisse s'adresser à une communauté en particulier pour parler de ses réalisations, sans tout le tohu-bohu médiatique, décrypte un conseiller du président. C'est plus efficace que de s'asseoir dans une émission télé, où de nombreux électeurs vont déjà voter pour vous de toute façon.» Peu de grands meetings, peu d’émissions télé, surtout des rencontres à portée de smartphone, Joe Biden invente la nouvelle campagne à l’américaine.

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