communication
Que font les marques pour toucher les Chinois? Tour d'horizon des pratiques marketing avec Black and Gold, pour qui ce pays est un «vivier d'idées neuves».

Si la Chine n'est pas franchement un exemple en matière de droits de l'homme, tant politiques que sociaux, la deuxième puissance économique mondiale et deuxième marché international du luxe depuis 2009 fascine plus que jamais les professionnels du marketing. «Aujourd'hui, les entreprises internationales ne sont plus seulement en Chine pour produire, mais pour vendre. C'est un vivier d'idées neuves, un laboratoire à ciel ouvert où sont testées des démarches inédites adaptées aux goûts et besoins d'un consommateur local de plus en plus exigeant et averti», analyse Cécilia Tassin, directrice associée de Black and Gold. Implantée depuis dix ans à Shanghai, cette agence française de design, spécialisée en innovation et décryptage de tendances, a présenté mardi 16 novembre un tour d'horizon des nouvelles offres, nouveaux lieux, nouveaux discours et techniques marketing susceptibles d'inspirer les entreprises étrangères. Non plus un «made in China», mais un «made for China» élaboré autour d'approches incontournables: servir à toute heure, divertir, éduquer, jouer la carte de l'interactivité ou de l'accès réservé… Des tendances qui passent par l'adaptation des offres occidentales, mais aussi par la création de nouvelles marques, comme vient de le faire Levi's avec Denizen, des jeans conçus pour la morphologie et les goûts des jeunes Chinois. «Des offres d'inspiration chinoise, mais à destination du monde, commencent à voir le jour», ajoute Cécilia Tassin, qui évoque l'émergence d'un «made with China». Et de citer la création par Hermès de la marque Shang Xia, ancrée dans la culture du pays mais destinée à être commercialisée sur tous les continents. En attendant le développement, à l'exportation, de ces nouvelles marques, plein feux sur les pratiques marketing dans l'empire du Milieu.

Servir à toute heure. Dans les grandes villes, les marques multiplient les solutions innovantes adaptées à la mobilité du citadin. Dans leur poche ou collée sur leur portable, la «Shanghai Public Transportation Card», facilement rechargeable, permet de régler un parking ou de payer un plein d'essence. Dans les rues, le métro et les centres commerciaux, des bornes délivrent des coupons de réduction à télécharger sur une carte magnétique. Surprise: ceux de KFC et de Burger King peuvent être utilisés chez McDonald's. «Cette opération marketing, sans limites ni tabous, a permis à McDonald's de développer sa notoriété en Chine», commente Cécilia Tassin. Dans les rues également, une multitude d'échoppes offrent à toute heure une restauration d'appoint. Comme, là encore, McDonald's, dont les restaurants sont majoritairement ouverts 24 heures sur 24. L'enseigne sert aussi les clients à domicile à toute heure du jour et de la nuit, comme la plupart des commerces, qui ont des horaires d'ouverture étendus. Servir au mieux les clients, c'est aussi leur faciliter le shopping. Le Grand Gateway, l'un des plus grands centres commerciaux de Shanghai, s'est doté d'un atelier de création pour les enfants qui permet aux parents de faire tranquillement leurs courses. Dans les magasins ou les salons de beauté, on «cocoone» entre copines ou l'on se retrouve en famille. Bulles d'intimité et mini-espaces privatisés sont recréés dans les restaurants et les bars. Les marques multiplient les accès réservés, les adresses pour initiés et les parcours initiatiques. Comme ce restaurant italien caché au 808, Changle Lu, à Shanghai, baptisé Closed Door. «De l'époque impériale au Shanghai des années 1930, la Chine n'a cessé de cultiver l'art du secret. L'émergence d'une classe d'urbains aisés s'accompagne donc naturellement d'un “marketing électif” remettant au goût du jour une culture d'initiés», explique Cécila Tassin. Ce qui passe aussi par un marketing de la rareté poussé à l'extrême. Dior ou Gucci ont ainsi créé des éditions limitées vendues dans une seule et unique boutique du pays.

 

Divertir sur le point de vente. Les marques multiplient les initiatives pour divertir les Chinois, travailleurs acharnés découvrant les loisirs. En 2009, huit ans après la vente de la première poupée Barbie en Chine, Mattel a ouvert à Shanghai son premier Barbie Store. Un univers rose et blanc proposant une multitude de services et d'activités: restaurant, défilés de mode, studio photo, boîte de nuit, nail bar (bar à ongles), spa, etc. Black and Gold parle de «retailtainment» pour décrire cette tendance à l'œuvre dans les «concept stores» de Sony et d'Adidas, ce dernier pourvu d'un terrain de basket sur le toit. Tout est fait pour créer des expériences inoubliables ou permettre de tester les produits avant achat. Les Chinois qui passent leur après-midi dans les décors témoins d'Ikea peuvent ainsi déjeuner au restaurant Shintori dans la vaisselle en céramique de la marque Spin vendue quelques mètres plus loin. Ou envoyer leurs enfants dormir sous le tunnel de poissons du Shanghai Ocean Aquarium.

 

Raconter des histoires. L'art du divertissement se retrouve sur Internet, où les marques jouent la carte de l'interactivité et du «brand content» (contenu de marque): le cognac Martell a ainsi créé le tout premier film interactif chinois. Médiatisé comme un vrai long métrage et vu plus d'un million de fois, il invitait les internautes à donner leurs avis (casting pour choisir le second rôle, conseils au héros Ken, choix d'une fin, etc.). Carton plein également pour L'Oréal avec la websérie Buzz my heart, lancée en 2010 pour moderniser l'image de sa marque Yue Sai. Huit épisodes de douze minutes narraient le parcours de trois jeunes femmes, entre intrigues sociales et péripéties amoureuses. Entrecoupés de débats, tirage au sort et conseils sur les produits, ils ont été vus par 400 millions de personnes, soit près de l'équivalent de la pénétration d'Internet en Chine. Les marques créent également leurs programmes de télé-réalité ou misent sur le placement de produits. Depuis 2008, Sony les met en scène dans des webséries, comme il l'a fait pour le parfum Clinique d'Estée Lauder, sponsor de Sufei's diary. D'autres s'approprient une fiction: Unilever a adapté la série américaine Ugly Betty pour promouvoir sa marque Dove. Transformée en Ugly Wudi, elle a été regardée par 73 millions de téléspectateurs dès sa première diffusion, entraînant une augmentation de 21% de la part de marché de Dove. Autre initiative remarquée, celle de Starbucks, qui a lancé en 2008 son propre «sub-opéra», contraction de «soap opera» et de «subway»: un long métrage (120 minutes) diffusé en épisodes de trois minutes sur les 4 000 écrans du métro de Shanghai, avant de l'être sur la Toile.

 

Se réapproprier le passé. L'Oréal qui enseigne les bons gestes de maquillage, Guerlain qui propose un cours sur le parfum, Dunhill, Cartier ou Gucci qui mettent en scène leur savoir-faire artisanal en recréant des ateliers de confection… les marques éduquent aux valeurs du luxe et initient aux produits. «Les Chinois ont un immense appétit pour comprendre et découvrir de nouveaux arts de vivre, ce qui pousse les marques à développer un “storytelling” sur leur savoir-faire et leur héritage», commente Cécilia Tassin. Mais elles puisent aussi dans l'histoire et la culture du pays. Longtemps éradiquées par le maoïsme, elles refont surface. La vodka Absolut a ainsi lancé une édition limitée évoquant la légende du roi singe. Chanel, de son côté, multiplie les initiatives: sa boutique du Plazza 66, célèbre centre commercial de Shanghai consacré au luxe, épouse les codes populaires avec ses décors de lampions rouges. Elle a lancé une collection d'accessoires inspirés du folklore traditionnel chinois et, sur Internet, le site Paris Shanghai rend hommage à la Chine tout en retraçant l'histoire de la marque. «Une façon de faire à la fois œuvre de pédagogie et de séduction auprès d'un pays qu'elle courtise activement», poursuit Cécilia Tassin.

 

Célébrer l'amour et l'art . «Débarrassée des tabous de la vieille Europe, la Chine n'oppose pas art et mercantilisme. Elle fait interagir les deux sphères avec créativité», explique Cécilia Tassin. Ferrari, Salvatore Ferragamo ou Lacoste ont travaillé avec des artistes locaux pour faire de leurs produits des œuvres d'art. Quant à Dior, elle a donné carte blanche à une vingtaine d'artistes pour réinterpréter les signes emblématiques de la maison. Les marques célèbrent ainsi le goût des Chinois pour la poésie, la féérie, l'onirisme, le mélange des genres et des styles. Nombreuses sont celles qui surfent aussi sur le «romance marketing». «C'est une réponse à l'évolution des mœurs, à la désolidarisation du couple du reste de la famille», explique Cécilia Tassin. Häagen-Dazs invite, par exemple, à fêter son «love anniversary» dans ses magasins avec des publicités signées «Take me to Häaggen-Dazs if you love me». Elle va même jusqu'à faire de sa fondue au chocolat, baptisée «lovers' hotpot», un rituel amoureux.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.