Plus que jamais, les consommateurs demandent aux marques de servir à quelque chose. Si cette notion d’utilité a toujours fait partie de l’ADN des marques, elle a profondément évolué ces dernières années.

La dernière étude Meaningful Brands, réalisée par Havas Media Network à l’international, est formelle : 64 % de la population préfère aujourd’hui acheter auprès d’entreprises qui ont d’autres objectifs que le seul profit. En d’autres mots, pour celles qui tiennent à leurs consommateurs, il est plus que temps de se rendre utile.

Certes, les spécialistes de l’histoire des marques rétorqueront qu’elles l’ont toujours été. « Une marque répond à un besoin, c’est le fondement même du marketing. Plus récemment, cette utilité a glissé dans le champ du branding, avec la nécessité, au-delà de la réponse produit, de choisir un combat et des valeurs à défendre. C’est cette redéfinition qui est nouvelle », analyse Géraldine Michel, directrice de la chaire marque et valeurs de l’IAE Paris-Sorbonne. Pour Lionel Gomez, du planning stratégique chez VML France, les raisons de ce glissement sont multiples : « Dans une ère de permacrise, les citoyens, défiants, remettent en cause tous les fondamentaux : éducation, politique, santé… Les marques ont toujours été considérées comme des institutions de notre patrimoine. Encouragés par la création d’un lien plus conversationnel et donc plus fort avec ces marques, c’est tout naturellement vers elles qu’ils se tournent pour agir, d’autant qu’elles ont un pouvoir économique certain. »

Bonne santé sociétale

L’expert cite en exemple le dossier inflation, où les débuts de solutions sont davantage venus des distributeurs que de l’État. Pour Sébastien Emeriau, directeur du planning stratégique d’Havas Media Network, il ne faut pas oublier que cette exigence croissante reste un signe de bonne santé sociétale : « Nous vivons dans un monde occidental où les produits et les services tiennent leurs promesses, permettant au consommateur d’en demander plus. Rappelons également que les Français sont les champions de l’incarnation du paradoxe de Tocqueville, avec une insatisfaction exprimée, souvent supérieure à la réalité de la situation. Notre étude Meaningful Brands relève ainsi que nous sommes 81 % à penser que le monde va dans une mauvaise direction contre 68 % à l’international. »

Comment les marques peuvent-elles répondre à cet appel à l’aide ? L’étude d’Havas Media caractérise la nouvelle utilité d’une marque par la réponse équilibrée à trois besoins distincts : le besoin fonctionnel d’abord, avec des produits et services performants ; le besoin personnel ensuite, requérant la capacité à résoudre certains tracas du quotidien, comme gagner du temps et de la tranquillité d’esprit, se simplifier la vie, créer du lien, avoir une meilleure image de soi, être inspiré… ; l’intérêt collectif enfin, attente plus récente quant à la création de solutions durables, éthiques et sociales.

En 2024, le fonctionnel pèse à hauteur de 38 % dans le choix du consommateur, contre 32 % pour l’émotionnel et 30 % pour l’intérêt collectif. Il est à noter que toute marque, sans exception, quels que soient son ADN et son secteur, peut maîtriser ce tryptique sacré. « Il suffit de rester cohérent avec son ADN, en n’allant pas vers le politiquement préférable mais bien là où le consommateur vous attend pour jouer votre rôle », explique Sébastien Emeriau. Au siècle dernier, Chanel savait conjuguer vêtement, mode et libération de la femme. La rassurante Michelin propose aujourd’hui un produit solide tout en irriguant le tissu local ; le très clivant distributeur Action est capable quant à lui de remplir les caddies à moindre coût dans une période d’inflation aiguë. On pourrait encore citer des marques aussi différentes que Veja, Ikea, Patagonia, Netflix, Google, Amora, Cristaline ou encore Back Market. Adulées ou critiquées, mainstream ou de niche, locales ou mondiales, elles ont toutes en commun de savoir conjuguer produit, émotionnel et intérêt collectif.

Attentes de plaisir et de légèreté

Évidemment, l’actualité très changeante de ces dernières années influe aussi sur la priorisation des attentes. On se souviendra d’enseignes de distribution plébiscitées pour avoir su rendre nos quotidiens meilleurs pendant la crise covid. Cette année, inflation oblige, la variable prix revient en force et l’étude Meaningful Brands observe pour la première fois une percée de l’item « bon employeur », alors que l’attrait du made in France fléchit légèrement.

Le plus surprenant dans ce climat anxiogène reste le retour en force au niveau mondial des attentes de plaisir et de légèreté. Un constat qui n’étonne en rien Lionel Gomez : « La publicité a longtemps fait rayonner l’humour des marques. Peut-être y parle-t-on trop des problèmes de société aujourd’hui, délaissant le plaisir, qui reste pourtant un vrai besoin. N’oublions pas que la RSE est une dette plus qu’un atout, un contrat de base plus qu’un levier de différenciation. L’utilité ne doit pas conduire à désinvestir sur la marque et ses valeurs d’émotion, capital intangible encore mal appréhendé en France. »

Aux marques qui auront compris cette nuance et toutes les autres, la promesse d’une création de valeur est bien là, rappelle Sébastien Emeriau, « avec des Meaningful Brands qui surperforment le marché boursier de 222 % ». Des chiffres dans lesquels Géraldine Michel identifie plutôt le prochain grand défi lié à cette recherche d’utilité : « Le social washing est plus grave encore que l’inaction. Pour perdurer, le sujet n’est plus tant de rechercher la création de valeur que la création d’impact sur la société. Il n‘est plus possible aujourd’hui de défendre une cause parce qu’elle enrichit une marque, sans chercher à comprendre et donc à mesurer concrètement son impact sur cette cause. Combien de marques ont cette démarche aujourd’hui ? » La preuve de l’utilité pourrait donc bien être la prochaine bataille des entreprises.

La recette Decathlon

Présente dans le classement Meaningful Brands d’Havas Media depuis sa création, Decathlon est sur la première marche du podium chaque année depuis 2021. Pour l’expliquer, Erwan Soquet, leader communication de Decathlon France, évoque l’ADN de l’entreprise : « Son caractère familial favorise la sincérité des convictions comme la pérennité des actions, soutenues au plus haut niveau et avec les moyens nécessaires, ce qui nous permet de travailler dans la durée. » La remise en question a probablement fait le reste, puisque, pour réagir aux évolutions sociétales et climatiques, un travail de refondation de la raison d’être a embarqué toute l’entreprise. « Celle-ci s’attache aujourd’hui à "faire bouger les gens au travers de ce que le sport a de meilleur à offrir". En parallèle, nous avons créé un autre référentiel que celui du seul rapport valeur-prix, qui prévaut historiquement dans le commerce, en proposant un positionnement axé sur la création de valeur durable. Chaque décision de l’entreprise doit aujourd’hui apporter de la valeur aux clients, aux collaborateurs, mais aussi à la planète. » Autre pilier incontournable, la stratégie RSE, qui se veut très ambitieuse : instauration d’un chiffre d’affaires durable pour documenter le progrès, objectif d’écoconception totale à horizon 2026, test de nouveaux modèles d’affaires alternatifs circulaires, dont la location ou l’abonnement mensuel. Un travail de fond, que le consommateur, qui vote désormais avec son portefeuille, semble apprécier.