Que ce soit des remix ou des chansons créées de toute pièce avec la voix d'artistes connus, les musiques générées avec l’intelligence artificielle envahissent les réseaux sociaux. Une pratique qui soulève de vraies questions juridiques.

L’intelligence artificielle dans le domaine de la musique a franchi un premier cap. Lors de la Fête de l’Humanité, qui s’est déroulée du 15 au 17 septembre près de Paris, Angèle a interprété le tube viral Saiyan. Ce titre du rappeur Gazo a gagné en popularité cet été suite à un remix généré par l’intelligence artificielle avec la voix de la chanteuse belge. Preuve du succès du titre, la foule a reconnu et repris le titre en cœur dès les premières notes. Un événement inédit qui pourrait donner de la légitimité à l’IA dans le monde de la musique.

Mais l’industrie ne semble pas aussi accueillante. Le premier point de discorde reste le titre Heart on my sleeves. Rapidement devenu viral, ce morceau généré par l’IA avec les voix non officielles de The Weeknd et Drake a été retiré de toutes les plateformes de streaming pour violation de droit d’auteur sur demande d'Universal Music, qui représente les deux artistes. Si le patron des Grammy Awards, Harvey Mason Jr., laissait la porte entrouverte concernant l’éligibilité du titre à une nomination, il est vite revenu sur sa position. « Même si la musique a été écrite par un humain, la voix n’a pas été obtenue légalement, elle n’a pas été autorisée par le label ou les artistes, et la chanson n’est pas disponible dans le commerce », a-t-il annoncé en vidéo sur son compte Instagram.

De nouvelles opportunités

Certains entrepreneurs y voient une nouvelle opportunité. « Les musiques peuvent donc être éligibles si publiées sur une plateforme de streaming approuvée. Nous avons donc vite formulé une demande d’approbation à l’académie des Grammys car personne ne propose le travail de ces artistes », estime Can Ansay, un entrepreneur d’origine allemande qui vient de lancer Musixy, une plateforme de streaming dédiée aux nouvelles chansons comme aux reprises, composées avec les voix de chanteurs emblématiques générées par IA. La marque se présente également comme le premier label spécialisé IA. Musixy collabore notamment avec Ghostwriter, producteur de la musique Heart on my sleeves.

Pour rappel, Can Ansay était à l’origine du site controversé Arretmaladie.fr, qui permettait à ses utilisateurs d’obtenir un arrêt de travail sans rencontrer physiquement de médecin. En novembre 2020, le Tribunal de Paris avait ordonné la fermeture définitive du site. Le voici aujourd'hui sur un autre projet qui pose autant de questions quant à l'utilisation de voix célèbres sans l'accord de ces personnes.

« Tout le monde peut utiliser et monétiser les voix de célébrités générées par IA, tant qu’elles sont marquées "non officiel". C’est l’opinion de nombreux avocats en ligne », se défend-il. Il admet quand même s’appuyer sur un flou juridique.

L’IA Act, en cours de discussion au niveau européen, pourrait d'ailleurs bien trancher certaines questions. Les débats se concentrent sur la manière dont l’IA peut être gérée. Le rôle du texte n’aura pas seulement vocation à arbitrer le droit d’auteur mais il devrait également apporter des solutions pour un fonctionnement de l'IA transparent, sûr et respectueux des droits et des libertés de chacun. L’objectif du Parlement européen est de parvenir à un accord d’ici la fin de l’année.

Une législation compliquée

Pour Mathilde Carle, avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle au sein du cabinet Kramer Levin, la législation est plus compliquée que ce que prétend Can Ansay. « Il n’y a pas encore de loi sur l’IA. En revanche, celles qui protègent le droit à l’image ou le droit d’auteur s'appliquent déjà à l’IA, il ne faut pas obligatoirement une loi spécifique à chaque cas pour savoir comment régir les innovations technologiques », explique-t-elle.

Selon l'avocate, la réutilisation d’une chanson et l’emprunt d’une voix ne sont pas régis par les mêmes lois. En appliquant la loi actuelle, l’usage d'une chanson, pour un remix par exemple, est soumis à l’autorisation des titulaires du droit d’auteur et des droits voisins. La voix d’un tiers relève quant à elle des données personnelles ou du droit de la personnalité, « c’est-à-dire que c’est un attribut de sa personnalité qui ne peut pas être utilisé sans son accord ». Et selon elle, ces questions ne sont pas nouvelles. Du sample au remix généré par IA, l’histoire des innovations dans le domaine de la musique semble toujours ouvrir le même débat : nouvelles opportunités ou plagiat avéré ?