Dossier Ciblage publicitaire
Face à la multiplication des données disponibles et à la maturité technologique, le ciblage publicitaire devient de plus en plus précis, et ne se cantonne plus au numérique. Reste à voir si le marché est prêt.

À première vue, en matière d’innovation, on pourrait presque croire que le marché de la publicité ciblée ronronne. Après des débuts en croissance exponentielle, le secteur suit désormais une courbe de progression naturelle, avec des sources data qui se multiplient, des puissances de calcul qui s’intensifient, et un système d’open innovation important. Mais c’est peut-être ce degré de maturité technologique global qui représente la plus grande révolution, tant il élargit le champ des possibles. « La donnée devient de plus en plus précise, constate Franck Lewkowicz, directeur général de Quantcast France. Sur le ciblage comportemental, par exemple, le search enrichit maintenant l’angle socio-démo pour détecter, en temps réel, les attitudes et grands moments de vie d’un individu. » Depuis peu, le ciblage comportemental devient même prédictif, avec, par exemple, des solutions comme celles de la start-up AntVoice, qui utilise un algorithme sémantique pour analyser les requêtes. « Lors de leurs recherches, les consommateurs sont souvent dirigés vers des sites médias pour trouver de l’information, endroit où nous décryptons leur besoin puis lui rattachons les produits correspondants. La conversion est ensuite suivie sur le site de nos clients distibuteurs », explique son CEO, Alban Peltier. Carrefour, Blancheporte ou Maison du Monde y ont tous trouvé leur compte, notamment pour séduire des prospects ne connaissant pas leur offre, alors qu’ils étaient sur le point de convertir sur une catégorie. 

Percée du ciblage émotionnel

D’autres scrutent de très près la percée encore timide du ciblage émotionnel, qui revêt différentes formes. À la suite du rachat de la société VisualDNA en 2016, Nielsen propose aux annonceurs la possibilité de cibler des individus selon leur degré d’ouverture, de nervosité, d’amabilité… Le jeu de données, coordonné par un collège scientifique, comprend un panel de 100 000 personnes réactualisé mensuellement. « Nous avons segmenté des profils émotionnels distincts, qui peuvent permettre à un annonceur de tester un produit ou l’impact d’une création publicitaire pour comprendre auprès de qui ils fonctionneront le mieux », explique Emilie Carcassonne, vice-présidente Europe du Sud. Le spécialiste de la vidéo publicitaire Unruly vient quant à lui de lancer douze places de marché émotionnelles, classifiant des univers éditoriaux pour aider les annonceurs à intégrer leur contenu dans des environnements propices. Le groupe M6, enfin, propose, depuis janvier une offre d’analyse émotionnelle de ses programmes, intégrant un algorithme d’analyse sémantique des sous-titrages. « Nous avons créé et automatisé une cartographie des émotions à grande échelle capable de reconnaître des moments de joie, de tension, de rire ou d’émotion pour insérer au mieux les créations publicitaires », explique Guillaume Charles, directeur général adjoint chargé du marketing, des études et du digital de M6 publicité.

Entrée dans la troisième dimension

Mais la grande avancée du marché cette année reste probablement le passage du ciblage publicitaire à la troisième dimension. Petit à petit, celui-ci est sorti de l’écran pour s’inviter dans la vie réelle. Pour Nicolas Rieul, directeur stratégie et marketing de la société spécialisée en drive-to-store S4M, le géomarketing, par exemple, ouvre de nouveaux horizons : « Nous savons depuis longtemps cibler l’individu où il se trouve. Mais être capable aujourd’hui de réaliser du profilage en intégrant les endroits qu’il fréquente très régulièrement pour dresser des segments, c’est un nouveau cap. » De l’autre côté de l’Atlantique, Nielsen commercialise depuis trois ans, avec le spécialiste du marketing relationnel Catalina, l’agrégation globale de la data on et offline des principaux distributeurs américains. Un paradigme pour l’instant difficile à dupliquer en France, les acteurs préférant garder la main sur leurs données.

Chacun gère donc sa propre offre, comme 3W.relevanC, qui regroupe désormais au sein du groupe Casino la régie inventaire et data des 15 sites e-commerce du distributeur, dont Cdiscount, et l’expertise data transactionnelle de la start up RelevanC. Cette fusion permet ainsi de recouper les données de navigation avec celles du passage en caisse sur 27 millions de profils différents, et autant de comportements d’achat distincts. Pour Adrien Vincent, directeur général de RelevanC, et Christophe Blot, directeur général de 3W, « avec un fichier de 800 000 top acheteurs, 46 millions de passages en caisse et les comptes en ligne de nos clients, notre donnée devient beaucoup plus fine, et surtout, déterministe puisque basée sur les achats. Cette richesse permet de faire beaucoup de choses, de la campagne drive-to-store à la mesure réelle de l’impact d’une campagne. »

Recomposer le parcours du consommateur

D’autres solutions nouvelles, comme l'offre Foodlab, contribuent à casser les frontières entre les univers digitaux et physiques. Cette activation orientée cuisine, portée simultanément par la plateforme programmatique Tradelab, les sites 750g et Marmiton ainsi que l’enseigne Carrefour, fait pot commun pour mixer et segmenter les 150 millions de transactions mensuelles de l’enseigne et les habitudes de ses 14 millions de porteurs de carte avec l’audience cumulée des 18,5 millions de visiteurs uniques de 750g et Marmiton. « Nous attendions depuis longtemps cette capacité à recomposer le parcours d’un consommateur, jusqu’ici fragmenté entre le on et le off. Cette vision réconciliée va devenir extrêmement intéressante, que ce soit en termes d’activation et de mesure réelle de l’impact publicitaire », se félicite Hichem Karoui, directeur des partenariats data pour Tradelab.

Reste à savoir si le marché possède la maturité nécessaire pour faire bon usage de ces nouvelles possibilités. Pour Jean-Baptiste Bouzige, CEO d’Ekimetrics, société de conseil en data sciences, « l’empilement des algorithmes, sans humain ni réflexion, n’a jamais fait une stratégie. Le client reste un individu et non un identifiant dans une base de données. Le sujet n’est pas le one-to-one mais bien la pertinence. » Pour tirer le meilleur de ces nouvelles solutions, encore faut-il adapter son message selon la personne visée, un aspect trop souvent négligé, selon Guillaume Balloy, ‎vice-président média et activation chez Artefact : « Nous sommes arrivés assez loin dans la manière de cibler, mais nous ne prenons pas encore la peine d’adresser des messages pertinents à chacun. On sait très bien trouver la bonne personne, mais si l'on se trompe de message, on perd son audience. »

One-to-one marketing, le nouveau buzz word

Autre écueil trop fréquent, celui du juste degré des quantités de données exploitées car, comme le souligne le spécialiste, « un brief média sur deux porte sur du one-to-one marketing, qui est le nouveau buzz word. Mais l’utilisation récurrente de centaines de micro-segments empêche d’avoir assez de représentativité pour comprendre ce qui fonctionne ou avoir de la portée. » Pour Erwan Lohezic, directeur général d’IProspect France, « le travers reste cette envie absolue de vouloir utiliser de la data intelligente sans limite. Chercher à activer un maximum de data, en fermant les yeux sur sa provenance, sa récence ou sa qualité, génère des résultats décevants. » Pour Franck Lewkowicz, de Quantcast France, ce travers devrait être corrigé par l’entrée en vigueur du RGPD (Réglement européen sur la protection des données) : « Passées à la moulinette règlementaire, les données tiers, dont on ne sait pas toujours comment elles sont collectées ni agrégées, seront de fait plus limitées. »

D'ici à ce que le marché digère ce nouveau texte, d’autres questions se poseront. « L’une des prochaines grandes batailles du ciblage et de la data sera probablement le vocal, avec des assistants personnels qui digèreront un nombre considérable d’informations personnelles, prédit Erwan Lohezic d'IProspect. On devra alors se demander comment utiliser cette data pour diffuser une publicité plus servicielle mais surtout comment protéger les personnes physiques sur le plan éthique, car nous n’aurons plus de limites en termes de possibilités. » Le rendez-vous est pris.

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