En juin dernier, le directoire de Ouest-France était renouvelé avec l’arrivée à sa présidence du journaliste François-Xavier Lefranc. Fabrice Bazard, son nouveau directeur général, décrypte pour Stratégies les enjeux du plus puissant des journaux régionaux : numérique, résistance aux Gafam, rajeunissement du lectorat, place de la vidéo et futur de la publicité locale.

Vous avez intégré le directoire de Ouest-France en juin dernier. Quelle est la nouvelle feuille de route ?

Il n’y a pas de rupture, nous sommes dans la continuité de la feuille de route portée par nos prédécesseurs. Certains groupes européens comme Schibsted se sont fortement diversifiés ; nous, au contraire, restons très centrés sur l’information. Ouest-France est un acteur média fort sur ses régions, mais aussi un référent au niveau national. Notre stratégie est de générer de l’abonnement par l’information locale et de l’audience par l’information générale. Depuis quelques années, nous avons développé via internet un carrefour d’audience puissant qui nous permet d’engager les publics et de continuer à développer les abonnements. L’érosion du print, qui semble hélas inéluctable, est compensée par la progression du numérique. Celui-ci représente désormais environ 25 % de nos revenus ; ce n’est pas mal, mais ce n’est pas suffisant. Notre enjeu est donc d’accélérer le numérique, qui constitue notre relais de croissance.

Justement, sur l’abonnement numérique, où en êtes-vous ?

Nous avons 240 000 abonnés en numérique, dont 185 000 pour Ouest-France [le reste est constitué d’abonnés des Journaux de la Loire et de Voiles et voiliers]. Ce n’est pas suffisant pour constituer un vrai relais de croissance et générer de la marge. Il nous en faudrait 350 000. L’année prochaine, nous allons donc aller chercher 100 000 nouveaux abonnés.

Cette croissance ne doit pas se faire au détriment du print, car les revenus ne sont pas comparables et l’économie du papier est à coûts fixes. Nous ne pouvons pas nous contenter d’un portefeuille d’abonnés print qui stagne. Comme toute entreprise en croissance, nous souhaitons que notre principale source de revenus progresse.

Sur le numérique, les Gafam imposent leur domination. Comment leur résister ?

Aujourd’hui, 80 % de l’audience numérique vient d’acteurs tiers ; c’est vrai aussi pour l’abonnement. Un média, ce n’est pas qu’un producteur de contenus. Il doit aussi maîtriser sa diffusion. Ce qui était vrai par le passé l’est encore plus pour l’avenir. Il est fondamental de ne pas sous-traiter les relations avec le lecteur et l’abonné qui sont stratégiques. L’application numérique permet de maîtriser sa diffusion numérique et de maîtriser les données associées. Mais cela n’est pas suffisant. Les newsletters, par exemple, sont indispensables pour toucher des lecteurs via leurs passions ou leurs centres d’intérêt, comme le sport, la santé ou la science.

Ouest-France, comme l’ensemble de la PQR, a un lectorat vieillissant. Comment le rajeunir ?

Cela passe évidemment par les supports numériques. Il y a dix ans, nous avons lancé une édition du soir qui nous a permis de toucher une population plus jeune ; nous avons gagné sept ans d’âge moyen, mais nous restons au-delà de 45 ans. Toucher les jeunes via la plateforme Ouest-france.fr, cela semble mission impossible. Les études montrent que nous n’avons aucune chance de vendre un journal aux moins de 30 ans, qu’il soit numérique ou print. Pour ces jeunes générations, nous devons proposer quelque chose de différent de ce que nous produisons historiquement, de l’ordre de l’expérience. Pour accompagner cette transformation, nous avons entrepris un vaste chantier que nous appelons « Ouest-France demain » dans lequel nous remettons tout à plat, sans tabou, du format au contenu du journal, en passant par la complémentarité print-web. Il faut accompagner les comportements bisupports de nos lecteurs. Sur ce point, par exemple, alors qu’aujourd’hui le contenu du web est encore le miroir du print, je pense qu’il faut proposer des contenus différenciés.

Quelles synergies sont possibles entre vos différentes entités ?

Au niveau du groupe Ouest-France, nous avons trois plateformes d’audience puissantes – Ouest-France, Actu et 20 minutes – qui ont jusqu’à présent vécu chacune un peu de leur côté. Ce serait dommage que l’on n’arrive pas à trouver des synergies. En ce qui concerne le contenu écrit, c’est compliqué car cela nécessite une réécriture. Mais pour le son et l’image, on peut faire circuler les contenus plus facilement. Nous devons donc être beaucoup plus puissants qu’aujourd’hui sur les contenus audio et la vidéo. Nous investissons dans les télévisions locales : en juin 2022, nous sommes entrés au capital de Télénantes. En parallèle, nous avons renforcé nos capacités de production vidéo avec des drones et un studio.

Vous êtes aussi président de la régie Additi. La publicité locale a longtemps eu un côté un peu vieillot, comment changer cette perception ?

Nous travaillons avec des start-up pour offrir des outils innovants à nos clients. L’incubateur commun à l’éditeur et à la régie, qui accueille sa cinquième promotion, nous permet d’avoir accès à quelques belles pépites technologiques. C’est un atout majeur pour nous dans la mesure où la technologie est devenue le troisième pilier stratégique des médias après la rédaction et l’outil industriel d’impression. Demain, les solutions de communication seront plus hybrides entre contenu éditorial et publicité. Nous sommes convaincus que la proximité entre l’éditeur et sa régie est fondamentale. Une proximité qui nous impose aussi une éthique irréprochable, avec de la transparence pour l’expliquer lorsqu’il s’agit de contenus sponsorisés.

Depuis deux ans, nous proposons avec succès des solutions de content-to-commerce via nos plateformes numériques. La rémunération est calculée à la performance, ce qui séduit les annonceurs car cela répond à leurs enjeux ROIstes. Si cette solution fonctionne très bien avec des marques nationales, l’enjeu est maintenant de la décliner au niveau local.

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