Dossier Dossier Back to School

Dès tout-petits jusqu’à grands adolescents, les enfants sont adeptes des licences de marque autour de leurs personnages préférés. Payante en termes de business, cette stratégie permet de nouer un lien émotionnel avec les consommateurs. Un article également disponible en version audio.

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Comme à chaque rentrée, les rayons des supermarchés proposent un large choix de cartables à l’effigie de La Petite Sirène, Miraculous ou Harry Potter. Concrètement, les licences louent pour une durée déterminée l’exploitation de leurs marques et de leurs personnages à des licenciés (dans ce cas-ci aux fabricants de fournitures scolaires) en contrepartie d’une redevance. Cette stratégie fait naître chez les enfants des envies pour des produits (cahiers, t-shirts, brosses à dents…) pas franchement ludiques mais au travers desquels ils peuvent se définir en tant qu’individus.

« Il est admis que les licences augmentent en moyenne les ventes de 25 à 30 % », observe Philippe Guinaudeau, président-directeur général de BrandTrends, une société d’études qui interroge, quatre fois par an, 80 000 personnes dans le monde sur la popularité des licences. La dernière étude sur la cible enfant (0-14 ans), sortie au printemps, présente le top 10 des marques de divertissement préférées des plus jeunes. Il s’agit de Marvel (11, 8 %), Lego (9,4 %), Disney (9,1 %) Spider-Man (6,6 %), Barbie (6,2 %), Roblox (5,4 %) Minecraft (4,6 %), Pat’Patrouille (4,3 %), La Reine des neiges (4,1 %) et Peppa Pig (3,6 %).

Un gage de qualité

Ayant flairé le bon filon, certaines marques pour enfant placent les licences au cœur de leur modèle. « La licence est pour nous un axe de développement fort », confirme Rosanna Selles, responsable du licensing et du développement produit de Tonies. Créée en 2013, cette marque allemande a mis sur le marché une conteuse pour les enfants de 3-6 ans, la « Toniebox », avec des figurines à placer sur l’appareil pour déclencher la lecture d’histoires. Actuellement, plus de 5 millions de conteuses sont activées dans le monde et Tonies a signé avec quelque 200 licences. « Il y a toujours un accord avec un ayant droit. Il y a un droit d’utilisation merchandising pour créer la figurine et des droits liés à l’audio. Certains partenaires n’ont pas de piste audio. Pour Miraculous, nous avons récupéré la bande-son du dessin animé et réalisé un travail d’adaptation en studio », relate Rosanna Selles.

Pour son lancement en France, en septembre 2021, Tonies a misé sur Disney, Pixar, Pat’Patrouille, Peppa Pig. La marque a aussi fait appel à la nostalgie des adultes, et leur désir de transmission à leurs enfants, avec les licences Maya l’abeille et Heidi. Le catalogue français de la conteuse propose trois types de contenus, d’après Emmanuelle Aïssy, la responsable marketing. « Il y a les hits de la cour de récré, les licences intemporelles comme Ernest et Célestine qui va bientôt arriver, et des licences éducatives comme C’est toujours pas sorcier », énumère-t-elle. De par leur notoriété, les licences sont un gage de qualité pour les parents, d’après la communicante.

« Grâce au personnage, on a moins besoin d’expliquer qui on est : l’héroïne vient avec son univers. Celui-ci est tout de suite compris par les enfants et leurs parents », affirme Claire Bernard, directrice marketing et business development de Prisma Media. Le groupe de presse a lancé, fin juin, le bimestriel Mortelle Adèle, son premier titre jeunesse, avec pour cœur de cible les 7-9 ans. « On a vu dans Mortelle Adèle l’intérêt d’aller sur un nouveau marché grâce à une licence puissante (16 millions de lecteurs pour la BD) et diversifiée en termes d’objets. Pour ce qui est du sens, c’est une jolie marque avec une héroïne qui prône la différence, l’affirmation de soi, tout en accompagnant les enfants vers la lecture », argumente la directrice marketing. Pour ce produit éditorial, Prisma Media collabore main dans la main avec l’auteur de la BD, Antoine Dole, et l’illustratrice Diane Le Feyer. Mi-juillet, le premier numéro s’était déjà écoulé à 30 000 exemplaires (pour un objectif de 50 000) et a enregistré 3000 abonnements.

Un fabuleux levier de vente

Car la notoriété des licences est un fabuleux levier de vente. C’est ce que prouve Lush. La marque anglaise de produits d’hygiène et de beauté, qui compte 900 boutiques dans le monde dont 39 en France, a commencé ses collaborations avec des licences en septembre dernier, après avoir décidé de quitter ses principaux réseaux sociaux en novembre 2021 pour des raisons éthiques. « Ce choix est arrivé au moment où le groupe Meta [qui détient Facebook et Instagram] était accusé par la lanceuse d’alerte Frances Haugen de ne pas préserver la santé mentale des adolescents », retrace Emilie Petraroli-Roy, senior digital manager et e-commerce Europe de Lush. « Au total, 10 millions de personnes nous suivaient sur les réseaux sociaux. Nous avons cherché à toucher notre audience autrement », poursuit-elle. Depuis, l’enseigne a multiplié les collaborations. Sa première collection a été lancée en octobre 2022 en France, avec le manga One Piece, et a représenté 17 % des ventes dans le pays.

« Nous avons une équipe dédiée qui va chercher des licences avec lesquelles notre univers est compatible, aussi bien en termes de couleurs que de feeling et de valeurs, témoigne Emilie Petraroli-Roy. Notre équipe va évaluer les licences pouvant être porteuses de synergies créatives. La collaboration peut prendre six à huit mois avant de voir le jour, entre l’ouverture des discussions, la signature du contrat, la conception des produits (bombes de bain, pains moussants…), leur validation par la licence, la production (à la main), puis le marketing et la communication. » Parmi les derniers coups de maître de Lush, on peut citer sa collaboration avec Nintendo Illumination et Universal en avril pour le développement d’une collection à l’occasion de la sortie du film Super Mario Bros.

En juin, Lush a sorti une collection capsule en soutien à la campagne « Bob l’Éponge : Operation Sea Change », une initiative de Nickelodeon et Paramount Consumer Products pour la conservation des océans. « Cela fonctionne avec nos produits car plus de la moitié sont vendus sans emballage plastique », justifie Emilie Petraroli-Roy. L’enseigne a ensuite lancé, en août, une collection Barbie, sous licence avec Mattel, alors que le film a dominé le box-office durant l’été, même si Emilie Petraroli-Roy assure qu’il s’agit là d’un hasard de calendrier. « Nous aimons les collaborations joyeuses qui plaisent à notre clientèle et nourrissent le bouche-à-oreille, d’autant plus que nous ne faisons pratiquement pas de publicité. Nous grandissons de manière organique », se réjouit-elle.

Street marketing et faux piratage

De la publicité ? Justement, les licences peuvent y contribuer. Dernier exemple en date, les Stormtroopers, les soldats impériaux de Star Wars, ont pris le contrôle des restaurants Quick pour une campagne estivale humoristique, orchestrée par l’agence The Brand Nation. Deux nouveaux burgers étaient au cœur du dispositif, l’un à l’emmental, l’autre au poivre, déclinés en blanc et noir et pouvant ainsi faire penser à l’Empire galactique. Après une période de teasing comprenant du street marketing et de l’affichage sauvage, la patrouille militaire a pris possession des canaux digitaux de la chaîne de restauration rapide, avec un relais principal sur Twitter. Ce faux piratage s’est matérialisé par le changement de logo de Quick sur son site internet, remplacé par l’image d’un casque de Stormtrooper. Sur les réseaux sociaux, les Stormtroopers ont été mis en scène en cuisine, au siège de Quick, en caisse, au drive et à la livraison.

Cette campagne arrive à un moment où Quick cherche à renouer avec sa clientèle. « La marque a été vendue à un fonds d’investissement fin 2021 et depuis, nous travaillons à son grand retour dans l’Hexagone. Nous prévoyons une vingtaine d’ouvertures dans les prochains mois », recontextualise Pierre-Marie Fontana, directeur marketing de l’enseigne qui compte actuellement 120 restaurants en France. « En signant avec Original Stormtrooper, nous avons voulu jouer sur le côté décalé de ces méchants maladroits et sympathiques, poursuit-il. Nous avions déjà utilisé cette licence sur nos menus enfants et nous nous sommes dit que ce serait intéressant de la rejouer sur une offre plus adulte. » La campagne a d’autant plus de sens que l’enseigne a collaboré avec d’autres licences de Star Wars : en 2012, elle avait lancé un « Jedi Burger » avec le personnage de Yoda, et un « Dark Vador Burger ».

« La famille entière se retrouve autour de la licence », s’enthousiasme Pierre-Marie Fontana. D’ailleurs, les licences peuvent entrer dans la construction d’une identité familiale, d’après Gregorio Fuschillo, professeur de marketing à Kedge Business School, qui travaille sur l’essor du phénomène de fans dans les sociétés contemporaines et sur le marketing expérientiel. « Lorsqu’on marque les esprits des enfants de manière positive, on se lie à jamais dans l’histoire de vie de ces personnes », affirme le spécialiste. De plus, la génération Alpha sera, comme la Gen Z, consommatrice d’expériences de marques. Ces dernières années, on constate l’essor de lieux, d'expositions ou d'escape games qui immergent les visiteurs dans des univers de licence. « Les collaborations ont cela de vertueux qu’elles peuvent permettre de débloquer les financements pour la production d’autres épisodes », informe Mathilde Bayle, responsable de la communication de la société française Millimages qui produit notamment le dessin animé Pirata & Capitano, deux personnages que les enfants peuvent suivre à l’Aquarium de Paris jusqu’au 14 octobre.