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Récompensé à Cannes, «La vie d'Adèle» d'Abdellatif Kechiche ne cesse de créer la polémique après que ses actrices se sont plaintes de leur réalisateur. De quoi nuire à la carrière du film qui sort ce 9 octobre

«Pour avoir, dans un décor de salle à manger, des miettes qui aient l'air de miettes, il faut bien que la table ait vécu!», se justifiait Maurice Pialat, interrogé en 1985 sur son obsession du détail. Et pour avoir, sur un visage, des larmes qui ont l'air de larmes, faut-il pousser ses actrices à bout? Il y a presque trente ans, Sophie Marceau se plaignait des méthodes de Pialat sur le tournage houleux de Police. Aujourd'hui, un autre réalisateur ultranaturaliste, Abdellatif Kechiche, dont le film La Vie d'Adèle a reçu la Palme d'or à Cannes en 2013, est mis en accusation par ses deux actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. «Torture mentale», «manipulation», les deux jeunes femmes disent avoir vécu un calvaire.

Abdellatif Kechiche répond aux attaques par les attaques. Tensions. «L'avant-première du film, à Toronto début septembre, a été erratique: Kechiche et Seydoux ne s'adressaient pas la parole», raconte un journaliste cinéma, qui préfère rester anonyme. Il est loin le temps des effusions et des déclarations d'amour éternel, sur les tapis rouges cannois, alors que le film sort le 9 octobre. Mais pourquoi donc les jeunes femmes, codétentrices de la Palme d'or pour leur interprétation, ont-elles choisi de parler maintenant? «C'est simplement une histoire de micro tendu, avec des jeunes femmes un peu grandes gueules. Auréolé de sa triple récompense, le film n'a pas besoin de “buzz”», analyse Hervé Montron, directeur général de l'agence-conseil en communication cinéma Casablanca.

A l'inverse, il est certain que les deux jeunes femmes n'ont pas été «média-trainées» afin de s'extasier sur la bonne entente de l'équipe. Exception hexagonale, «en termes de promotion, l'acteur français a tous les droits, contrairement aux Américains, qui sont contractuellement tenus d'assurer la sortie d'un film, qu'ils l'aiment ou pas», souligne Nathalie Iund, cofondatrice de l'agence Miam. L'attachée de presse, qui travaille notamment pour Bérénice Béjo, précise néanmoins: «Personnellement, lorsqu'un tournage se passe mal, je conseille aux comédiens de ne pas en parler: c'est comme si, dans un grand restaurant, le chef venait en salle raconter ses différends avec le poissonnier de Rungis.»

«Débat microcosmique»

Les polémiques nuiront-elles à la carrière du film, attendu par une critique unanime auprès de laquelle Kechiche a la «carte»? «Le débat est microcosmique, même si on peut se demander si la nouvelle affiche, plus souriante, ne vise pas à donner une image apaisée du film», lâche François Blanc, président de Communic'Art. Jean-Christophe Alquier, fondateur de l'agence corporate Alquier Communications, juge quant à lui qu'«à partir du moment où l'on considère que le cinéma est une industrie avec des problématiques économiques, on peut s'interroger sur les conditions de production d'un film, aussi génial soit-il, au même titre que l'on a pu questionner l'éthique de Nike.»

La justification artistique peut-elle ad vitam aeternam servir de blanc-seing? Jean-Christophe Alquier prévoit, qu'«à l'instar du mannequinat, la profession sera à terme conduite à une autorégulation, sans qu'il s'agisse d'apposer un label éthique sur un film…» Impensable dans un milieu déjà gangréné par le politiquement correct, selon Hervé Montron: «Au cinéma, c'est comme au tennis: je préfère un McEnroe caractériel aux joueurs robotiques.»

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