Grand Prix Stratégies de la Publicité 2018
« The Worst Song in the World », signée Rosapark pour Monoprix, remporte le Grand Prix Stratégies de la publicité 2018. Les jurés ont été enthousiasmés par la fraîcheur et l'humour de la campagne, qui démontre, après le sacre d'Intermarché, la vitalité de la distribution.

La citation est signée d’un rock critic et reprise par Alexandre Hervé, directeur de la création de Romance : «Patrick Eudeline disait: “Tu ne seras jamais rien d’autre que la chanson de l’été de tes 15 ans, même si elle est honteuse.”» La pire chanson du monde… et la meilleure campagne de l’année. Aux Baux-de-Provence, le jury réuni les 3 et 4 mai sous la présidence de Matthieu Elkaïm, directeur de la création de BBDO Paris, n’a pas tergiversé longtemps avant d’attribuer le Grand Prix Stratégies de la publicité 2018 à Monoprix et son film «The Worst Song in the World», signé Rosapark.
«Une campagne sauvage, impossible à imiter», soulignait Xavier Beauregard, directeur de la création de l’agence Humanseven. «Monop’ fait du bien avec son film d’une grande fraîcheur», remarquait Souen Le Van, directrice de création chez Buzzman. «C’est pour ce genre de pub que je fais ce métier!» s’exclamait quant à lui Benjamin Marchal, executive creative director chez TBWA Paris. «Tout le monde y voit de la légèreté, mais au final on y trouve aussi beaucoup d’intelligence et d’insight. Avec des campagnes comme ça, Cannes serait beaucoup plus rigolo», s’enthousiasmait Mélanie Pennec, directrice de création chez DDB Paris.
Un prix et un palmarès conformes, selon Matthieu Elkaïm, «aux deux directions que prend le métier. D’un côté, la brand experience, avec des campagnes comme la série La Forêt, qui permettait de parier sur l’identité du coupable [cette campagne, signée Publicis Conseil, a particulièrement plu aux jurés]. L’entertainment de l’autre, avec ce film Monoprix qui rappelle des spots jouissifs, comme “Eye of the Tiger” pour Starbucks, où un groupe suit un homme partout en lui chantant le tube issu du film Rocky

Le renouveau créatif de la distribution

Après Intermarché, lauréat du Grand Prix l’an passé, le sacre de Monoprix marque encore un peu plus le renouveau créatif de la distribution. «Dans la culture anglo-saxonne, la distribution a toujours été très forte créativement, on l'a vu avec John Lewis, Harvey Nichols…, souligne Gilles Fichteberg, cofondateur de Rosapark. La distribution a un rôle clé dans la consommation des gens. On n’est plus sur un discours prix/produit. Les hypermarchés ne peuvent plus être les temples du transactionnel. Le spectacle publicitaire renforce la préférence de marque – ce que les Anglo-Saxons appellent la “badge value” – et cimente une relation avec les consommateurs qui est loin d’être épisodique.»
Chez Rosapark, la relation avec Monoprix est également tout sauf filandreuse: le distributeur est le premier compte de l’agence, celui qui rapporte le plus de business. «Et celui, précise Gilles Fichteberg, sur lequel on fait le plus de création.» De son client, il salue « la position d’écoute ». Après le spot «Plus belle la vie» en 2017, conçu pour célébrer les 85 ans de Monoprix, il s’agissait cette fois-ci de s’atteler à un brief plus spécifique. «Les gens adorent se rendre dans “leur” Monoprix, mais détestent porter leurs courses. Il s’agissait de mettre en avant les trois services qui permettent de se faire livrer. Comme l’expérience magasin avait déjà été décrite, nous avons décidé de mettre en scène la friction dans le parcours client. Quand on a les mains prises et le nez qui gratte… Mais bon, ça ne fait pas un film!» Ce qui fait une amorce de film, en revanche, c’est cet insight: «Quand je suis dans le métro, et qu’une chanson qui ne me plaît pas trop commence à passer dans mes écouteurs, mais que je ne peux pas en changer, car je suis serré contre d’autres passagers…»

Un hommage aux eighties

Naît donc l’idée de créer de toutes pièces un groupe croquignolet, les Sonic Trolleys. Trolleys, comme «chariots», en français. «On aurait pu choisir Bonnie Tyler qui s’époumone, ou When the Rain Begins to Fall de Pia Zadora et Jermaine Jackson, par exemple. Mais on avait cette idée de groupe en tête, un mix de Simon Le Bon de Duran Duran, de Van Halen et de Guns N’Roses, avec un rappeur à la Vanilla Ice, mais aussi un côté groove et funk à la Maceo Parker, et les incontournables solos de saxo et joueurs de “keytar” [synthétiseur se portant comme une guitare] des années 1980…»
Autre incontournable des eighties, cheveux gaufrés et futal en Spandex: le délicieux David Lee Roth, figure de proue de Van Halen, qui réussit une carrière solo courte mais intense avec son inoubliable reprise de Just a gigolo. Mais aussi California Girls, référence absolue du film Monop’. «Nous avons carrément monté une grange dans un studio en hommage à David Lee Roth», raconte Gilles Fichteberg, dégainant son portable pour montrer des clichés de guitares électriques, incongrues, au milieu de balles de foin.
Au-delà de l’americana kitschouille, l’autre source d’inspiration est à chercher beaucoup plus à l’est: dans les karaokés asiatiques de Belleville. «Nous avons visionné des dizaines de clips supports de karaoké pour chercher des idées: la caméra embarquée sur le manche de la guitare, les fonds de palmiers…» Une fois le style visuel trouvé, c’est outre-Manche que l'équipe de Rosapark est allée peaufiner sa patte sonore, aux côtés de Schmooze, maison de production spécialiste du son. «Nous avons décidé d’aller enregistrer à Londres, explique Gilles Fichteberg. Pas possible autrement. C’est un peu comme John Lennon, qui répondait à un journaliste qui lui demandait s’il écoutait du rock français, “Et vous, vous buvez du vin anglais?”»

Affolement des réseaux sociaux

Du brief à la production finale, six mois se seront écoulés. Dès la sortie du spot, Gilles Fichteberg voit les réseaux sociaux s’affoler. Le cofondateur de Rosapark a conservé maints screenshots d’internautes enthousiasmés par la campagne. «Des screens comme ça, j’en ai mille ! On nous a tout de suite demandé si la chanson était téléchargeable, des gens voulaient suivre les Sonic Trolleys sur les réseaux sociaux… Ce n’est pas si souvent que cela arrive, c’est hyper grisant.»
Sur les prochaines communications de la marque, il reste discret, en mode mineur. «Ce qui est sûr, c’est que nous ne ferons pas la même chose!» Avec ce film, Gilles Fichterberg a le sentiment d’avoir touché du doigt un rêve publicitaire: «Le succès populaire, le côté “bigger than ad” [plus grand que la pub], le fait que Monoprix s’inscrive dans la culture populaire. Aujourd’hui, sur les plateformes digitales, on ne se bat plus seulement contre les autres publicités. On se bat contre Childish Gambino [dont le clip, This is America, a été visionné 260 millions de fois]. Aujourd’hui, il s’agit de gagner la bataille de l’entertainment.» Nul doute qu’avec ce film, Rosapark a réalisé une «Big Thing»… pour reprendre le nom d’un album de Duran Duran.

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